1er septembre 1989, rentrée des cours —
Irina Platonova rentrait en dernière année de lycée. Pourtant, c’était aussi la première fois de sa vie qu’elle mettait les pieds dans une école. En effet ses parents, deux éminents chercheurs-historiens-aventuriers-géologues, l’avaient instruite à domicile. Elle possédait des centaines de connaissances mais n’avait jamais vraiment côtoyé d’adolescents. C’était donc quelque chose de nouveau que de se déplacer dans les longs couloirs de son nouveau lycée. Partout autour d’elle, les gens se retrouvaient, discutaient, riaient. Elle se demandait si, elle aussi, pourrait se faire des amis. Elle s’y connaissait en animaux, en pierres, en arbres, mais pas en êtres humains. Elle venait de passer les dix-huit dernières années de sa vie avec presque uniquement la compagnie de ses parents. Alors se retrouver ainsi au milieu d’une foule si compacte et bruyante l’angoissait un peu. Mais elle savait qu’elle n’avait rien à craindre. Ils étaient tous comme elle après tout.
Mais la première complication arriva quand elle fut incapable de trouver sa salle de cours. Le bâtiment lui semblait être immense et les numéros inscrits sur les portes ne suivaient aucun ordre logique. Alors qu’elle se trouvait au milieu d’un couloir presque vide, serrant son emploi du temps en tremblant des mains un garçon se présenta face à elle. Il était plutôt grand et assez charmant. Pas vraiment son style mais il inspirait la confiance.
– Je peux t’aider ? lui demanda-t-il en prenant délicatement son plan dans les mains. Il fronça les sourcils et acquiesça.
– Madame Duke, hein ? Son cours se trouve complètement à l’opposé ! un sourire parfait se dessina sur ses lèvres et il lui rendit la feuille toute froissée.
– Je vais t’accompagner, je dois de toute façon aller là-bas. Au fait, moi c’est Raoul ! Et toi ?
– Merci beaucoup. Irina, je suis nouvelle...
– Ça se voit ! il rit en se mettant en marche.
– Tant que ça ?
– Oui ! Mais ne t’inquiète pas, ce n’est pas si mal. Tu vas juste être le centre de l’attention pendant une semaine, voire deux. Après ça passera.
– Merci... elle lui sourit amicalement et il l’accompagna jusqu’à sa salle de cours. C’était un garçon agréable et surtout le premier avec qui elle avait une conversation. Un peu bancale et inégale vu qu’il parlait trois fois plus qu’elle mais une conversation quand même. Avant de la laisser devant la classe, ils échangèrent leurs numéros de téléphone.
– Comme ça, tu n’auras qu’à m’envoyer un message si tu es de nouveau perdue ! elle acquiesça en le saluant et toqua trois coups à la porte. Une grande femme au sourire radieux vint lui ouvrir et l’invita à entrer à l’intérieur.
– Vous devez être Irina, n’est-ce pas ? Je suis Mrs. Duke, votre professeur principale ! Pouvez-vous vous présenter au reste de la classe ? elle la poussa gentiment au centre et Irina prit conscience des regards braqués sur elle. Ils étaient une vingtaine, la dévisageant comme une peinture. La panique lui serra la gorge et son pouls accéléra. Rien ni personne ne l’avait préparée à ça. C’était bien plus simple d’être un visage dans la foule. Alors que se trouver face à toutes ces personnes la tétanisait.
– Allons, nous n’avons pas toute la matinée ! la pressa Mrs. Duke en lui tapotant sur l’épaule. Relevant les yeux au dessus des têtes de ses camardes, la jeune fille prit une longue inspiration et tenta de se calmer.
– J-je m’appelle Irina Platonova, j’ai dix-huit ans et je viens d’emménager ici. Enchantée. elle dit une courbette et se releva rapidement. Tous continuaient à la fixer sans dire un mot. C’était trop. Elle se tourna vers la professeure qui lui sourit et lui indiqua une place au fond, juste derrière une fille qui dormait sur sa table et devant un garçon portant une chemise tellement colorée qu’elle lui faisait mal aux yeux.
Les regards la suivirent mais furent interrompus par le timbre de voix imposant de Mrs. Duke qui reprit son explication de début d’année. Irina n’était pas certaine de tout comprendre ni d’être capable de se concentrer en sentant les regards appuyés sur elle mais elle fit tout de même semblant.
Quand la cloche sonna la fin de la période, elle attendit que tout le monde s’en aille pour récupérer ses affaires. Dehors de la salle, un flot impressionnant d’élèves se déplaçait. Intimidée, Irina resta sur le pas de la porte avant de remarquer que le garçon qui était assis derrière elle en classe la regardait en souriant.
