Son sourire, ses yeux, ses chv'eux. Cette fille, c'était ma dope. Ma meilleure amie, mon âme sœur. J'suis qu'un con. J'l'ai perdu comme on oublie de nourrir le chat en partant en vacances. Vous rentrez chez vous, y'a plus rien. Plus rien à part un mot. Ou un chat mort, si on s'en tient à l'exemple. J'étais pas doué avec les mots alors elle parlait pour deux. On sortait pas souvent. Pas l'envie, pas l'temps. C'était juste elle et moi, dans ma piaule pendant des heures. On f'sait rien de très spécial. Des trucs d'ados un peu cons quoi. La plupart du temps, elle me parlait d'ses rêves et je l'écoutais, la clope au coin des lèvres. J'me souviens, un jour elle m'avait demandé c'était quoi mes rêves à moi. J'avais rien répondu. La peur d'paraître con sûrement. Mon seul rêve, c'était elle. Polly. Polly et ses blagues pourries qui ne f'saient rire qu'elle. Polly et sa manie d'rendre tout le monde heureux. Polly et son envie d'un monde parfait. Plus j'y pense, plus j'me dis que j'suis vraiment qu'un con. En fait, ils m'l'ont tous dit. C'était sur un ton amer, ce ton d'reproches qui t'pique le cœur. Ouais, ce putain d'ton qu'elle utilisait quand j'faisais la connerie de trop. Cet enfoiré d'ton qu'elle a utilisé les jours précédents ce jour-là. Le jour où Polly est partie. Ouais, j'crois bien que c'est à c'moment là que j'ai compris ce que signifiait la vie. Elle me manque. Un peu trop. Chaque jour qui passe sans elle est un rappel. J'suis toujours dans ma piaule, le cancer dans la bouche et la rage dans le cœur. J'veux plus voir personne. À quoi bon ? Ils vont tous m'rappeler à quel point j'suis qu'un connard prétentieux. Ouais.
Putain. J'aurais dû aller la voir. Ces derniers temps elle parlait moins qu'avant. Son sourire était en carton. Sa joie était imaginaire. J'ai pas tilté tout d'suite que y'avait un problème. Puis j'suis allé voir Clyde. Il avait besoin d'moi pour une quelconque affaire futile. J'l'ai embrassée, j'lui ai rappelé que j'l'aimais plus que tout. Elle a sourit. J'suis partit. J'vous promet, j'avais pas oublié d'nourrir le chat. Mais quand j'suis rentré, y'avait pas d'chat ni d'mot. Juste ce putain de corps sans vie qui gisait dans l'salon. J'ai pas réagit tout de suite. Trop choqué. J'comprenais pas sur le coup, pourquoi elle avait fait ça. Puis les morceaux se sont assemblés. Ouais j'ai vite pigé. Elle était détruite. Pas extérieurement. Nan. C'était d'l'intérieur. Un mélange de tristesse et de rage. C'que je ressens en ce moment. Ouais.
Polly est morte à cause de moi.
J'l'ai détruite et putain, elle me manque.
La première fois qu'on s'est rencontrés, elle et moi, c'était à l'anniversaire de Bebe. Clyde et Token m'avaient tiré là parce qu'ils trouvaient que j'passais trop de temps seul. C'qui n'était pas faux. Le truc c'est qu'j'étais bien avec ma solitude et mes clopes. J'avais b'soin de rien d'autre. Et puis j'l'ai vue. Ses yeux bruns chocolat semblaient grandement ennuyés et ses cheveux noirs étaient tressés en une couronne sur sa tête d'ange. J'vous jure que si j'avais pas posé mes yeux sur elle au moment où elle me regardait avec ce putain de sourire victorieux, j'aurais jamais pensé devenir son ami.
Après la fête, on avait échangé nos numéros. Le truc c'est qu'aucun des deux n'a fait l''premier pas avant trois semaines.
C'était une fin de soirée d'automne, le temps était frais mais aucun nuage n'perçait dans le ciel. Comme d'hab', j'végétais sur mon matelas en réfléchissant au sens de la vie. En soit, rien de très inhabituel mis à part que j'avais plus de clope. J'avais beau hurler le nom de ma charmante petite sœur, cette peste de Ruby n'venait pas.
J'ai pris mon courage à deux mains, laissé ma flemme dormir sur le matelas et passé un jean noir propre. Ma parka bleue sur le dos et mon bonnet péruvien sur les oreilles, j'suis sortit de la maison.
Le truc, c'est qu'elle était là. Debout de l'autre côté de ma rue. Quand elle m'a vu, son visage s'est un peu ébloui et elle a traversé sans même faire gaffe. Elle s'est plantée devant moi et m'a sourit.
« – Je t'en supplie, emmène-moi loin d'ici. »
J'ai acquiescé. Au diable les clopes. Elle m'a suivi jusqu'à mon vélomoteur défoncé et on s'est barrés. On allait vite, un peu trop même mais elle avait b'soin d'oublier ses problèmes et moi, d'adrénaline. On a roulé un moment en dehors de la ville avant qu'elle me d'mande d'arrêter.
