C'est n'importe quoi. Vraiment. Moi ? Je dois entraîner cette tapette de Tooru ? J'y crois pas. D'abord on me retire le rang de chef de brigade puis on me colle deux heures chaque soir avec ce boulet vivant. C'est n'importe quoi.
« – Uri, arrête de parler à mi-mots et va plutôt aider Saiko à préparer le repas ! » Cet enfoiré de Shirazu ose me donner des ordres ? Il va voir celui-là... J'enlève mes gants et met la main à la pâte. Une demie-heure plus tard, Saiko pose le plat de curry sur la table et tout le monde s'installe.
« – Alors, c'est vrai que tu vas aider Mucchan ? » Saiko me regarde en souriant.
« – Oui, je vais l'entraîner. (Mais qu'est-ce que je m'en fiche de ce pleurnichard...) »
« – C'est très gentil de ta part de sacrifier de ton temps pour aider Mucchan ! » Sasaki aussi me regarde en souriant. Ils me confondent avec la mère Theresa je crois.
« – De rien, c'est normal. (Pas du tout, vous êtes tous idiots ou quoi ? Entraînez-vous seuls !) »
D'ailleurs, Tooru n'a rien dit depuis le début du repas. M'enfin, il ne parle jamais beaucoup. Sauf pour dire des conneries... Comme d'hab' Saiko se barre en première et cours se réfugier sous ses draps. Notre très charmant chef de squad débarrasse la table et cet enfoiré d'Haise me regarde encore en souriant; c'est pas comme si j'étais un gamin cancéreux...
« – Vous êtes d'accords pour commencer l'entraînement dès ce soir ? »
« – Oui, ça me va. (Pas du tout. Je devais faire des exercices personnels mais avec l'autre tafiole ça ne va pas être possible...) »
Je me lève et fait un léger signe de tête à Mutsuki qui s'empresse de me suivre au pied de l'escalier.
« – Rendez-vous au sous-sol dans dix minutes, en tenue pour s'entraîner bien sûr. (Et si t'es en retard, j'te défonce.) »
Quand il me rejoint, sept minutes piles plus tard, Mutsuki arrive puis je m'étire pendant qu'il me regarde.
« – Échauffe-toi. (Tu arriverais encore à te blesser avec un poids... Crétin.) »
Après que nous nous soyons préparés, je décide de lui montrer quelques prises qui pourraient lui être utiles s'il devait se battre sans kagune ni quinque. Sauf qu'il est tellement faible que j'ai l'impression de jouer avec une poupée en chiffon. Au vu de ses capacités, on dirait plus une fille qu'autre chose...
« – On va en rester là pour aujourd'hui. »
« – Oh... D'accord. On reprendra demain ? »
« – Si tu le veux. (Qu'est-ce que je m'en branle de ce que tu veux...) » Il se gratte la joue timidement puis me salue avant de partir en trottinant. Enfin, je vais pouvoir m'entraîner sérieusement.
Le lendemain, rien n'a changé. Il est toujours aussi mou et fragile qu'une fillette. C'est désolant... Et les jours d'après, rebelote. Il y a de petites améliorations mais juste du côté des réflexes. Sinon, la force, l'endurance et l'agilité sont toujours lamentables. Sérieux, pourquoi c'est moi qui doit m'occuper de lui ?
« – Bonjour Kuki-kun ! » Il est déjà là ? Je sens que la journée va être longue...
« – Bonjour Tooru. Prépare-toi et enchaîne direct avec l'échauffement. » Toujours assidu, c'est bien la seule chose qu'il a pour lui.
Quand il revient, je le détaille mieux que les autres fois; il porte un t-shirt vert bien trop grand pour lui et un short de sport qu'il a sûrement piqué à Shirazu. Ses jambes sont frêles mais tout de même finement sculptées et ses bras sont maigres. Je vois. Son atout, c'est ses jambes et non pas ses bras comme je le pensais depuis le départ.
« – Tooru. (Regarde par ici petit con.) »
« – Oui ? »
« – On va recommencer l'entraînement depuis le départ et se focaliser sur la musculation des bras. Tes jambes, on s'en occupera plus tard. » Il dodeline la tête et vraiment, il ressemble à une fille. C'est fou. Je pourrais presque le trouver mignon avec ses grands yeux verts et son visage qui rougit constamment. Oui, il est assez mignon. Mais bon... C'est un garçon.
