Son père l’avait pourtant mis en garde. Il était interdit d’aller trop bas, sinon l’humidité abimerait les plumes, et aussi trop haut, sinon le soleil ferait fondre la cire chaude. Il lui avait rabâché les oreilles des heures durant avec ses craintes. L’adolescent n’avait cessé d’opiner du chef, voulant montrer à son père qu’il avait bien compris. Pourtant, une fois dehors, libre, il s’était laissé aller.
Ce n’était pas sa faute. L’Euphorie et l’Adrénaline se collaient contre lui, murmurant dans le creux de son oreille, lui intimant l’ordre d’aller plus haut. Toujours plus haut. Et Icare, faible garçon s’était laissé porter par les vents et ces voix délicates et agréables. Et une fois arrivé à la limite du ciel, son regard avait croisé celui du Soleil. Il y avait quelque chose de dangereusement envoûtant dans ces prunelles aux reflets d’or. Quelque chose qui lui donnait envie de se précipiter contre lui. Mais ses ailes l’en empêchèrent. Plus il se démenait pour s’élever dans l’air, plus la cire coulait. Elle lui brûlait la peau, les plumes se piquant dans son dos et ses bras. Mais c’était désormais le désespoir qui l’obligeait à se mouvoir. Il voulait continuer à observer ces yeux brillants.
La chute fut longue. Terriblement longue. Icare tentait vainement de battre des ailes mais elles avaient disparu, ne laissant que des plumes brûlantes piquées dans sa peau. Il souffrait le martyr mais quelque chose dans cette douleur le réconfortait. Il n’avait en rien rêvé la vision de ce regard enchanteur. Peut-être serait-il capable de le revoir ? Si seulement il pouvait remonter un peu ! Mais les vents, l’Euphorie et l’Adrénaline l’avaient abandonné. Tout en haut dans le ciel, le Soleil glissait sur sa peau des rayons désolés. Tout en tombant, Icare pensa alors à son père. Il l’avait sûrement déçu. Désormais, il vivrait seul, emprisonné dans ce labyrinthe, sans jamais connaître la liberté. C’est cette même Liberté qui avait enorgueilli Icare ! Il ne la connaissait pas. En bonne maîtresse de d’Euphorie et d’Adrénaline, c’est elle-même qui avait ordonné la perte d’Icare. L’adolescent en était sûr. Qui d’autre sinon ? La Liberté était cruelle, ça, tous les hommes en avaient conscience. Pourtant, son père ne l’avait pas mis en garde contre elle et ses servantes. Peut-être les avait-il oubliées avec le temps ? Pourtant, il se rappelait du Soleil et de la mer. Peut-être était-ce lui qui avait voulu se débarrasser d’Icare. N’avait-il donc pas été un assez bon fils pour lui ? Toujours enclin à l’aider, à lui servir de cobaye ou apporter des idées nouvelles à ses inventions ! De toute manière, cela ne servait plus à rien de reprocher quelque chose à quiconque. Parce que désormais, Icare tombait tout seul. Il ferma les yeux avant d’heurte de plein fouet la houle.
Quand il les rouvrit, une chaleur déroutante le remplit. Il n’était plus dans les airs. Il ne tombait plus. Une paire de bras aux détours ambrés le portaient délicatement. Une odeur étrange émanait de cette personne. Une aura inhabituelle l’entourait aussi. Comme si, à sa naissance, on l’avait trempé dans de l’or et que depuis, il ne pouvait s’empêcher de scintiller en permanence. Icare ne ressentit pas le besoin de se débattre ou de partir. Sa première pensée fut qu’on l’emmenait au Styx. Peut-être était-ce là un des serviteurs de Charon qui le guidait, bien qu’il n’ait jamais eu l’impression que ces personnes pouvaient briller autant. Puis la réalité le percuta. Ce fut le regard de cet autre jeune homme qui réveilla en lui une chaleur inconnue. Les plumes, encore plantées dans sa peau semblèrent se rappeler leur rôle et une douleur déchirante lui parcouru l’échine.
« - Chhhut, ne remue pas de la sorte ou même moi serai incapable de te soigner. » gronda doucement la voix du jeune homme qui, d’un coup, semblait plus vieux et plus impressionnant. Icare avait déjà une petite idée de qui il pouvait être. Mais cette vérité lui brûlait les lèvres. Elle ne faisait pas de sens et l’adolescent n’était pas certain d’avoir envie qu’elle en ait un. Alors il se tint le plus immobile possible malgré la douleur et se laissa porter par ce jeune homme inconnu et scintillant.