Elle est descendue et j'l'ai un peu mieux détaillée. Un t-shirt trop large, un jean noir simple accordé à ses cheveux courts qui lui arrivaient au dessus des épaules. Ses yeux brillaient. Même dans la nuit noire, j'les distinguais parfaitement. Deux parfaits joyaux scintillant.
À peine j'avais fini d'la regarder sous toutes ses coutures comme un parfait connard, qu'elle s'était mise à hurler. Pas un cri aigu comme font les filles d'habitude. C'était un cri d'rage, quelque chose qui vient du cœur. C'était un cri d'amour. Ouais. Elle était amoureuse. Elle était tombée ouais, mais elle s'était relevée sans peine. D'mon côté, j'étais tellement tombé amoureux d'elle qu'j'étais prêt à recoller les morceaux d'son coeur pour qu'elle puisse réapprendre à aimer. Et putain, c'que j'aurais aimé que ce soit moi qu'elle aime.
Plus tard, ce soir-là, elle m'a raconté l'histoire de ce mec qui l'avait faite hurler comme ça. Un fils de pute prénommé Michael, un ancien gothique.
« – Il avait un truc en plus, tu sais ? Il était plus tant gothique que ça mais ses habits noirs et tout... Ça me rendait vraiment amoureuse. Il était vraiment gentil avec moi et puis... Il est sortit avec Henrietta. J'aurais dû m'y attendre. Je le savais. Mais bon, j'ai été aveuglée par mes sentiments. »
C'est con l'amour. Alors pourquoi ? Pourquoi quand j'la voyais si triste j'avais envie d'la prendre dans mes bras ? Elle me donnais envie d'être gentil. Comme Butters. Ouais. J'suis sûr que Butters l'aurait adorée. Ils l'auraient tous adorée. J'avais prévu d'la garder pour moi. C'était un trésor inestimable. Pas un objet. Une personne rare et précieuse. Et putain, je l'aimais.
Le jour où j'lui ai dit que je l'aimais pour la première fois, c'était trois mois après notre première rencontre. On était sortis acheter des clopes et de la bière parce qu'on était en rad. Comme l'essence était chère et qu'on avait pas vraiment d'tune, on y est allé à pieds. L'hiver avait déposé son épais manteau blanc sur la ville et le froid s'était ram'né avec. On s'tenait la main pour s'les réchauffer et on marchait sans trop parler. Alors qu'on avait dépassé la maison de Kyle Broflosvki et qu'on était presque à la supérette. J'ai totalement déconné. Moi, l'grand Craig Tucker. Le rebelle sans coeur. Celui qui f'sait fondre toutes les filles. J'me suis stoppé d'un coup. J'l'ai placée face à moi. Et c'est sortit tout seul.
« – Polly, je t'aime. »
Malgré la noirceur de la nuit, j'ai vu ses pommettes pâles qui rougissaient et elle a baissé les yeux. J'ai vraiment été con. Mais... J'avais b'soin qu'ça sorte. C'est comme ça.
On a continué notre route sans rien dire de plus et on r'fait le chemin inverse d'la même façon. C'était pas un de ces silences gênés. Elle et moi, main dans la main, au milieu de la neige éclatante. Une fois chez moi, elle s'est assise sur mon lit. Moi étalé à côté d'elle. C'était bizarre un peu. Mais pas plus que d'autres fois. Elle s'est couchée elle aussi et s'est tournée vers moi. J'ai fais pareil. Nos nez se touchaient, nos yeux ne se lâchaient pas. J'ai fais l'premier pas et j'l'ai embrassée. Elle a pas reculé. En fait, elle a même pas réagit tout de suite. Comme si elle attendait d'voir si ça lui arrivait vraiment. Puis elle m'a embrassée à son tour. C'était pas dur, fougueux. C'était le meilleur baiser d'toute ma vie. Un truc doux. Ça m'changeait des autres harpies qui n'voulait que baiser et m'embrassaient en coup d'vent. Nan. Avec Polly c'était magique. Ce baiser j'l'ai toujours sur les lèvres. Pour le revivre, j'ai juste à fermer les yeux.
Après ça, on s'est séparés. Elle a braqué son regard si brillant sur les étoiles phosphorescentes du plafond et elle a rien dit avant quelques minutes.
« – Moi aussi, je t'aime. Beaucoup. Bien plus que j'ai jamais aimé quiconque. Et ça me fait peur. »
« – Pareil. J'pourrais me pisser dessus tellement c'est flippant. »
Elle a rit. C'était un rire doux, comme ses baisers. En réalité, elle riait souvent mais pas de cette façon. Là c'était... unique.
Tout comme elle.
