Il ne se rendait pas encore totalement compte de ce qui arrivait. Se protéger avait été sa seule option, contraint d'abandonner sa famille. Cette dernière se rendait à l'autre bout de la ville quand c'était arrivé.
Il tourna la tête sur sa droite et aperçut son reflet dans une vitre brisée. Ses vêtements couverts de poussière tombaient en lambeaux par endroit et cela faisait ressortir ses yeux bleus. Ces yeux qui, remplis de tristesse et de rage, évitaient avec soin de regarder par la fenêtre. Il s'assit par terre, au milieu de son salon. Peut-être y'avait-il quelqu'un d'autre à l'extérieur ? Il n'osa pas espérer et soupira. Il se souvint quand son frère s'était blessé alors qu'ils était seuls chez eux. Il l'avait donc conduit à l'hôpital. Ce même hôpital où elle travaillait bénévolement. Elle trouvait toujours les mots pour le calmer et le réconforter quand ça n'allait pas.
L'odeur âcre de la fumée le ramena dans la réalité et il soupira de nouveau. Il s'était appuyé sur le sol couvert de débris et une brique de verre l'avait coupé. Le sang se mélangeait à la sueur et à la poussière. Il ne pouvait plus rien faire. Ni pour le sang, ni pour le goût amer qui lui emplissait la bouche, ni pour sa femme et ses filles. Elles étaient mortes. Éradiquées par "ça"... Il voulait juste mourir à son tour. Mais comment ? Juste l'idée de son monde dévasté et abandonné le fit frémir.
Juste après que ce soit arrivé, il avait jeté un coup d'œil et il en tremblait encore. Les rues ne ressemblaient plus à rien, les immeubles et boutiques n'étaient plus que des amassements d'anciens souvenirs brisés et tout le reste semblait de plus exister. Il secoua la tête pour chasser ces images et se concentra sur un souvenir heureux. Instinctivement, son subconscient le ramena à son premier souvenir d'elle.
Ses cheveux blonds vénitiens venaient mourir dans le creux de ses hanches pendant que ses yeux verts en amande scrutaient l'horizon. Sa moue était pensive et elle sentait un doux parfum de fleurs. Quinze ans après, rien n'avait changé. Elle restait toujours magnifique. Enfin, c'était avant la catastrophe. Depuis, elle devait plutôt ressembler à un tas d'os et de chair sans vie. Il ricana nerveusement. Si un jour on lui avait dit qu'il penserait à sa femme de cette façon, il aurait grogné.
Il se reconcentra sur ce qu'il advenait du monde présent. Une odeur de pourriture et de brûlé vint lui chatouiller les narines et l'air devenait pesant et humide. Il allait pleuvoir. Quelle ironie !
Ses souvenirs se dirigèrent vers le jour où il l'avait demandé en mariage.
Il conduisait jusqu'à leur endroit favori, la falaise, tandis qu'elle chantait en rythme avec l'autoradio. Ils rigolaient ensemble et s'embrassaient. Quand ils arrivèrent, il préparèrent le pique-nique qu'elle avait soigneusement cuisiné. L'air était doux et remplit de mille senteurs. Le Lila se mêlant à l'air marin et le bruit apaisant des vagues qui venaient s'écraser contre la riche créait un sentiment de sérénités et de paix entre eux. Quand arriva le dessert, il lui demanda sa main et elle accepta en se jetant à son coup. Et puis la pluie s'était mise à tomber. Ils s'étaient rapidement mit à l'abri dans la voiture. Ils étaient ivres de bonheur et d'amour.
Un éclair le fit revenir à la réalité. Il regarda vivement le ciel et se dit que c'était apocalyptiquement splendide. Le destruction de son monde était douloureuse mais la couleur grisâtre des nuages était magnifique. Il repensa à ses filles, faisant de la balançoire pendant que leur mère prenait pleins de photos d'elles. Elles aussi étaient magnifiques.
Alors qu'il se relevait, trois coups brefs furent toqués contre la porte.
Il se figea au milieu de la pièce et un million d'émotions le transpercèrent.
La peur, le bonheur, l'hésitation, l'espoir, le malaise, la joie.
Était-ce sa famille ? Des secours ? D'autres survivants ?
Il s'approcha lentement de la porte, posa sa main sur la poignée et ouvrit la porte avec une hésitation malsaine.
Mais personne ne l'attendait de l'autre côté. Devenait-il fou ? Il regarda autour de lui, rien. Mais à ses pieds, il trouva de la délivrance.
Une arme à feu gisait à terre. Il la ramassa, retourna dans le salon et s'assit par terre. Une larme coula sur sa joue, il regarda une dernière fois le monde dévasté, pressa l'arme contre sa tempe et se tira une balle dans la tête.