The Crow King

fanfiction Six of Crows incomplète, 3 chapitres


Une jeune fille se pressait rapidement dans les longs couloirs qui parcouraient la demeure des Rietveld. Les tableaux ornant les hauts murs qui l'entouraient lui donnaient froid dans le dos. De plus, il faisait sombre et elle était obligée de regarder ses pieds pour ne pas risquer de s'encoubler dans les épais tapis.

Les boucles brunes qui échouaient au creux de ses reins se soulevaient au rythme de ses pas et ses beaux yeux verts scrutaient l'obscurité avec inquiétude. Elle avait une démarche gracieuse et chic malgré sa corpulence et quelque chose dans sa tenue la rendait chaleureuse.

– Vous êtes en retard, mademoiselle Zenik ! s'exclama la grave voix du maître de maison quand elle pénétra dans le séjour.

– Désolée, maître, j'ai été prise d'un contre-temps. elle se baissa en avant, effectuant une gracieuse courbette et se redressa. Le vieil homme lui indiqua de s'approcher de lui et des deux personnes qui se trouvaient face à lui. La brunette en profita pour les détailler ; il y avait là un jeune homme qui devait être à peine plus jeune qu'elle. Sa peau était pâle, ses yeux bleus brillaient et de charmantes boucles rousses tombaient sur son front. Elle l'aurait trouvé charmant si les circonstances y étaient.

A ses côtés, une fille s'était recroquevillée sur le canapé. Sa peau était cuivrée, ses cheveux noirs identiques à des plumes de corbeau et ses yeux tout autant sombres. S'il y avait eu quelques chandelles de moins dans la pièce, Nina n'aurait pas été certaine de pouvoir la discerner au milieu des coussins moelleux du sofa.

– Nina, ma douce, j'aimerais que tu t'occupes d'eux.

– Bien, maître. elle effectua une nouvelle fois une révérence avant de faire signe aux nouveaux de la suivre. Le garçon se leva timidement tandis que la fille se laissa glisser en bas du canapé avec une aisance qui rappelait celle d'un félin. Quelque chose de sauvage et de brisé allumait son regard. Mais Nina n'aurait pas su dire quoi.

– Venez, je vais vous montrer vos chambres et vous présenter au reste du personnel. Monsieur Rietveld peut être sévère mais vous verrez que c'est un homme honnête comme il en existe peu ici, à Ketterdam. elle se força à leur sourire, essayant de leur montrer qu'ils pouvaient avoir confiance en elle. Malheureusement, rares étaient ceux qui s'acclimataient rapidement à cette nouvelle vie. Au moins, ils n'avaient pas fini dans un bordel et cela n'était pas négligeable.

Elle les entraîna à sa suite, retraversant une nouvelle fois les longs couloirs aux épais tapis. Le garçon buta quelque fois dedans, chancelant légèrement, tandis que la fille semblait se mouvoir dessus comme si elle volait à quelques centimètres du sol. Nina la trouvait étonnante et plutôt intéressante. Mais au vu de sa morphologie, la nouvelle finirait sûrement comme femme de chambre, elles n'auraient donc que peu l'occasion de se côtoyer. Elle hocha la tête comme pour se convaincre et poussa le battant de la porte conduisant aux quartiers des employés.

– Tu nous amènes de la nouvelle marchandise, Nina ? Dis-moi qu'ils ont été affectés à la cuisine ! s'exclama presque désespérément Rotty, l'intendant de cuisine.

– Désolée de te l'apprendre mais ils ne sont pas encore passés à l'inspection, tu vas devoir attendre mon vieux ! elle rit et continua son chemin jusqu'à la salle principale. Des éclats de rire et de musique s'y faisaient entendre, la brunette sourit en apercevant qui s'y trouvait.

– Matthias ! s'écria-t-elle, courant jusqu'aux bras d'un grand blond. Énorme de part sa stature, il arborait des cheveux clairs mi-longs et un regard de glace. Malgré tout, il sourit légèrement tout en soulevant la jeune fille pour la faire tournoyer dans les airs. Il était toujours déstabilisé par ces élans d'affection publiques mais cela ne l'empêcha pas de lui rendre son étreinte avant de la reposer délicatement à terre.

– Qui est-ce ? demanda-t-il, glissant sa main dans la sienne. Nina se tourna vers les deux personnes qu'elle avait laissé à la porte.