J'avais prévu d'jamais la leur présenter. J'voulais la garder pour moi. Comme une sorte de liaison secrète. Mais bon, tout c'que j'prévois part toujours en couilles donc voilà quoi; un mois après qu'on se soit avoué nos sentiments, une sortie avec Polly, Clyde et Token était prévue. Comme à son habitude, même sans rien faire, elle était sublime. Et moi j'ressemblais toujours à un drogué en manque d'coke. Avec ma peau blanche comme un doliprane, mes cernes tellement grandes et violettes qu'on aurait dit des minis-barbapapas et mes fringues sales... j'payais vraiment pas d'mine. Mais bon, j'allais pas faire des efforts pour ces deux enculés !
Elle m'a demandé où on avait rendez-vous, j'savais pas et elle a rit. Comme mon portable avait plus d'batterie et qu'mon chargeur était mort, on s'est dit qu'on avait qu'à aller au fast-food du coin.
Bingo ! Ces deux idiots nous y attendaient. Mais l'truc c'est que, comme chaque sam'di soir, tous les jeunes d'la ville se rejoignaient ici. Donc quand Polly et moi, on est entrés dans l'fast-food, une multitude de p'tits regards d'rats se sont tournés vers nous.
« – Eh mais si c'est pas Tucker et sa nouvelle pute ! »
Cet enculé de Kyle pouvait pas se la fermer ? J'pense que si Polly avait pas glissé sa main dans la mienne, j'lui aurais défoncé sa sale gueule de roux.
On a rejoint Clyde et Token et j'suis partit prendre nos commandes. Cinq minutes plus tard, j'étais de retour à côté de Polly et des cons.
« – Et alors... T'aimes quoi comme genre de musique ? »
Clyde avait toujours été nul pour faire semblant de s'intéresser aux gens. Parce que, bien évidemment, Clyde ne s'intéresse qu'à sa propre personne. C'est plus fort que lui. Il a d'jà essayé d'en apprendre plus sur les autres mais il n'a pas réussi à aller plus loin que Token, Tweek et moi. Pauvre Clyde. Bref, revenons à nos gigots.
Après cette question nulle, Polly a juste baissé les yeux sur son t-shirt et l'a pointé.
« – Ah je vois... Le rock et le métal... »
Non mais j'vous jure, même si il aurait voulu faire exprès de paraître désintéressé il aurait pas pu.
« – Et toi ? Tu aimes quel genre ? Tu sais j'aime le rock et le métal mais j'adore énormément les vieux rappeurs et aussi la musique classique ! »
Étonnamment, dès que Clyde a entendu la voix enchanteresse de Polly, il s'est réveillé et la discussion fut directement bien moins chiante.
On a parlé pendant un petit moment avant que Kenneth McCormick, un fils de pute de première, s'incruste à notre table.
« – Hey ! Salut Polly ! »
Le problème avec cet enfoiré, c'est qu'il était beau. Genre vraiment super beau. J'pense que si j'avais été gay j'aurai bandé juste à l'entente de son nom. Donc comprenez que j'aimais pas trop l'fait qu'il s'approche de ma Polly.
« – Salut Kenny, je t'avais pas vu. »
« – Ah ouais ? Moi je t'ai remarquée dès que t'es entrée... Tu sors avec ce tocard ? »
Le tocard dans la bouche de McCormick, c'était moi. J'ai grogné mais elle a posé sa main sur ma cuisse et a hoché de la tête.
« – Craig est mon petit ami. »
Je sais pas si c'était normal le trou de silence qu'il y'a eu à c'moment là mais bordel, j'suis sûr que tous le fast-food a entendu sa déclaration. D'un côté, ça m'gênait. Ouais, j'l'aimais à la folie, on passait tout notre temps ensemble, on avait des délires chelou, on s'embrassaient, on s'tenait par la main, on couchait ensemble mais... Mais j'avais jamais pensé comme ça. J'savais même pas vraiment c'que c'était que sortir avec une fille. On avait rien officialisé. Et pouf, elle sortait ça.
Mais le plus choqué ça a été McCormick qui a fait une tête pas possible avant d's'éloigner vers des potes en grognant.
« – Kenny est con mais, au fond, c'est un gars adorable ! »
« – Comment tu le sais ? »
Clyde s'intéressait vraiment à elle, c'en était presque flippant.
« – Je suis sortie avec lui pendant deux ans. Même si il veut jouer les durs, au fond il a un cœur de chaton. »
J'ai recraché mon coca. J'm'y attendais pas. Maintenant qu'elle le disait, j'me suis rappelé quand on avait quatorze ans, cet enculé arrêtait pas d'nous parler de sa fabuleuse copine. Sauf qu'on a tous cru qu'elle existait pas vu qu'il refusait d'nous la présenter. Quel connard...