Pendant plus d'une semaine, je lui fais porter des poids, et des combats en utilisant exclusivement ses bras. Mais bon, appelons on chat un chat: il est toujours faible.
« – Tooru, je pense qu'on devrait arrêter les entraînements. (Tu es vraiment nul et tu ne progresses pas. Ça sert à rien de continuer.) » Ses yeux larmoyants me regardent un cours instant puis se fixent sur le sol. Il se met à trembloter. Il... Il pleure ?
« – Kuki-kun, j'ai vraiment besoin de gagner en compétences ! Je-je suis faible et fragile et je sais que c'est de ma faute. Je veux m'entraîner et devenir plus fort, être capable de me défendre tout seul. Je ne suis qu'un boulet... Je comprendrais que tu ne veuilles plus m'entraîner. J'irai demander à Sassan ou Shirazu. » Il essuie le bout de son nez avec le dos de sa main et fais un pas en direction des escaliers.
« – Non. (Attends, ne pars pas.) » J'ai attrapé son bras comme une pulsion. S'il part et qu'il va demander à Shirazu de l'entraîner, je verrai ça comme une défaite. Et je ne peux pas perdre.
« – Je vais continuer à t'entraîner. Et tu vas devenir fort. (Plus fort que Saiko en tout cas.) » Il se tourne face à moi et m'adresse un petit sourire avant de froncer du nez pour renifler et d'essuyer les larmes sur ses joues.
« – Merci beaucoup Kuki-kun. »
« – De rien, c'est normal. » Mes joues sont prises d'un petit spasme et un sourire léger se forme sur mes lèvres. Je ne comprend pas vraiment ni pourquoi, ni comment cela peut arriver. Je n'aime pas ça.
Les jours passent, les semaines s'enchaînent et Sasaki nous informe qu'il veut un contre-rendu des améliorations de Tooru.
« – Je viendrai demain pendant l'entraînement. » Nous a-t-il prévenus hier. Quel enfoiré, il pouvait pas nous dire plus tôt ? J'ai grogné toute la soirée et, ayant voulu me détendre en tapant dans un sac de boxe, je suis tombé sur Mutsuki qui soulevait des haltères en douce. Au fond de moi, j'ai trouvé ça adorable; il était très motivé et tellement mignon quand il fronçait le nez de la sorte. C'était un tic qu'il avait quand il était concentré, je l'avais remarqué durant nos premières vraies sessions. Je suis repartit sur la pointe des pieds et, une fois dans ma chambre, ai sorti mon chevalet, une toile, mes pinceaux, ma boîte de couleur et je me suis mis à peindre. J'ai beaucoup peint, jusqu'à tard cette nuit. Surtout des dessins de Mutsuki. Quand il est concentré et qu'il fronce son nez, quand il pleure avec ses yeux humides, quand il s'entraîne. C'est une personne très dessinable.
« – Bon, tu es prêt Tooru ? (Si tu me réponds non, je te brise ton adorable nuque.) » Il ne répond rien mais opine du chef et nous descendons au sous-sol où Sasaki et Saiko attendent. Nous les saluons, ils font de même puis je m'échauffe. Mutsuki m'imite et, une fois prêts, nous nous mettons en positions.
« – Bon, allez-y. Ne retenez pas vos coups surtout. Je veux voir un vrai combat. » Nous répondons à l'ordre d'Haise en s'attaquant de plein front. Il balance son poing en direction de ma tête mais j'esquive et riposte en faisant glisser mon pied contre ses côtes. Le pauvre Mutsuki éjecte de l'autre côté de la pièce. Il se relève avec peine, fronce son nez et reviens sur moi en courant. Malheureusement pour lui, j'ai les bras plus longs et le touche avant même qu'il n'arrive à frôler. Il voltige contre l'étagère et tous les poids tombent, lui comprit. Il me fait de la peine mais je garde mon visage impassible. Pas question de montrer que je m'inquiète pour lui. Ce serait pathétique. Un adversaire, qui qu'il soit, reste un adversaire. Les coups s'enchaînent encore et encore jusqu'à ce que le situation se renverse. Il lance sa jambe derrière mon genou et me fait tomber. Sauf que je parviens à l'attraper dans ma chute et, au final, je me retrouve par terre, au dessus de lui. Nos visages sont si proches. Je sens sa respiration saccadée, son cœur qui bat à tout rompre. Je vois la sueur qui perle sur son front, ses yeux qui expriment la frustration de toujours perdre et je ressens la fatigue dans ses traits. Il n'est pas au meilleur de sa forme; il s'est entraîné toute la nuit...