– Oh, je vous présente les nouveaux ! Par contre... Je ne connais pas leurs noms.

– Présentez-vous ! s'exclama une voix féminine dans le fond, sûrement Anika.

– W-Wylan. Je m'appelle Wylan... murmura timidement le garçon, le regard braqué sur ses chaussures. En parlant de chaussures, elles semblaient être de bien belle manufacture. S'il venait des quartiers les plus démunis, il devait les avoir volées. Il aurait pu les vendre et s'acheter de quoi manger ou même une belle chambre dans une auberge ! C'est ainsi que Nina en déduisit qu'il était sûrement un fils de riche marchand qui possédait une dette envers monsieur Rietveld. C'était aussi le cas d'Alys après tout.

– Enchanté, Wylan. Je me présente : Jesper Fahey, valet de Monsieur et sûrement l'homme le plus beau de toute cette demeure ! celui qui venait de parler s'était agenouillé face au rouquin. Il était grand et charmeur. La peau couleur chocolat, des yeux gris pétillants de malice et un sourire qui aurait fait fondre le cœur et les manières de n'importe quelle fille de bonne famille. Il se redressa et prit délicatement la main tremblotante de son vis-à-vis, déposant ses lèvres sur le dos où les veines étaient apparentes. Nina soupira en riant et l'attrapa par la manche pour le faire reculer.

– Pardonne-le, il est comme ça avec tout le monde.

– Non, seulement avec les belles personnes.

– Je suis honoré, Jesper. ricana Matthias en secouant la tête. Le concerné piqua un fard et s'éloigna bien vite du grand colosse blond.

– Et toi ? demanda Jesper depuis le fond en pointant la fille du menton. Elle n'avait pas quitté le pas de la porte depuis le début et semblait étrangement sur la défensive.

– Heleen. elle avait parlé doucement mais son ton était rageur.

– Elle a un accent suli.

– Ce n'est pas un prénom de là-bas, ça.

– Elle ment.

– Laissez-la, si elle veut reprendre un nouveau départ c'est son droit. s'énerva la brune à l'entente des remarques qui fusaient de toutes parts.

– Soyez les bienvenus parmi nous. ajouta-t-elle en se tournant vers eux. Wylan secoua légèrement la tête tandis qu'Heleen restait stoïque, mi-courbée comme si elle était prête à bondir au moindre mouvement suspect.

Alors qu'ils s'apprêtaient à passer à table, Nina ayant montré les lieux à leurs nouveaux collègues, un jeune garçon arriva en courant dans la pièce. Ses gestes saccades le firent renverser le plateau qu'il portait.

– Kuwei ! Tu ne peux pas faire attention ! s'énerva Rotty en accourant pour ramasser la nourriture qui s'était déversée sur le sol.

– Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Nina, inquiète de voir son jeune ami dans un tel état.

– C'est maître Kaz ! Il a encore fait des siennes !

– C'est habituel de sa part, pourquoi est-ce que tu réagis comme ça ?

– C'est qu'il a décidé d'inspecter toute la maison ! Il arrive ! sa voix se brisa tandis que le silence prenait place dans la salle à manger. Nina se leva, la détermination pouvant se lire dans son regard. Elle indiqua ses ordres à voix basse et chacun lui obéit, se mettant à courir partout en se faisant le plus discret possible.

– Qu'est-ce qu'il a de si terrible ce Kas ? la voix timide de Wylan retentit dans le silence désespéré des autres. Ce fut Jesper qui lui répondit.

– Kaz. Comment dire... Maître Rietveld a deux fils : Jordie, l'aîné et Kaz, le cadet. Jordie est rarement ici, il voyage aux quatre coins du monde pour les affaires de son père. Tandis que Kaz... C'est un enfant turbulent. En fait depuis la mort de madame Rietveld, il n'écoute plus personne. Et généralement ses visites ne sont pas de bonne augure. La dernière fois, il a cassé le poignet de Big Bolliger, un des portiers, sous prétexte qu'il l'avait vu reluquer Anika !

– Et n'est-ce pas bien ? De défendre les femmes qui travaillent pour lui.