Quand on découvre la personne qu'on aime en train d'se vider d'son sang sur le sol de son salon, j'vous jure on est pas bien. Quand j'ai vu Polly, j'ai paniqué. Mon cerveau a tout d'suite comprit que c'était foutu mais j'me suis quand même jeté sur elle pour la sauver. J'ai toujours pas compris d'où venait tout c'sang mais c'est que j'sais c'est que quand Ruby est rentrée, j'en avais autant sur moi que c'que y'avait sur le sol. Elle aussi, elle a paniqué. Mais dans un ordre intelligent; elle a appelé une ambulance puis elle s'est mise à courir partout pour trouver un détergent. Bah oui, comprenez-la: cette semaine-là c'était son tour de faire le ménage du salon et nous savons tous que le sang séché n'est pas le plus facile à nettoyer d'un tapis. Puis l'ambulance est arrivée. Un mec, j'sais plus trop qui, a dit que, vu son état, on aurait mieux fait d'appeler direct la morgue. Alors j'ai frappé cet enfoiré. J'ai fini au commissariat pendant qu'ils emmenaient le corps sans vie de Polly loin d'moi. Trop loin. Beaucoup trop loin d'moi. J'ai passé une nuit en prison parce que l'autre emmerdeur a porté plainte contre moi. J'me suis vu crever cent fois pour la rejoindre.
Sans elle, j'étais rien. Juste un mec lambda sans avenir qui préfère fumer plutôt que d'trainer avec ses potes. C'était mon air, ma coke. Ce putain d'monde en noir et blanc reprenait ses couleurs avec elle. La vie en rose, c'était elle qui l'avait inventée. Le bonheur était né ce putain d'quinze juin, y'avait dix-sept ans d'ça et il était mort en dix minutes. Ouais. Le médecin légiste a dit qu'elle était morte en dix minutes. Ce fils de pute a dit que c'était rapide pour une blessure à la tête. Alors déjà, j'sais même pas si c'est possible de calculer en combien de temps est mort quelqu'un mais si en plus il dit que dix minutes c'est rapide pour mourir, c'est qu'il a eu son diplôme sur Ebay. Dix minutes, seule, pleine de sang. J'arrête pas d'y r'penser.
J'me demande c'que y'avait dans sa tête pendant ces dix minutes. Elle a pensé à moi ? Ce putain d'lâche qui l'a laissée seule. Ou à ses parents qui s'en foutaient trop d'elle pour se douter qu'leur fille mourait seule ? Elle a p't'être pensé à Michael, McCormick et tous les autres mecs avec qui elle est sortie. Ou alors une ribambelle de souvenirs joyeux lui ont traversé la tête ? J'en sais rien. C'que j'sais c'est qu'tout le monde me déteste. Mais personne ne pourra jamais me détester autant que j'le fais moi.
Quand ils l'ont enterrée, j'ai même pas osé m'approcher. Ça m'faisait peur. Comprenez moi, c'était trop réel pour moi. Et puis, j'avais encore ses baisers sur les lèvres, son rire dans les oreilles et son sang partout sur mon corps. Les mains, les joues, la nuque mais aussi les jambes. Cette odeur puissante collée dans mes narines. Cette imagine violente imprimée sous mes paupières. J'dormais plus. Hanté par son spectre. Rapidement, ils ont tous dit qu'c'était ma faute. Tous. Les gens qui m'aimaient pas, mes amis, mon père, ma mère. Y'a juste Ruby qui est restée d'mon côté. Les autres... Ils ont tous trouvé bien plus facile d'me rejeter la faute dessus. Mais le problème, c'est qu'j'avais besoin de compagnie.
Au moment de ma vie où j'me sentais le plus seul, y 'avait plus personne pour moi. Même mes amis de toujours, Clyde, Token et Tweek m'avaient abandonnés. Alors j'me suis renfermé sur moi-même. Encore plus qu'avant. La seule chose dont j'avais b'soin c'était Polly. Juste Polly. Je voulais entendre son rire encore une fois. Revoir son sourire. La serrer dans mes bras. Sentir son odeur dans mes vêtements. M'faire engueuler doucement quand j'buvais trop. Traîner avec elle main dans la main. Aller au fast-food. Fumer ensemble. L'embrasser. Caresser sa joue. Me noyer dans ses yeux. L'embrasser encore. Et encore. Et encore. Lui faire l'amour. Et puis l'embrasser. J'voulais encore faire tant d'choses avec elle. Mais...
Mais Polly est partie et elle r'viendra plus dans c'monde pourri.
On est jamais vraiment seul dans la vie. Bien sûr, physiquement, on peut l'être. Mais mentalement... C'est autre chose. Y'a tout ces souvenirs, ces voix qui vous reviennent en boucle. Comment être seul alors que y'a quinze autres personnes dans votre crâne ? Le pire c'est pas que y'en aille autant. C'est qu'elles s'empiètent les unes sur les autres. Aucun moment de répit. Heureusement, elles me tenaient loin des cauchemars nocturnes. Avec leurs voix piaillantes, j'dormais pas d'la nuit. Et ça m'allait.
Dans l'noir y'avait des souv'nirs. Mais y'avait aussi Polly. Quand la lumière était éteinte et que j'tentais de dormir, elle se posait au bout du matelas et s'ajoutait aux autres voix. Mais la sienne était plus forte.
Et plus sa voix devenait forte, plus les souvenirs me revenaient en mémoire. Les souvenirs heureux. Ceux un peu moins. Et le pire.
Dès que mes paupières étaient closes, l'odeur nauséabonde de sang revenait siéger dans mon nez. Elle était tellement forte que j'en vomissais. En plus de cette odeur horrible, y'avait aussi les images. Chaque nuit, Polly revenait.
