C’est l’histoire d’une jeune fille dans une pièce.
Elle était enfermée là depuis longtemps. Trop longtemps. Elle ne parvenait même plus à se souvenir depuis combien de temps. Elle ne comptait plus. Elle avait abandonné. Tout ce qu’elle possédait était comme elle: triste et détruit.
La pièce dans laquelle elle se trouvait changeait souvent. Sur les murs en briques rouges, le papier peint s’écaillait sans cesse. Elle avait beau le recoller, encore et encore, elle se retrouvait toujours face à la couleur délavé du mur. C’était pareil pour tout le reste. Tout finissait toujours par se briser.
Le vieux sofa en cuir était à présent complètement éventré, vide de tout. Elle tentait, de temps à autre, de le remplir avec du coton. Mais ça ne tenait jamais. Alors elle s’était résignée à dormir là, sur le cuir déchiré. Ce n’était pas agréable. Elle avait mal aux articulations et passait ses nuits à se réveiller. Mais c’était tout ce qu’elle avait.
Il y avait aussi la bibliothèque qui s’écroulait toujours un peu plus. Elle l’avait réparée, elle aussi. Elle avait trié les livres, les avait rangés par couleur et par tailles. Elle s’était donné de la peine pour fixer les planches, la repeindre dans une jolie couleur. Un bleu clair avec une pointe de gris, comme ses yeux. Mais le bois finissait toujours par craquer. La peinture disparaissait à son tour. Miraculeusement. Alors, les livres s’éparpillaient sur le sol. Et comme d’habitude elle les ramassait et les rangeait à nouveau. Elle se donnait de la peine. Elle voulait que cela fonctionne.
Elle s’était habituée à cette routine. Elle peignait, recollait, ramassait, reconstruisait. Et toujours, quoi qu’elle fasse, elle les observait s’écrouler. À nouveau. Ses efforts étaient vains.
Elle avait bien tenté d’autres choses, comme mettre des rideaux, poser ses livres par terre, acheter des coussins pour remplacer le coton. Mais rien ne restait. Il y avait toujours un problème. Et elle était toujours toute seule. Personne ne l’aidait jamais. En même temps, il n’y avait pas âme qui vive autour d’elle. Rien que cette pièce qui tombait en ruines. Un peu à son image.
Elle avait voulu sortir. Rencontrer d’autres personnes. Trouver un endroit meilleur. Mais les murs la retenaient. Eux et leur papier peint en lambeau. Et si elle parvenait à s’échapper, elle finissait toujours par revenir, oubliant tout ce qu’elle avait pu faire ou voir. Il n’y avait qu’elle, elle et sa solitude. Elle et les murs en briques rouges. Elle et le sofa éventré. Elle et la bibliothèque écroulée.
Elle haïssait cet endroit. Avec le temps, elle avait appris à en détester chaque recoin. Elle ne supportait plus l’odeur de poussière et de livres usés. Elle ne pouvait plus regarder le tapis déchiré ni entendre le bruit du parquet craquant sous ses pas sans avoir envie d’hurler. Elle n’arrivait plus à trouver de nouvelles choses à faire. Elle passait ses journées à tourner en rond, essayant de tuer l’ennui. Mais il était plus fort qu’elle. Il se trouvait partout. Il la surplombait, menaçant.
Au fil des jours, elle ne se levait même plus. Elle restait sur le sofa toute la matinée. Et parfois même l’après-midi aussi. De toute manière, se disait-elle, personne ne l’attendait. Personne ne voulait la voir. Alors elle ne bougeait pas.
Prenant le dessus, l’ennui et la tristesse l’englobèrent. Lui confectionnant un manteau. Un habit chic, noir et sobre. Monotone aussi, comme elle. Et ils la forcèrent à leur obéir. D’abord, ce fut des choses simples. Elle n’essaya plus de cacher les trous dans le mur. Elle abandonna le sofa pour dormir par terre. Elle regarda s’effondrer la bibliothèque. Elle laissait les livres par terre, les évitant quand elle devait se déplacer.
Puis ils l’emmenèrent à l’extérieur. Ils l’obligèrent à se découvrir. Ils l’abandonnèrent. Et elle se souvint de tout. Elle se rappelait du regard des autres sur sa carcasse brisée. Elle avait précieusement mémorisé chacun de leurs faits et gestes à son encontre. Aucun d’eux n’était affectueux. Aucun d’eux n’était amical.