– Ce n'est surtout pas vrai, Bolliger ne ferait jamais ça ! il s'apprêtait à ajouter quelque chose mais le bruit significatif d'une canne retentit dans le couloir. Tout le monde se redressa et se mit en rang, face à la porte. Même Rotty, d'habitude emmailloté dans son tablier sale s'était changé.

Entra alors Kaz Rietveld, le fils cadet du plus grand marchant de Kerch. Son regard noir avait l'effet coupant d'une lame de rasoir. Sa posture, droite et imposante ne laissait pas la place aux murmures qui habitaient l'espace à peine quelques secondes auparavant. Ses cheveux avaient dû être soigneusement coiffés le matin même mais désormais ils démontraient que le jeune homme avait sûrement fait beaucoup d'exercice. Sa chemise sortant négligemment de son pantalon noir appuyait cette supposition. D'ailleurs il en avait relevé les manches. Des traces tantôt violacés, tantôt jaunâtres étaient donc visibles sur l'entièreté de ses avants-bras. Néanmoins, il portait une paire de gants. En cuirs, qui grinçaient contre le pommeau de sa canne. A l'effigie d'un corbeau, il semblait aussi inquiétant que l'était son possesseur.

Nina fit un pas en avant et se courba avant de se redresser.

– Bienvenue, monsieur Kaz.

– Bonjour, Nina. sa voix était froide et un frisson parcourut l'échine de tous les employés.

– Désirez-vous une tasse de thé ?

– Un café. Noir, s'il te plaît. il se déplaça lentement dans la modeste pièce, promenant ses yeux noirs sur chaque élément du décor. Même claudiquant, il restait incroyablement terrifiant. Wylan fixait toujours ses chaussures avec autant d'ardeur qu'avant, de peur d'attirer l'attention. Heureusement pour lui, le jeune corbeau le dépassa pour s'arrêter devant Heleen.

– Qui est-ce ?

– Une nouvelle employée, monsieur. Elle s'appelle Heleen.

– Une suli avec un nom kerch ? Curieux. Quel âge as-tu, Heleen ? il planta dangereusement ses prunelles dans les siennes. N'importe qui aurait reculé, se serait senti menacé. Mais pas elle. Au contraire, elle se redressa un peu et de sa voix claire et sifflante elle lui répondit.

– Seize ans, monsieur.

– Elle est jeune ! Mon père n'a donc plus de limites. observa-t-il, parlant sûrement à Jesper ou Nina qui se trouvaient dans la cuisine. Et avant que quiconque aie pu réagir, la jeune fille suli se baissa, attrapa une lame qu'elle semblait avoir caché dans son pantalon et poignarda Kaz dans l'estomac.

– Ça, c'est pour mes parents, demjin.

Kaz Rietveld ne se laissait jamais avoir. Jamais. Ce n'était pas dans ses habitudes de se montrer faible ou en proie à ses peurs. Pourtant, la jeune fille qui l'avait attaqué pu facilement déceler la surprise et la rage qui traversèrent le regard assombri du jeune homme. Bien qu'il aie été touché, il se redressa rapidement et lui sauta dessus. Mais elle glissa hors de son emprise comme un poisson dans l'eau. Son corps se mouvait avec tellement de légèreté et d'aisance que la plupart des personnes présentes dans la pièce ne purent rien faire à part admirer le spectacle qui s'offrait à eux.

Matthias ne faisait pas partie de cette majorité, c'est donc tout naturellement qu'il partit à son tour à la chasse. Devinant sa trajectoire, il se plaça devant la porte, bloquant l'accès à la jeune étrangère. Celle-ci ne sourcilla pas et fit donc marche arrière mais elle se heurta à Jesper qui l'attendait, prêt à en découdre. Pourtant elle le contourna sans problème. Mais à cause de toutes ces personnes qui se mettaient sur son chemin, elle ne fit pas attention à Nina et Kuwei qui avaient tendu une corde le long du sol. Elle se prit les pieds dedans, roula sur le sol et se releva tout aussitôt, tombant directement dans les bras du jeune maître de maison qui raffermit son emprise sur elle. Cette fois, il ne la laisserait pas s'enfuir.

– Qui es-tu vraiment ? le ton froid qu'utilisa Kaz laissait bien entendre qu'il ne serait pas clément. Pourtant la jeune coupable qui avait été attachée fortement à une chaise, ne répondit pas. Elle le défia du regard, lançant des éclairs avec ses yeux.