Au début, c'était que des bribes de souvenirs. Puis les souvenirs se sont matérialisés. Après ça, j'la voyais en chair et en os. J'pouvais pas la toucher mais juste la regarder me suffisait. Tout est redevenu comme avant. On restait ensemble pendant des heures. Elle parlait pour nous, j'fumais pour deux.
C'en est arrivé à un tel point que j'ai oublié qu'elle était morte. En même temps, elle pouvait pas l'être vu qu'elle était chez moi. J'allais au fast-food nous chercher d'la bouffe. On bougeait pas d'ma chambre. Le truc c'est que dehors, les gens me regardaient d'un mauvais œil. Alors pour me rattraper, j'leur ai dit qu'elle était pas morte, qu'elle dormait chez moi. Personne m'a cru. Logique. Ils m'ont tous fuit comme la peste. J'ai encore sombré. Plus personne f'sait attention à moi. À c'que je f'sais, c'que j'disais. Clyde, Token, Bebe et les autres... Ils m'adressaient plus la parole, m'ignoraient. J'avais tellement b'soin d'amis...
Un jour, j'suis allé m'acheter des clopes et quand j'suis rentré ma chambre était vide. 'Fin y'avait mes meubles, mes affaires mais plus Polly. Elle avait disparu. Elle et tous les souvenirs la concernant. Les étoiles phosphorescentes du plafond, nos photos, son carnet d'croquis, ses fringues, la guitare qu'elle m'a offerte et même le verre qu'elle avait brisé lors de notre première et dernière dispute. J'vous promet, j'ai flippé. Flippé à mort que son souvenir disparaisse. J'gardais toutes ces choses comme des reliques, des objets rares et précieux. Cette pièce, au fil des mois, c'était devenu le musée de Polly. Son mémorial. Et quelqu'un avait tout détruit.
« – J'ai pensé que ce serait mieux pour toi... Ça m'fait peur quand tu parles tout seul pendant des heures... Steuplaît Craig, redeviens comme avant ! »
Ruby avait le même regard que Polly quand elle me demandait une faveur. J'avais envie d'la prendre dans mes bras. D'la réconforter. Mais comme j'suis con, je l'ai giflée.
J'venais de perdre ma dernière alliée dans ce monde de dingues. Ma main avait valsé toute seule. C'était pas moi ça. J'vous l'jure. Sauf que Ruby voulait pas m'croire alors j'la laissais en paix. Heureusement, elle a rien dit aux parents; ils m'auraient sûrement jeté d'la maison...
Ma chambre était beaucoup trop vide sans Polly et ses souv'nirs. Ruby avait accepté d'me rendre ma guitare et les étoiles. J'l'ai suppliée d'me rendre au moins le carnet d'croquis mais elle a refusé. Ca m'a saoulé. Alors comme une grosse merde, j'me suis mis à pleurer.
J'avais pas versé d'larmes depuis le jour où j'ai découvert son corps. Ça f'sait trois s'maines et demi. Donc quand c'est sortit, ça c'est plus arrêté.
Tout c'que j'fuyais depuis sa mort m'est r'venu en pleine gueule. Tout. J'fuyais mes responsabilités, mes amis, ma famille, mon amour, mes souv'nirs, sa disparition. J'fuyais Polly. J'm'en suis pas rendu compte tout d'suite. Mais plus les larmes coulaient, plus la vérité m'apparaissait.
« – J'ai vraiment été qu'un con. »
Malgré moi, j'ai attendu une réponse. De Polly ou de Ruby peut-être ? Mais y'avait personne à part moi dans cette putain d'chambre trop grande, trop vide. J'en avais trop marre d'être seul alors j'ai séché ces putains d'larmes et j'ai décidé d'prendre ma vie en mains.
J'ai enlevé ces fringues sales que j'avais sur l'dos depuis bien trop longtemps, j'ai pris une douche, j'me suis décrassé de ma lâcheté. Une fois propre, j'suis allé dans ma chambre et j'ai sortit mes meilleurs vêtements. Un pantalon noir, une chemise blanche et un nœud pap'. J'ai mis l'tout, ajouté ma parka bleue et mon bonnet péruvien et j'suis sortit d'la maison. J'ai pris des fleurs dans un jardin et j'me suis rendu au cimetière.
J'savais plus trop où était sa tombe alors j'ai galéré pendant dix minutes avant de la trouver.
Ici, elle était comme toute les autres. Juste une pierre blanche couverte de fleurs. Y'avait une photo d'elle. J'l'ai reconnue, c'était moi qui l'avait prise. Ils m'avaient volé ce souvenir, les enculés. Sur la tombe, y'avait plein d'bouquets fanés. Pas un seul en bonne santé. Alors j'les ai tous enlevés. J'ai mis l'mien et j'me suis assis par terre.