– Irina, c’est ça ? Moi c’est Vyacheslav. Mais tout le monde m’appelle Ches ! – E-enchantée. elle lui offrit un timide sourire et il l’invita à le suivre. Leur cours suivant était celui de maths, une matière pour laquelle elle n’avait aucune difficulté. Mais tout était si étrange que son esprit sembla s’envoler durant toute la durée de la période. Et ce fut pareil pour le cours d’histoire et celui de géographie. Elle était incapable d’entendre ce que disaient les professeurs. Alors pour passer le temps, elle se mit à observer ses camarades. D’abord, il y avait Ches. Avec sa chemise terrible et sa peau brillante. Il devait faire des soins fréquemment. Ensuite, la fille qui dormait. A peine rentrée en classe, elle s’affalait sur sa table et ne se relevait que pour changer de salle. Elle avait de longs cheveux noirs et des yeux verts qui brillaient. Elle portait aussi un long manteau noir assortit avec le reste de sa tenue. Et la dernière personne remarquable dans sa classe était une fille incroyablement belle. Elle portait une jupe, un blazer et des chaussettes jaunes, assortis l’un l’autre. Et curieux détail, elle transportait partout avec elle un maillet de croquet. Quand Ches remarqua qu’elle fixait l’accessoire, il se tourna vers elle et lui expliqua à voix basse: – C’est une Heather. Elles sont trois, Estelle, la rouge, Natasha, la verte et Yulia, la jaune. Elles se font appeler Red, Green et Yellow. Elles boivent du thé, parlent de mode et jouent au croquet. Et surtout, ce sont les pires serpents de ce lycée. Méfies-toi ! il lança un dernier regard vers la jeune fille avant de se retourner. La concernée semblait à des milliers de lieux de là, repeignant ses ongles dans un jaune semblable à celui de sa tenue. Soudainement, elle leva les yeux et croisa ceux d’Irina. Mais au lieu de s’indigner ou de la dévisager dédaigneusement comme elle s’y attendait, Yellow lui offrit un sourire. Elle avait l’air gentille. Pas comme l’avait décrite Ches. Excentrique, oui. Mais pas méchante.
Irina aurait voulu lui dire quelque chose, comme la complimenter sur son vernis à ongle ou parler de la brillance de son teint mais l’autre jeune fille s’était déjà reconcentrée sur son œuvre, admirant avec minutie chacun de ses doigts, un par un. Elle soufflait légèrement pour faire sécher le vernis, secouant doucement son autre main. Une fois chose faite, elle remit ses cheveux en place et sortit un miroir de poche, veillant à ce que son maquillage soit toujours impeccable. Avant même qu’elle ne s’en rende compte, la cloche sonna et Irina avait passé l’entièreté du dernier cours de la matinée à observer Yellow. Cette dernière se leva rapidement, dès que la sonnerie retentit, attrapant son maillet et son sac à main. Irina la suivit du regard pour voir qu’elle rejoignait deux autres filles dans le couloir. C’étaient donc elles. Les Heathers. Red et Green étaient autant, voire plus, belles que Yellow. Celle qui était apparement leur leader, perchée sur ses escarpins et vêtue de rouge de la tête aux pieds en passant par son maquillage arborait de longs cheveux noirs bouclés et une peau qu’on aurait pu croire coulée dans l’or et le bronze. Quant à Green, elle était d’un tout autre genre. Sa beauté ne laissait pas la place à l’imagination mais plus petite et présentant plus de formes que ses deux amies, elle traînait son maillet d’un pas lent. Ses cheveux, d’un rouge cuivré et soyeux, tombaient en cascade sur ses épaules, allant s’échouer dans le creux de ses reins. Et ses yeux brillaient d’un éclat vif.
Irina aurait pu sincèrement passer la journée à les regarder. Elles semblaient posséder l’espace autour d’elles, comme si même l’oxygène leur était redevable. Sur leur passage, les gens se taisaient, s’écartaient, baissaient le regard. Elles étaient terrifiantes. Envoûtantes. Mais son observation fut abrégée par Raoul et Ches qui apparement étaient amis. – Tu veux venir déjeuner avec nous ? On va t’expliquer comment fonctionne le lycée ! elle suivit donc les deux garçons, ne sachant pas vraiment quels autres choix se présentaient à elle. Entraînée par eux dans les couloirs jusqu’à la cafétéria, ils furent arrêtés dans le hall par deux garçons. Ils portaient un veston rouge et blanc, les couleurs du lycée. Sûrement une équipe de sport. – Yo les tapettes ! salua le plus grand des deux, une vraie montagne de muscles. – Stan.