Le temps avait perdu de son importance mais le Soleil déclinait déjà doucement derrière les montagnes quand finalement ils s’arrêtèrent. Les chevaux à la robe de feu disparurent dans un hennissement et une petite piste de fumée et les deux garçons pénétrèrent dans un palais. Enfin, palais n’était pas le terme adéquat. Le temple, parce que c’en était un, resplendissait dans la lumière du crépuscule. Au sol, plusieurs peaux de bêtes étaient disposées autour de tables et de fauteuils aux airs incroyablement confortables. La nourriture abondait dans les coupoles et aucun verre n’était vide. Le jeune homme déposa Icare sur une couchette et s’écarta de lui. L’adolescent put enfin le voir dans son ensemble. Ce qui était une bonne chose. Parce que le jeune homme était beau. Incroyablement beau. Il était plus grand que lui et sûrement que la plupart des êtres humains, mesurant au moins deux mètres. Il portait une toge placée de travers par-dessus son corps nu, ce qui n’empêcha pas Icare de deviner les contours de ses muscles. Dans son dos pendait un carquois remplis de flèches aux pointes étranges. L’arc l’accompagnant avait trouvé sa place sur une table non-loin de là. Sa peau, légèrement ambrée semblait être constamment baignée par les rayons du Soleil bien qu’ils se trouvaient à l’intérieur. Ses cheveux composés de délicats fils d’or avaient été relevés en chignon, permettant à quelques mèches rebelles de s’échapper timidement pour venir caresser sa nuque. Il n’avait aucun défaut. Ses lèvres se relevaient en un sourire intrigué, laissant apparaître des dents d’une blancheur effrayante. Mais le plus troublant, c’étaient ses yeux. Deux prunelles gorgées de nombreux reflets, changeant sans cesse de couleur, parfois dorées, parfois ambrées, d’autre fois la couleur du feu lui-même. Pour la seconde fois, Icare se sentit aspiré par ce regard déconcertant.
Je suis Apollon, dieu des arts, de la médecine et de la lumière. Mais ça, tu l’avais sûrement déjà deviné. Alors qui es-tu, toi ?
Icare, mon seigneur. Fils de l’inventeur Dédale. Ma mère était esclave.
Bien, tu n’es pas un menteur. J’ai croisé ton regard, ce matin. Je t’ai vu tomber et, il faut que je le dise, tu as piqué mon intérêt. Tu possèdes quelque chose de noble.
De noble ?
Le dieu ne répondit pas. Il fit quelques pas et s’approcha d’une fenêtre. Le Soleil avait désormais totalement disparu et pourtant, la lumière du jour s’échappait encore. S’étirant, Apollon se retourna vers Icare et lui présenta les mets disposés sur la table.
Je ne peux faire attendre ma sœur, Artémis. Si je ne vais pas remplir ma tâche, tu peux être sûr qu’elle se vengera de moi en faisant durer plus longtemps le règne de la nuit. Je ne peux donc malheureusement pas m’occuper de tes blessures maintenant. Mais je reviendrai vite. En attendant, tu n’as qu’à te servir de ce qui te fera envie. Les coupoles et les verres se rempliront de ce que tu désires, il te suffit seulement de les toucher.
Et sans attendre une réponse de la part d’Icare, il grimpa sur le rebord et siffla un coup. Dans un concert d’hennissements et de sabots claquants contre le marbre, sortant de nulle part, ses chevaux de feu apparurent, tirant un char qui étincelait furieusement. Apollon sauta à l’intérieur et un seul coup de rênes suffit à faire partir les étalons.
Icare ne s’autorisa à bouger seulement quand il fut sûr que le silence s’étendait complètement dans le temple. Il ne s’approcha pas directement de la nourriture, préférant se glisser à la fenêtre par laquelle, quelques minutes auparavant, Apollon avait disparu. Il ne reconnaissait pas le paysage et devina qu’il devait se trouver bien loin du labyrinthe et sûrement de la Crête elle-même. Il connaissait les dieux pour les avoir étudiés avec son père. Il y avait les douze divinités de l’Olympe et une myriade de divinités mineures. Apollon était le frère jumeau d’Artémis, déesse de la chasse, et tous deux étaient nés de l’union entre Zeus et Léto. Il savait tout cela. Mais il ignorait comment il avait pu intéresser le dieu et se retrouver dans cet immense temple au sommet d’une colline.