Puis j'lui ai parlé. Mais pas comme avant. J'parlais pas à un fantôme. J'la voyais même pas. Nan. J'discutais avec sa photo. Et ça m'a fait du bien. Tellement d'bien. J'suis resté jusqu'à qu'la lune soit haute dans l'ciel. J'me suis vidé. J'lui ai tout raconté. Tout. Absolument tout. J'savais que, quelque part dans les étoiles, elle m'écoutait.
Avec elle, j'ai essayé d'être parfait. Mais personne ne l'est. Elle riait gentiment d'ma gaucherie et c'était ça qui m'donnait le courage d'me surpasser. Si j'l'avais voulu, j'lui aurai décroché la lune. Le rire de Polly c'était un truc magique. Ça vous emportait vers quelque chose de bien plus loin qu'le bonheur. Mais c'était un truc tellement rare que j'étais jaloux. Pas d'son rire sublime mais d'ceux qui pouvaient l'écouter aussi. Surtout d'cet enfoiré d'McCormick et sa clique. Alors j'l'ai frappé, lui aussi, Kyle et Stan s'en sont mêlés et ça a finit en baston. Trois contre un, c'est p'têtre déloyal mais j'étais tellement con que j'm'en battais les couilles. J'me suis fait défoncé. Quand j'suis rentré, j'avais du sang séché partout sur la gueule et sur les poings. C'est ce soir-là qu'j'ai eu ma première et dernière engueulade avec Polly. Elle m'a r'proché d'être trop impulsif et jaloux. J'étais d'accord avec elle. Mais j'voulais faire le mec fort alors j'lui ai tenu tête. Elle a pété un verre et moi un plomb. Pour une connerie. Sûrement qu'ça devait s'finir comme ça.
En apogée comme elle aurait dit. Parce que ouais, ça a été beau cette nuit-là. Après ce bordel complètement con, on est allés s'balader. On a longtemps parlé sous les étoiles. De tout, de rien. De nous, d'nos vas et viens.
« – La vie ça craint... Mais quand t'es là, j'pense que j'pourrais supporter bien plus que ça. »
« – Que ça ? »
« – Qu'la vie. Genre trois guerres mondiales, la peste, l'choléra. Sans toi j'pense que j'serais déjà mort à cette heure-là. »
« – Mort de quoi ? »
« – Mort de faim ? Trop la flemme d'aller jusqu'au frigo ! »
On a ri. C'était la dernière fois. On vivait comme tous les jours d'avant. Comme d'habitude. Sans se soucier du futur. Sans se dire que, le lendemain, un d'nous deux se vid'rait d'son sang dans mon salon. Bah ouais, la vie c'est la plus grosse des putes. Elle vous enlève les gens sans qui vous pouvez pas vivre. Elle vous les arrache comme on claque des doigts. Le truc, c'est qu'elle prévient rarement. Par jour, des tas d'gens bien meurent trop tôt mais tout l'monde s'en fout. Pourquoi ? Parce que si on pleurait pour chaque personne, si on se souciait de tous ces gens qui crèvent chaque seconde, ce s'rait pas possible. On finirait tous en dépression nerveuse. Sauf que j'me dis qu'y'a pas assez d'gens qui ont pleuré Polly. Une ville entière, c'était pas assez pour elle. Sérieux, combien de gens extraordinaires crèvent chaque jour sans qu'personne y fasse attention ? Les gens comme Polly, ils méritent un jour férié, une fête nationale et une étoile à leur nom. Ouais. Polly devrait avoir une étoile à son nom dans l'ciel. Genre la plus brillante. Juste pour dire qu'elle est toujours là. Parce que Polly, elle changera jamais et elle sera là toujours pour tout l'monde. J'en suis sûr.
Quelques jours après ma reprise en main, j'ai décidé d'retourner en cours. Ça d'vait faire bien six mois qu'j'avais pas foutu les pieds au lycée, à part pour accompagner Polly. Donc quand j'me suis ram'né, ils m'ont tous regardé chelou. J'avançais dans les couloirs et ils chuchotaient derrière moi. Y'avait ceux qui avaient été mes potes un jour: « – Oh putain, Craig est rev'nu ? Mais il a fumé quoi ? »
Et les autres, les ignorants, les cons: « – Eh mais c'est pas le mec qui est sortit avec Polly ? Paraît que c'est lui qui l'a tuée. Il est devenu complètement dingue genre il lui parle et tout ! »
Mais, au fil du temps, avec Polly j'avais appris à plus faire attention à tous ces fils de pute en manque d'affection qui s'mêlent d'la vie des autres. Les bons gros enculés quoi.
Parmi eux, y'avait Eric Cartman. Le roi des ragots en tout genre. Ça m'aurait pas étonné qu'ce soit lui qui aie lancé la rumeur d'mon "meurtre". Ça d'vait le faire rire, alors j'l'ai laissé parler. Sauf qu'il avait une voix bien portante et, même à l'autre bout du couloir, j'l'ai entendu parler.
« – Ouais ce mec est un taré. Il sortait avec l'autre pute de Polly. La fille bizarre qui s'est tapé la moitié des mecs de c'lycée ! »
Qu'il dise que j'sois taré, ça passait. Mais traiter Polly d'pute et d'fille bizarre... En un éclair j'étais à l'autre bout du couloir, prêt à défoncer c'connard.