– Je ne suis pas là pour rire. Tu m'as littéralement transpercé avec une lame ! s'exclama-t-il en pointant sa chemise tachée de sang sous laquelle Nina avait réparé sa blessure.

– Si je voulais rire je ne vous aurais pas transpercé avec ma lame, monsieur.

– Jesper, elle est drôle n'est-ce pas ?

– Si je puis donner mon avis, je dirais que son humour et le mien n'ont pas grand chose en commun, monsieur.

– Navrant, vous auriez fait un bon duo d'humoristes. le jeune homme esquissa un demi-sourire avant de se tourner à nouveau vers celle qui l'avait attaqué auparavant.

– Tu as tâché ma chemise. Et tu as essayé de me tuer. Je pourrais tout raconter à mon père, tu finirais à Hellgate.

– Je ne sais pas ce que c'est.

– La pire des prisons.

– La pire des prisons serait de travailler ici.

– C'est drôle toute personne normale aurait dit qu'il s'agissait du Palais des Glaces ! il ricana à nouveau mais cela sonnait faux. Voyant qu'il ne tirerait rien de cette étrange fille avec la manière douce, le jeune homme s'éloigna de quelque pas, se craqua les doigts et attrapa sa canne qu'il avait auparavant confiée à Jesper.

– Je n'ai pas d'autre choix que d'utiliser la manière forte, Heleen. Qui es-tu ? tout en posant sa question, il avait pressé le bout de sa canne contre les côtes de la Suli. Comment elle ne répondait pas, il fit simplement pivoter l'objet et un craquement terrifiant se fit entendre. Les employés retenaient leur souffle alors que les mâchoires de la jeune fille se serraient.

– Je répète ma question: Qui es-tu ? son ton était glacial mais une fois encore, elle ne dit mot. Alors un second craquement retentit dans la pièce. La douleur se lisait sur le visage cuivré. Elle ferma les yeux et commença à murmurer tout bas, des paroles incompréhensibles.

– Jesper, que dit-elle ? le concerné se rapprocha à la demande de son maître et écouta soigneusement ce qu'elle disait.

– Elle prie, monsieur.

– Prier ?

– Oui.

– Qui prie-t-elle ?

– Des dieux Sulis j'imagine, monsieur.

– Bien. Qu'elle continue de prier alors. Elle se rendra compte qu'aucun de ses dieux ne viendra la sauver. et à mesure que les murmures s'intensifiait, la rage du garçon augmentait.

Alors qu'il venait de lui broyer une troisième côte, il s'emporta.

– Sortez. Sortez tous ! Sauf vous, Jesper et Nina. Vous restez. Matthias aussi. Devant la porte. Je ne veux personne d'autre. ils obéirent tous rapidement, quittant la pièce sans demander leur reste. Ils avaient l'habitude des accès de colère de l'adolescent mais cela n'était jamais agréable de voir une personne souffrir ainsi sans pouvoir rien y faire.

Une fois qu'ils furent tous sortis, il laissa tomba sa précieuse canne sur le sol et s'approcha dangereusement d'Heleen.

– Tu veux jouer ? Alors on va jouer, petite Suli. il posa une main gantée sur sa joue et la glissa jusque dans ses cheveux. Nina et Jesper considéraient la scène d'un œil inquiet, ne sachant pas jusqu'où serait prêt à aller Kaz. Ce dernier venait de défaire la tresse de la jeune fille et plaçait ses cheveux de chaque côté de son visage. Ensuite, il attrapa l'une des lames qu'ils avaient trouvé sur elle et la soupesa avant de la faire virevolter entre ses propres doigts.

– Je veux ton prénom.

– Sinon quoi?

– Je vais te découper lentement avec tes propres lames.

– Vas-y. elle fronça les sourcils et prit une grande inspiration. Le jeune homme se pencha sur elle mais au lieu de lui faire mal, il délia un peu ses liens.

– Je n'arriverai à rien en usant de la manière forte. Alors maintenant que tu es libre, vas-tu me dire qui tu es ?

– Dans vos rêves. et tout en prononçant le dernier mot, elle lui décocha un coup de pied dans l'abdomen, là où elle l'avait poignardé, avant de sauter et de courir jusqu'à la porte. Malheureusement, elle avait oublié la présence du colosse blond qui l'attrapa fermement et la maintint contre son torse.