Il se retourna en sursautant quand neuf femmes apparurent à l’autre bout de la salle. Elles riaient et discutaient entre elles, n’ayant sûrement pas remarqué la présence du jeune homme qui n’osait plus bouger. Leurs toges, aux reflets violets, ondulaient avec légèreté malgré l’absence de courant d’air. Elles se laissèrent tomber sur les fauteuils avec une grâce incomparable. Elles étaient plus belles que toutes les filles qu’Icare avait connues. Leurs traits semblaient avoir été composés dans les plus délicates des fleurs et leurs cheveux, retombant sur leurs épaules en cascades ou relevés en chignons élaborés au-dessus de leurs crânes étaient tantôt d’un noir si profond qu’ils semblaient couverts par la nuit, tantôt si blonds que même la chevelure d’Apollon devait les jalouser.
Finalement, l’une d’elle se tourna vers lui et plongea son regard dans le sien. Sur ses cheveux aux reflets roux reposait une couronne composée entièrement d’or et dès qu’elle se mit à parler, Icare sembla perdre sa langue.
Approche donc, visiteur. Je suis Calliope, muse de l’éloquence. Peut-être me connais-tu sous un autre attribut, c’est possible. Les hommes ne sont pas doués avec les mots, ils oublient souvent et utilisent d’autres termes. Mais au final, nous restons bien les mêmes.
Elle lui sourit avec une certaine gentillesse qui surprit Icare. Bien sûr qu’il avait déjà entendu parler des Muses. Mais son père ne s’attardait jamais trop sur le sujet. Préférant largement parler d’Héphaïstos ou d’Athéna. Néanmoins, la femme qui se trouvait face à lui était bel et bien en train de sourire. Elle et les autres l’invitèrent à s’asseoir et chacune se présenta.
Je suis Clio, muse des épopées. Annonça fièrement la première, une pointe de danger et d’aventure dans la voix. Sur son crâne, une couronne de laurier.
Tu peux m’appeler Erato. Je suis la muse de la poésie lyrique amoureuse ou érotique. Comme tu préfères, jeune visiteur. Elle lui offrit un regard déstabilisant et remit en place sa couronne de myrte et de rose avant de s’emparer de sa lyre.
Euterpe ! Je suis la muse de la musique ! s’exclama la suivante, semblant frétiller d’impatience. Entre ses mains, elle secouait une flûte avec frénésie. A sa gauche, sa compagne se leva et posa une main sur son front, penchant légèrement la tête en arrière ce qui permit à ses boucles noires de glisser de ses épaules. Icare remarqua alors l’épée qui pendait à sa ceinture.
Melpomène, muse de la tragédie. Sanglota-t-elle avant de se rasseoir.
Tu dois me connaître sous le nom de Polymnie. Je suis peut-être la muse de la rhétorique ou alors celle des chants nuptiaux et funéraires. J’ai plusieurs responsabilités. Et toutes sont barbantes. Les autres lui jetèrent un regard las, signe que ce n’était pas la première fois qu’elle se plaignait de ses attributs.
Terpsichore, muse de la danse. N’hésite pas à me contacter si tu veux t’amuser. Elle fit un clin d’œil et sourit à Polymnie qui soupira à sa droite.
Appelle-moi Thalie. Je suis la muse de la comédie. Et oui, je suis plus amusante que Terpsichore. Aucun doute là-dessus.
Et pour finir, je me présente, Uranie. Muse de l’astrologie ou de l’astronomie. Note bien qu’il ne s’agit pas de la même chose. Je n’en peux plus des amalgames et des confusions.
Et toi, qui es-tu jeune voyageur ? demanda finalement Calliope, reposant ses grands yeux gris sur lui.
Je suis Icare, mesdames. Mon père est Dédale, un inventeur crétois. Et ma mère était une simple esclave.
Je commence à comprendre pourquoi Apollon a fait halte ici alors qu’il ne vient plus que rarement dans ces contrées. Et pourquoi il t’a choisi. Toi. La voix de Melpomène avait des airs de miels et de sucre. Pourtant, Icare s’inquiéta du fait que ce soit la muse de la tragédie qui lui dise cela.
Mais il n’eut encore une fois pas le temps d’ajouter quoi que ce soit parce que déjà, les neuf muses se remettaient à rire et à chanter ensemble, avalant du bout des lèvres fruits et délices apportés par les coupoles. Icare tenta alors de voir ce qu’on lui donnerait. Il approcha sa main d’un plateau en or et le raisin qui s’y trouvait disparu pour laisser sa place à des figues d’une couleur si belle qu’on aurait dit qu’elles venaient d’être cueillies et du pain encore chaud. Il les prit timidement, de peur qu’au moment où ils quitteraient le plateau ils disparaissent et, une fois sûr qu’ils ne disparaitraient pas, en pris une bouchée.