Et quand elle rentra, elle enfila à nouveau son manteau. Et se promis de ne plus jamais essayer de retourner dans ce monde inconnu.
La peur vint s’ajouter à son vêtement. Elle portait son lourd poids sur ses épaules. Elle était terrifiée à l’idée qu’ils la retrouvent. Qu’ils voient comme elle était différente. Qu’elle ne les comprenait pas.
Elle transforma son manteau en quelque chose de plus grand. Et la pièce changea à nouveau. Elle n’était plus dans un donjon mais dans une barricade. Sur la porte, des loquets s’ajoutèrent. Il n’y avait plus de sofa ou de bibliothèque. Rien que des armes pour se protéger. Mais elles étaient partout. Et si proches. Elle ne pouvait pas se déplacer sans se faire mal. C’était le prix pour être en sécurité. Elle souffrait mais cette douleur n’était rien en comparaison avec ce qui l’attendait dehors. Elle le savait.
Elle passa de longues journées, loin du bruit et des autres. Elle était confortée dans ses habits, dans son cocon. Les blessures sur son corps ne lui faisaient même plus mal. Elle ne s’ennuyait plus. N’était plus triste. Elle ne ressentait plus rien. Et ça lui allait. C’est tout ce dont elle avait toujours rêvé. Elle ne s’inquiétait plus ! Ne craignait plus rien ! Car elle se savait en sécurité.
Mais un jour, quelqu’un toqua à sa porte. Elle décida de ne pas bouger. Peut-être qu’ils partiraient s’ils pensaient qu’elle était absente. Mais les cours recommencèrent. Menaçants. Vêtue de son manteau, elle se glissa avec peine jusqu’à l’entrée. Elle ouvrit la porte avec méfiance, ses mains tremblant. Le couloir était plongé dans le noir. Néanmoins, elle pouvait distinguer une personne. Tout au bout.
Baignée dans une lumière agréable, grande, souriante. Et à mesure qu’elle s’approchait, la peur enflait dans le cœur de la jeune fille. Elle ne voulait pas qu’on la voit. Elle refusait que quelqu’un entre dans cette pièce qu’elle avait fait sienne. Personne ne méritait de la connaître. Personne ne le voulait, ne l’avait jamais voulu. Elle refusait que cela change.
Elle se barricada, braquant toutes ses armes sur la porte. Elle se retira, enfilant un autre manteau. Un manteau entièrement constitué de peur. Encore une fois, elle se blessa. Mais elle s’en fichait. Le sang qui s’écoulait de ses plaies payerait le prix de sa protection.
Une fois encore, la porte fut ébranlée par les coups. On l’appelait. A l’extérieur. Ils l’attiraient. Mais elle ne leur céderait pas. Elle pouvait être plus forte qu’eux. Elle l’était. Elle voulait le croire. Elle le pouvait. Oui, elle le pouvait. Mais leurs voix résonnaient partout autour d’elle. Ils la noyaient. Et les armes se rapprochaient. Mais pas d’eux. Elle s’était piégée elle-même. Et son manteau, ce manteau si lourd l’empêchait de fuir. Elle était coincée. Elle avait perdu. Elle avait échoué. Plus de combat.
Elle ferma les yeux. Ressentant en elle toute la douleur qu’elle était parvenue à cacher au fond d’elle. Des larmes brûlantes dévalèrent ses joues. Et la lumière l’engloba. Douce, confortante. Les voix étaient délicates. Leur chaleur effaçait ses plaies. Les lames disparurent. Ils l’emmenèrent loin de cette pièce dans laquelle elle vivait depuis si longtemps. Trop longtemps.
Ils lui arrachèrent son manteau, lui offrirent des sourires. Des paroles qui faisaient sens. Mais la tristesse, la peur, l’ennui s’accrochaient à elle. Ils se transformèrent en quelque chose de plus petit. Inconnus à l’œil des autres. Un chat, un carnet. Elle était entourée. Et eux, ne la quittèrent jamais. Mais cette fois, c’est elle qui les contrôlait. Pour de bon.