Immortalite

one shot Six of Crows incomplet


Ils s’étaient séparés pour retrouver Inej dans le repère de Van Eck. Ils avaient formé des duos. Nina ne s’attendait pas à être celle qui la retrouverait. Et elle s’attendait encore moins à la voir dans cet état. Dès qu’elle l’aperçue, elle se jeta sur le corps frêle mais musclé d’Inej et attrapa son visage entre ses mains. Ses traits étaient détendus, paisibles. Ses yeux, vides, lui renvoyaient son reflet. La grisha la reposa avec délicatesse contre le sol et tenta de la faire revenir. Mais elle était déjà partie trop loin. Ils l’avaient laissée seule trop longtemps. Jan Van Eck l’avait laissée seule. Elle ignorait ce qu’il lui avait fait mais partout, sur sa peau caramel, s’étendaient de larges marques sombres.

– Elle ne va pas revenir, Nina... Il faut la laisser partir... murmura Matthias en s’agenouillant près d’elle. Il prit ses mains pleines de sang et les serra dans ses paumes réconfortantes. Mais Nina ne pouvait pas s’arrêter là. Elle devait continuer. Elle voulu recommencer mais cette fois Matthias s’interposa et la tira contre lui.

– Non ! Laisse-moi ! Si c’était toi... Si c’était toi je ne pourrais pas abandonner comme ça...

– Nina, il y a un moment pour tout... Un moment pour se rencontrer. Et un pour se dire adieu.

– Non. Ce n’est pas le moment ! Inej ne mérite pas ça... Elle... Elle rêvait d’un bateau. Elle rêvait de revoir ses parents ! Kaz ne me pardonnera jamais si...

– Qu’est-ce que je ne te pardonnerai jamais ? demanda la voix du concerné qui venait d’apparaître dans l’encadrement de la porte. Il ne l’avait pas encore vue. Sûrement parce que ses deux amis étaient dans l’angle. Alors il rajouta en grognant:

– Ce n’est pas le moment de se câliner. Il faut que l’on retrouve Inej. Elle est forcément quelque part. il allait tourner les talons quand Matthias se décala. Le regard sombre du corbeau tomba sur celui, éteint, d’Inej.

Kuwei, qui le suivait, le poussa gentiment pour pouvoir entrer dans la pièce mais s’arrêta immédiatement. Son visage se décomposant.

– Il faut l’emmener chez un médecin ! Vite ! s’exclama-t-il en se tournant, paniqué, vers ses compagnons. Mais Matthias secoua tristement de la tête. Il caressa les cheveux de Nina qui pleurait à chaudes larmes contre son torse.

Dans la pièce sombre et insalubre, on entendant que ses sanglots. Berceuse mélancolique et désaccordée. Kuwei s’était laissé tombé, prenant la paume d’Inej dans la sienne. Il voulait lui rendre sa chaleur, qu’elle leurs revienne. Mais ce n’était pas comme ça que cela devait se dérouler. Kaz n’avait toujours pas bougé. Comme figé dans le temps et l’espace. Le regard braqué dans le vide. Quand Jesper et Wylan les rejoignirent, il s’écarta simplement pour les laisser passer. D’abord, ce fut le cadet qui s’avança dans la petite pièce sombre. Son compagnon le suivant de près. Quand ce dernier comprit la situation, il s’accroupit à côté d’elle, les larmes dévalant silencieusement ses joues.

– Qu’est-ce qu’il se passe ? Nina ! Fais quelque chose ! s’énerva soudainement Wylan. Au moment où il haussa la voix, Kaz bougea. Doucement, avec peine. Il serra d’abord sa cane entre ses doigts gantés et s’avança en claudiquant. Il s’abaissa et, avec soin, déposa son chapeau sur la poitrine d’Inej avant de s’en aller. Ils l’entendirent avancer de son pas irrégulier dans le couloir et personne ne se risqua à l’arrêter. Ils ignoraient tous comment il réagirait s’ils tentaient quoi que ce soit. Alors ils attendirent qu’il parte. Il valait mieux ne pas le déranger.

Ils restèrent là longtemps. Trop longtemps. Aucun d’eux ne voulait être le premier à se lever. Le premier à prendre une décision. C’était le rôle de Kaz, ça. Pas le leur. Mais il ne revint pas et finalement ce fut Matthias qui souffla un coup quand les larmes de Nina s’étaient calmées.

– Il faut l’emmener ailleurs. On ne va pas la laisser ici, non ? il se leva tout en continuant de serrer Nina dans ses bras.

– Je... Je ne connais pas les coutumes funéraires des Suli... souffla Kuwei, incapable de dire quelque chose d’autre. Les autres ne répondirent pas mais ils se levèrent tous aussi. Wylan alla chercher une couverture dans laquelle ils la couchèrent précautionneusement puis Jesper et Matthias se relayèrent pour la porter jusqu’au Slat.

Il était très tard ou alors très tôt, tout dépend du point de vue. Les rues, presque désertes, empestaient la pourriture et l’excès. On ne leur offrit pas un seul regard. Sûrement parce qu’ils étaient la bande à Dirtyhands et que la plupart des gens voulaient éviter les problèmes avec eux. Et aussi parce qu’ils transportaient un cadavre.

Ils grimpèrent avec difficulté les marches et déposèrent délicatement le corps d’Inej dans son lit, sa chambre adjacente à celle de Kaz. Mais il n’était pas rentré. Et quand Matthias le leur demanda, les autres habitants du Slat lui répondirent qu’ils ne l’avaient pas revu.

Kuwei alluma des chandelles, Nina nettoya les plaies d’Inej et Jesper lui brossa les cheveux. Matthias allait de droite à gauche, leur rapportant d’abord de la soupe puis des couvertures. Ils restèrent toute la nuit à son chevet. S’endormant finalement dans des positions désagréables et rêvant d’Inej.

Wylan fut le premier à se réveiller. Il sortit de la pièce qui commençait déjà à empester et tomba nez-à-nez avec Kaz sur le palier. Il y avait quelque chose d’étrange, de dérangeant dans le regard de l’adolescent. Il portait sur lui l’odeur de la mort et celle, âcre et désagréables du sang. Les deux garçons se fixèrent quelques instants avant que le noiraud souffle simplement dans sa direction.

– Profite bien de ton héritage, Van Eck. il s’engouffra dans sa chambre et ferma la porte à clé. Il ne fallut pas long à Wylan pour comprendre ce que cela voulait signifier. Il cru qu’il allait défaillir. Mais le coup de grâce survint quand, un étage plus bas, une jeune fille se mit à hurler.

– Jan Van Eck a été tué cette nuit ! sa voix résonna dans son esprit, le poignardant directement au cœur. Kaz était allé tuer son père. Il avait renoncé à l’argent. Il les avait tous mis en danger. Pour Inej. Il avait tué son père.

– J’ai bien entendu ? s’exclama Jesper en ouvrant brusquement la porte. Un regard dans la direction de Wylan lui suffit à comprendre. Il se mit à tambouriner sur la porte de Kaz, menaçant de la faire exploser. Mais le corbeau ne dit rien.

– Kaz ! Ouvre cette porte ! Sors de là ! Qu’est-ce que t’as fait ? Pourquoi t’as fait ça ? il hurlait, attirant tous les regards sur lui. Mais il s’en fichait bien à cet instant. Matthias dût l’entraîner de force pour qu’il arrête, bousculant au passage Wylan qui n’avait toujours pas bougé. En fait, il n’arrivait pas à y croire. Son père ne pouvait pas mourir. C’était un monstre, immortel.