Jamais il n’avait goûté de nourriture aussi bonne. Le pain, agrémenté avec du fromage de chèvre, lui réchauffait les joues et coulait entre ses lèvres. Quant aux figues, elles étaient parfaites. Ni trop mûre, ni pas assez. Elles aussi fondaient dans sa bouche. Et la magie du plateau faisait qu’il pouvait en avoir autant qu’il en voulait ! Il aurait voulu pouvoir le ramener à son père. Lui qui ne mangeait presque rien et qui lui cédait tout… Penser à son vieux père, tout seul dans le labyrinthe, coupa l’appétit à Icare. Il termina sa figue et n’approcha plus sa main du plateau. Cela faisait longtemps que les muses ne faisaient plus attention à lui. Néanmoins, Melpomène ne rata pas la larme qui glissait le long de sa joue. Et lui offrit un sourire désolé. Et Icare se sentit amer. Que faisait-il là, apparemment si loin de chez lui, à festoyer avec des muses en attendant que le dieu du Soleil ait terminé son travail ? Cela n’avait aucun sens. D’un coup, il fut pris d’une nausée terrassante. La douleur qu’il éprouvait encore le terrassait. Il avait l’impression qu’il allait imploser. Il était énervé et triste. Il voulait demander pardon à son père et se battre contre cette Liberté détestable et ses sbires. Il voulait se révolter. Il ignorait d’où lui venait ce désir ardent de se battre. Mais compris rapidement en voyant les nouveaux venus. Les muses s‘étaient tues et se tenaient en retrait. Car au bout de la pièce, Arès et Némésis se tenaient debout, bien droits. Ils mesuraient la même taille qu’Apollon et semblaient tout aussi parfaits. Mais quelque chose en eux faisait peur à Icare. Et il se demanda ce qu’ils faisaient là. Ils avancèrent en silence puis Arès se mit à parler.
Apollon de retour à Delphes. Les muses qui continuent d’être frivoles. Et un nouveau venu. Qui es-tu ?
Quand il comprit que le dieu s’adressait à lui en personne, Icare se mit à trembler. Cet homme-là ne ressemblait en rien à Apollon. Il avait l’air méchant, ses cheveux noirs rebiquaient sous son casque à la plume éclatante, d’un rouge sang comme celui de sa toge. Quant à Némésis, elle était d’une beauté glaçante. Elle était aussi désirable que la Vengeance. Et dans ses yeux brûlaient le même éclat cruel qui emplissait ceux d’Arès.
Parle, petit inconnu ! Moi, Arès, dieu de la guerre et de la destruction te l’ordonne !
Je m’appelle Icare. Balbutia-t-il en s’efforçant de garder la tête haute.
Que fais-tu ici, Icare ? Ce n’est pas un lieu pour un mortel comme toi. Encore moins en compagnie d’elles. Il pointa dédaigneusement les muses de son menton carré et Icare déglutit.
Il ignorait pourquoi Apollon avait jugé bon de l’amener jusqu’ici. Et il ignorait ce qu’il était censé répondre à ce dieu terrifiant qui le surplombait dangereusement. Ce fut donc avec soulagement qu’il accueillit les claquements des sabots de feu des chevaux d’Apollon. Ils le déposèrent à l’entrée du temple et tout le monde se tourna vers son éclat.
Arès. Mon frère. Que fais-tu ici ?
Demi-frère. Et je te retourne la question. Pourquoi es-tu revenu à Delphes ?
J’avais besoin de cacher ce mortel, mon frère. Je l’ai aidé.
Tu sais bien que nous ne devons pas intervenir dans les histoires des mortels, Apollon ! J’ai tout vu ! Tu aurais dû le laisser mourir.
Je n’ai pas pu m’y résoudre. J’ai vu en lui l’envie de vivre et je me suis donné la mission de le soigner.
Les deux se toisèrent, un courant électrique passant littéralement d’un regard à l’autre. Icare ignorait de quoi ils parlaient. Pourquoi Arès et les muses apportaient autant d’importance à Delphes ? Que s’était-il passé de si grave dans ce temple pour que deux divinités prennent la peine de se déplacer jusqu’ici ? Némésis souriait, derrière Arès. Elle avait l’air cruel d’un maître qui regarde ses chiens se battre. Icare su tout de suite qu’elle était probablement plus dangereuse encore qu’Arès.
Mon cher frère, si tu n’as rien à ajouter, j’apprécierai que tu quittes mon temple. Ou voudrais-tu porter ce petit conflit devant Zeus ? le dieu scintillant toisa l’autre avec une lueur amusée dans le regard. Arès grogna et pointa un doigt accusateur sur lui.
Tu sais que tu désobéis aux lois, Apollon. Je reviendrai. Et cette fois, j’emmènerai les autres.