– Parfait Matthias ! s'exclama le corbeau en se redressant à l'aide de sa canne. Le blond opina du chef tout en ramenant la jeune fille à son patron.

– Si je vous donne mon prénom, me laisserez-vous partir ? demanda-t-elle de sa voix méfiante tandis que le colosse l'attachait à nouveau sur la chaise.

– Non.

– Alors à quoi bon discuter avec vous ?

– Je ne sais pas, pourquoi ne pas faire connaissance avec la fille qui a tenté de m'assassiner ?

– Je ne voulais pas vous assassiner.

– Ah bon ? Tu m'as planté un couteau dans l'abdomen pour rire ?

– Je l'ai fait pour mes parents.

– Ah. Tes parents ? Et qu'est-ce que j'ai à voir avec tes parents ?

– Vous les avez tués, monsieur.

Un silence désagréable prit alors possession de la pièce. Le jeune maître de maison se tenait toujours debout, appuyé sur sa canne, face à Heleen. Pourtant, il ne savait pas quoi répondre à ses accusations. Lui qui avait toujours une excellente répartie se trouvait dos au mur. Oui, on l'avait souvent accusé d'avoir fait des choses terribles. Mais un meurtre ? C'était une première. Il tentait tant bien que mal de chercher dans sa tête le souvenir d'un couple suli qu'il aurait pu blesser mortellement mais il en était tout simplement incapable. Cela le rongeait.

– Je n'ai jamais commis un tel crime, cesse donc de m'accuser de quelque chose de si lourd !

– Je ne fais que rapporter la vérité. elle planta ses prunelles dans son regard et il ressentit le poids de ses paroles au plus profond de son cœur. D'un simple geste de la main, il indiqua à ses employés de sortir aussi puis il tira une chaise et l'installa face à la jeune suli. Il cherchait ses mots, se sentait maladroit et misérable. Cela ne lui arrivait jamais.

– Raconte-moi. Ton histoire.

– Il n'y a rien à dire. Ma famille était nomade, comme mon peuple. Nous ne sommes pas venus à Ketterdam par plaisir mais par obligation.

– Que veux-tu dire ?

– Je m'appelle Inej Ghafa. Et mes parents sont venus ici pour creuser leur tombe.

Ghafa. Soudainement, comme frappé par les souvenirs que lui rappelaient ce nom, il se leva. Les Ghafa étaient une famille d'acrobates itinérants. Les meilleurs de tout Ravka disait-on. Pour son douzième anniversaire, Kaz avait demandé à ce qu'ils se produisent à sa fête. Son père avait cédé, à l'image de tous ses autres caprices. Sa mère venait de disparaître, il n'osait rien lui refuser. Le jour était venu. Les Ghafa lui avaient offert un spectacle inoubliable. Mais une journée à peine avait passé que les cloches sonnaient partout dans la ville; une épidémie de peste avait frappé. Kaz n'y avait assisté que de loin, à l'abri derrière la grille de la maison de son père. Mais tous n'avaient pas eu cette chance. Beaucoup des personnes travaillant dans sa demeure à présent avaient perdu un ou plusieurs de leurs proches durant cette période sombre. Cela devait être le cas de celle qui se tenait face à elle. N'était-elle donc jamais rentrée chez elle ? Ses parents avaient fait les frais d'un caprice d'enfant. Mais personne ne pouvait prévoir cet événement ! Ce n'était que les conséquences d'un timing terriblement mauvais.

– I-Inej... C'est ça ?

– Oui.

– Je suis désolé pour tes parents.

– Être désolé ne les ramènera pas.

Il se rappelait des acrobaties. Des cercles de feu. D'une enfant perchée sur une corde à des mètres du sol. Elle avançait avec tellement de légèreté, il aurait juré voir un félin tant elle en avait la grâce. Elle portait une couronne de fleurs. Il ne se rappelait plus de quelle variété il s'agissait. Mais à un moment, elle avait trébuché. Au sommet, au milieu du vide. Les pétales s'étaient éparpillés dans les airs. Les autres enfants riaient aux éclats, tentant d'attraper ces pétales volatiles. Mais Kaz lui, n'avait pas pu détacher une seule fois son regard de la frêle fillette. Elle souriait. Plus pour elle-même que pour la foule à ses pieds. Elle avait un sourire malicieux, un air espiègle sur le visage.