« – On t'as jamais appris à respecter les morts, Cartman ? »
Ma voix sonnait plus rauque que d'habitude, c'était très étrange.
« – Tucker... C'est toi qui parle de respect alors que tu n'es même pas venu à l'enterrement de ta petite copine ? De toute façon, le respect est mort. »
J'ai voulu le frapper de toute mes forces mais j'ai pas pu. Il avait touché un point sensible. J'me noyais face à lui. Imaginez Némo face à un énorme requin. C'était totalement ça.
« – Le respect... Tu l'as mangé ? »
La voix insupportable de McCormick s'fit entendre d'un coup. Claire et nette comme jamais. Il affichait ce putain d'sourire arrogant qui m'saoulait tant. Mais pour une fois, il m'a aidé.
Il m'a séparé d'Cartman puis s'est approché et lui a décoché un coup d'poing dans la mâchoire et un autre dans l'nez.
« – J'fais pas ça pour toi, Tucker. J'le fais pour Polly. Elle, elle l'aurait fait pour toi. Et elle aurait pas apprécié qu'personne vienne t'aider. T'avais d'la chance d'l'avoir pour toi. Vraiment. »
J'l'ai remercié en silence et il s'est barré. Le couloir était rempli d'chuchotements qu'j'ai ignoré et puis j'suis allé en classe.
J'y ai réfléchis longtemps. C'est vrai quoi, Polly elle aurait sûr'ment pas aimé qu'les gens soient comme ça. Déjà d'base, elle aimait pas leur comportement hypocrite alors là... J'ai aussi remarqué un autre truc. Dans la solitude et la tranquillité d'ma chambre, j'étais bien moins seul qu'au lycée. Ouais c'est con. Mais ici, tout l'monde me dévisageait h24. Ils parlaient sur moi mais pas avec moi. Ils m'excluaient alors qu'j'étais le sujet principal d'leurs conversations.
Paradoxal. Alors j'y suis plus r'tourné. Un lâche reste un lâche. Comme d'hab', j'ai gravé flippé et j'ai préféré fuir en m'disant que j'y r'tournerai un autre jour. Un jour qui n'arriv'rait jamais. C'est la vie. Et le lycée f'sait pas partie d'la mienne.
J'ai fuis le lycée, j'ai fuis les gens, j'ai fuis la vie. Alors j'ai décidé d'me barrer. Ici, où qu'j'aille, tout l'monde me jugeait et puis Polly traînait à chaque coin d'rue. J'ai dis au r'voir à Ruby, j'ai laissé un mot pour mes parents, j'ai fais mon sac et j'suis partit sur mon vélomoteur pourri. J'avais pas d'idée en tête. Juste le futur, un truc loin d'tout ça. J'voulais un endroit où les gens m'connaitraient pas. Un coin où personne avait entendu parler du mec fou qui parlait aux fantômes. Et j'me suis r'trouvé dans une grande ville. J'ai galéré longtemps. Mais j'me suis installé. Au bout d'un temps, j'ai commencé à tout oublier. Grâce à l'alcool, aux sorties et à l'herbe. Ouais, j'ai plongé. Et ouais, j'sais que si Polly m'avait vu à cette époque-là, elle m'aurait salement défoncé la gueule. Et puis j'ai déconné pleins fois. Trop d'fois. Plus y'avait d'monde, plus j'étais seul. J'ai essayé plusieurs coins avant d'revenir à la source. Au moins, y'avait ma chambre qui m'attendaient.
Quand j'ai toqué à la porte, ma mère est v'nue ouvrir. C'est là que j'me suis rendu compte à quel point j'l'aimais. J'lui ai sauté dans les bras et elle m'a serré contre elle. Comme si elle avait peur que j'me barre à nouveaux. Puis c'est mon père. J'l'ai vu lutter avec l'envie d'me frapper mais, au final, il m'a juste tapoter l'crâne. J'étais content. Et Ruby s'est ram'née. Trois ans, ça change les gens.
« – Putain Craig ! T'es l'plus grand des enfoirés que j'connaisse ! »
Elle m'a hurlé dans les oreilles avant d'se mettre à pleurer; la pauvre devait sûr'ment avoir ses règles.
Mais bref, là sur le palier de ma maison, dans ma ville, avec ma famille, j'me suis rendu compte qu'on est jamais vraiment seul. Alors j'ai arrêté de déconner. J'suis aller m'excuser longuement au cimetière avec Polly. J'lui ai expliqué qu'elle sera toujours la première fille que j'ai aimé et puis j'lui ai fais mes adieux.
J'ai r'trouvé Clyde, Token, Tweek, cet enculé d'McCormick, ce connard de Kyle Broflovski et l'autre con de Stan Marsh. J'me suis excusé, ils s'sont excusés et on a fêté nos r'trouvailles en buvant. Y'avait Bebe, Wendy, Butters et aussi Jimmy, et tous les autres. C'était une bonne soirée.