Il tourna les talons, tapant le sol de ses énormes pieds et Némésis se glissa dans son sillage. Ils quittèrent les lieux comme ils étaient venus : dans un nuage de fumée. Icare ne comprenait pas tout ce qu’il se passait. Mais il voyait bien qu’Apollon était en tort. A la manière dont ses pupilles oscillaient entre le noir corbeau et le rouge feu. Néanmoins, elles redevinrent ambrées quand il posa son regard sur lui. D’un geste de la main, il intima aux muses de s’en aller à leur tour puis fit apparaître du matériel de soins. Icare se laissa faire, couché sur un fauteuil. Malgré la douleur qui irradiait son être, il sut rester calme et Apollon le félicita.
Je suis désolé. Normalement, nous ne devrions pas nous trouver ici, ni toi, ni moi. Il y a de cela plusieurs siècles j’ai abandonné ce temple de Delphes et promis de ne plus jamais réciter de prophéties, quelles qu’elles soient. Delphes est désormais la demeure des muses.
Icare le regarda avec stupeur. Ce dieu si puissant venait-il vraiment de s’excuser envers lui ? Sans raison vraiment valable de plus ? Voyant le regard que lui jetait l’adolescent, Apollon se mit à rire.
Ecoute, Icare. J’ai désobéis à une règle très ancienne et ainsi, je t’ai mis en danger. J’en suis navré. Malheureusement, je ne peux pas te ramener non plus en Crète. Les dieux n’ont pas le droit d’interférer dans les affaires des mortels. Même si je regrette cela, Arès a raison. Ton destin était de mourir dans les flots.
Alors pourquoi m’avoir sauvé ? demanda timidement l’adolescent. Il était encore mal à l’aise à l’idée de converser de la sorte avec un dieu.
C’est étrange, mais je l’ignore. J’ai croisé ton regard et… J’ai senti qu’il fallait que je t’aide. Que tu ne méritais pas de mourir de la sorte.
Pourtant j’ai désobéi à mon père. C’était ma punition.
Icare, relève la tête, voilà, regarde-moi. Regarde-moi dans les yeux. Veux-tu devenir immortel ?
Pardon ?
Je te propose l’immortalité, la veux-tu ?
Mais ! Il n’y a que les héros ou les demi-dieux qui peuvent prétendre à recevoir cela ! Je ne suis rien. Que le fils d’un simple inventeur et d’une esclave.
Je sais. Je sais que c’est fou. Mais j’ai l’impression que ta destinée est bien plus grande que ce que tu crois. Il y a des siècles, mon dernier oracle m’a envoyé la vision d’un jeune homme aux yeux gris, comme les tiens. Et à la peau duveteuse. Je comprends désormais que ce n’était qu’une manière de parler. Tes ailes, en fondant, ont couvert ta peau de plumes. Si tu le veux, je pourrais te prodiguer de vraies ailes.
Je suis désolé mais… Non. Je suis obligé de refuser… l’adolescent était terrifié. Bien sûr, Apollon souriait et était gentil avec lui mais son père lui avait raconté les histoires de ces personnes qui avaient désobéi aux dieux. Qui avaient refusé leurs faveurs.
Pourtant, Apollon ne fit rien. Il ne le transforma pas en rat, ne l’envoya pas directement aux Enfers et de le réduisit pas en bouillie. Une ombre passa dans son regard mais si vite qu’Icare aurait pu la rêver. Le dieu glissa sa main sur l’épaule de l’adolescent qui tressaillit et il lui sourit doucement.
Je comprends. Ce n’est rien. De toute manière, les immortels sont des idiots. Et les héros aussi. Regarde Achille par exemple, son orgueil l’a emporté dans la tombe. C’était aisé de l’abattre. Quant à Héraclès ? Il est mort de la plus bête des façons. Non, les héros sont tous idiots.
Mais Héraclès n’a-t-il pas fini à l’Olympe ?
Cela ne veut pas dire qu’il l’ait mérité. Héraclès était fils de Zeus. Et sa mère était une descendante d’héros et femme de roi. C’est ce que j’appelle du favoritisme.
Mon père m’a raconté qu’Héraclès avait fait preuve de beaucoup de force et de courage.
N’importe quoi ! Je te le dis moi, ce garçon ne vaut rien. Toi, tu es bien plus intéressant que lui. Je veux que tu sois acclamé plus fort. Que tu reçoives des honneurs.
Excusez-moi mais vous ne me connaissez pas… Pourquoi vouloir faire de moi d’abord un immortel puis un héros ? Je ne comprends toujours pas pourquoi vous m’avez sauvé…