Mais maintenant, elle avait vieilli. Dans ses yeux brillait la haine et aucun sourire n'allumait plus son doux visage. Pourtant, il s'en rappelait. Comme s'il s'agissait de la veille. Il se souvenait parfaitement de la sensation de son cœur qui s'arrêtait, par peur pour elle. L'époque où il était encore capable de ressentir des choses pour les autres.

– Inej.

– Kaz Rietveld.

– Je me souviens de toi. Tu portais une couronne de fleurs. Tu n'es pas morte.

– J'ai été gravement malade.

– Tu as survécu.

– Mes dieux ne m'ont épargnée que pour un seul but.

– Tes dieux prônent la vengeance ?

– Mes dieux prônent la justice.

Il se sentait subitement vraiment mal. Son cœur battait rapidement. Mais il ne laissa rien transparaître.

– Si tu cherches la justice, pourquoi ne pas t'être attaquée à mon père ?

– Ce n'est pas lui qui a demandé à ce que ma famille monte un spectacle pour son anniversaire.

– Déjà à l'époque, tu étais sauvage. Tu avais refusé une part de gâteau.

– Je n'étais pas venue pour le gâteau.

– Si je te laisse partir, où irais-tu ? Et qu'as-tu fait durant ces dernières années ?

– J'ai accumulé mon courage.

– Tu es forte, Inej.

– Je le sais. Pas besoin de me le dire. à l'entente des paroles de la jeune fille, Kaz réussit à reprendre un peu le contrôle sur son attitude et esquissa un rictus.

– Que dirais-tu de travailler pour moi ?

– J'ai essayé de vous tuer.

– Je sais. Ce qui prouve que tu n'as peur de rien. Écoute, les gens en ville disent que je ne suis qu'un sale gosse de riche capricieux. Et je me sers de cette image qu'ils ont de moi pour organiser toutes sortes de tournois pour le moins... Illégaux. J'ai de l'argent et j'ai surtout besoin d'un garde du corps qui se fasse moins remarquer que Matthias — ce mec est une montagne ! Il éloigne chaque rival potentiel. Tous ont peur de ce qui pourrait leur arriver. Accepte. Et tu auras toute la liberté que tu souhaites.

– Comment pourrais-je être libre en travaillant pour vous ?

– Réfléchis-y, tu serais nourrie et logée. Je n'aurais besoin de toi que le soir. Bien évidemment, tu auras un salaire.

– Je ne veux pas de votre argent sale.

– Alors quoi ? Veux-tu vraiment retourner à ta vie d'avant ? Mon père m'a dit que tu avais été trouvée dans un bordel. elle ne dit rien et soupira. Pourquoi pas après tout ? Elle ne pourrait que mieux se rapprocher de lui pour lui faire payer la mort de ses parents.

Et elle ne voulait pas retourner chez la vraie Heleen.

Le calme était revenu dans la pièce commune. Personne ne savait vraiment ce qu'il s'était passé durant leur absence mais la jeune étrangère était toujours là. Elle mangeait sa soupe dans son coin, sans adresser un seul regard à quiconque. Nina s'était efforcée d'expliquer aux autres qu'il ne fallait pas la blâmer pour ses actes et qu'elle et Jesper avaient la situation sous contrôle. Ce qui était complètement faux ; elle ne savait même pas ce qu'il s'était passé après qu'ils soient sortis de la pièce. Et cela lui faisait peur, elle ne pouvait pas le nier. Elle connaissait bien Kaz, pour l'avoir observé pendant de longues heures. Elle ne lui inspirait vraiment pas confiance. Tout en lui suintait la rage. Personne ne savait ce qu'il s'était passé. Avant, c'était un adorable petit garçon bien que capricieux, il avait un bon fond. Mais maintenant, il trempait dans toutes les pires affaires du Barrel.

– Nina ? Ça va ? la voix de Matthias la tira de ses pensées et elle se rendit compte que tous la fixaient.

– Euh oui ?

– Et donc ?

– Donc quoi ?

– Et bien Alys voulait savoir si avec tout ce qu'il s'était passé, la fête de fin d'année serait maintenue. son regard se posa sur la jeune fille en question. Alys était une des dernières à être arrivée dans la demeure des Rietveld.