Maintenant, ça fait cinq ans qu'j'ai rencontré Polly. Croyez pas qu'c'est un de ces Happy End pourris qu'on voit à la fin des films. Dans la vie, y'a jamais d'fins joyeuses. Juste des points virgules super joyeux. J'ai pas une vie super mais ça m'va. J'suis toujours dans la même vieille piaule avec le même bonnet mais j'ai arrêté d'déconner. Les étoiles éclairent toujours mon plafond la nuit, la jolie photo de Polly veille toujours sur moi chaque jours et maintenant, j'vis ma vie sans m'casser la tête. Elle me manque, c'est indéniable mais plus comme avant. C'est d'la nostalgie. Une putain d'nostalgie qui m'fait du mal et du bien en même temps.
Cette fin à mon histoire est p'têtre pas la meilleure mais j'préfère ça que d'devoir me suicider pour rejoindre mon amour perdu. Ma vie a été tragique ouais, mais elle a pas b'soin d'l'être encore. On a tous envie d'bonheur. Et personne veux d'devoir se pendre par amour. C'est complètement con et immature.
Parlez plutôt à des fantômes. Vous paraissez plus cons mais au moins, vous êtes toujours vivants.
Je voulais pas te faire du mal. Je te le promet. Mais... Tout s'est passé tellement vite. J'ai rien compris. C'était juste trop... Trop bizarre. Enfin pas toi hein ! Mais tout ça. Dès le début, tu m'as aimé mais... Pas moi. Je me suis sentie si mal. Tu sais, c'est très étrange de ne pas aimer quelqu'un comme il vous aime. L'autre se plie en quatre pour toi mais tu ne peux pas répondre à ses sentiments. Je sais que quand je t'ai donné mon numéro, tu m'aimais déjà. Le soir où Michael m'a rejetée, tu m'aimais toujours. Alors je suis venue chez toi. C'était stupide. Je savais que tu souffrirais. Mais j'avais besoin de compagnie et personne d'autre n'aurait pu comprendre à part toi.
Tu parlais beaucoup moins que ce que tu fumais mais ça ne me dérangeais pas. J'adorais parler. Et puis j'ai appris à t'apprécier. Tes yeux bleus m'envoutaient. J'adorais ces cernes qui te donnaient l'air d'un petit panda. J'adorais ce sourire que moi seule parvenait à faire apparaître. J'adorais le son de ta voix rauque le matin. J'adorais tes lèvres si douces. J'adorais tes mains quand elles jouaient de la guitare pour moi. J'adorais tout de toi. Mais, quel que soit le niveau d'amour que j'avais pour toi, le tien envers moi était toujours bien plus grand. J'avais peur de cet amour énorme. Et pourtant, je me suis battue. Je me suis battue parce que je t'aimais plus que je n'avais jamais aimé quiconque. Je me suis battue parce si tu étais le seul qui me comprenait totalement. Tu n'étais pas que le garçon dont j'étais amoureuse. Tu étais mon meilleur ami, mon confident, mon âme sœur. Tu étais à moi.
Un jour, tu m'as dit qu'on ne venait pas de la même planète. Tu as dit que toi, tu mâchais tes mots, tu jurais, tu faisait des doigts et tu fumais trop alors que moi, j'étais tout le contraire. Tu te souviens ? Alors je t'ai appris à dire moins de gros mots et à parler plus lentement. Et tu m'as appris à fumer comme tu le faisais, à jurer plus souvent et à faire des doigts. Tu ne venais peut-être pas de la même planète que moi mais tu l'avais colonisée et ça m'allait bien.
Tu étais si souvent avec moi que je me suis demandée comment tu étais avant de me rencontrer. Clyde et Token m'ont dit que tu préférais passer tes journées avec tes pensées et tes cigarettes qu'avec eux. Alors je me suis dit que, si je partais un jour, je ne te manquerais pas tant que ça. Je ne saurai jamais si j'ai eu tort. Mais je ne pense pas. Même dans ta solitude, tu restais Craig Tucker. Personne ne serait capable de te faire pleurer. Et puis, plus tu passais de temps avec moi, mieux tu te portais. Tu acceptais volontiers de sortir avec tes amis ou les miens, tu prenais plus souvent des douches et les cernes sous tes yeux s'estompaient lentement. Je me suis dit que c'était grâce à moi. Tu me l'as fait comprendre et je me suis sentie mieux qu'avant moi aussi. On se complétait. On était heureux.
Je t'aimais tellement Craig. Tellement. Même Roméo et Juliette ne faisaient pas le poids face à nous. Personne n'allait écrire de livre sur nous, personne ne raconterait notre histoire aux enfants avant de dormir, personne ne l'adapterait en film mais je n'avais pas besoin de tout ça pour te prouver à quel point je t'aimais. Tu as été mon pilier dans cet océan où je me noyais. Tu étais le seul en qui je vouais une confiance aveugle. J'ai toujours cru en toi. J'y croirai pour toujours. Tu étais là pour moi.