J'ai envie de le réconforter. De lui expliquer que, même s'il perd aujourd'hui, même s'il a perdu toutes les fois précédentes, et bien je l'aiderai à ne plus perdre dans le futur. Et puis... Une voix, tout au fond de moi, très profondément enfouie, me crie de le serrer dans mes bras. De l'embrasser même.
C'est ridicule. Ça me donne envie de vomir sur son si joli visage. Je me relève subitement et l'encourage à faire de même avant de reprendre le combat. J'ai besoin de le frapper plus fort. Juste pour me prouver que cette voix a complètement tort. Je ne peux pas être amoureux. Ce n'est pas dans ma configuration de base ni dans mes principes. Et encore moins d'un garçon. Je ne suis pas gay. Je le sais. Non. J'en suis certain.
« – Urie ! Arrête ! Lâche-le ! » Sasaki se jette sur moi. Je regarde mes mains: elles sont en sang. J'étais en train de tabasser Mutsuki. Sans même m'en rendre compte. Les coups partaient tous seuls.
Saiko s'est occupée du pauvre Tooru qui pissait le sang par tous ses pores. Je suis un monstre.
« – Shirazu et Maman pensent que tu devrais aller t'excuser pour ce que tu as fait. Et je suis d'accord avec eux. Tu es stupide, Urie. »
« – Je le ferai. (C'était vraiment con de ma part. Je te jure, j'ai pas fait exprès de le blesser comme ça. Crois-moi !) » Je me lève et pars en direction de la chambre du blessé. Mais au dernier moment, je me dégonfle et file au sous-sol. Je ne supporterai pas la vue de son visage meurtri. C'est moi qui l'ai frappé si fort. Juste pour me convaincre d'une idiotie. Je n'ai pas besoin de détruire quelqu'un pour me rendre compte que je ne l'aime pas. Enfin.
« – (Et si j'avais besoin de preuves parce que je suis amoureux de lui ? Aurais-je vraiment besoin de me convaincre de cette manière ?) »
Cela fait trois jours que je ne suis pas sortit de ma chambre. Je ne sais pas ce que j'ai. Je crois que je suis terrifié à l'idée de tomber sur les autres. Oui, j'ai peur. Je crois que c'est la première fois que ça m'arrive. Je ne sais pas comment réagir alors je me cache sous mes draps, à la manière de Saiko. Je peins aussi. Mutsuki, Sasaki, Shirazu et Saiko. Avec leurs regards accusateurs. Sauf pour Tooru. Lui, il a des yeux pleins de larmes. Sur toutes les peintures. Sur certaines, son nez est retroussé. Sur d'autres, il rougit. Je l'ai aussi peint avec une lèvre gonflée, un œil au beurre noir et du sang un peu partout. Ce dessin-là, je le regarde quand l'anxiété redescend. C'est stupide mais j'ai besoin de me convaincre que je suis un monstre. Mais bon, je ne peux plus cacher l'évidence même: je suis amoureux de Mutsuki Tooru. Je crois que c'est arrivé quand je l'ai retenu par le bras. J'aime à imaginer que si je n'avais pas eu mes gants, j'aurais pu caresser sa peau si douce.
« – Je dois m'excuser. » Ce n'est pas une envie soudaine. C'est un besoin. Si je ne le fais pas, peut-être ne voudra-t-il jamais me pardonner et ça, je ne pourrais pas y survivre. J'aime vraiment Mutsuki. Même si c'est un garçon, même si je ne suis pas gay, ce n'est pas grave. Il n'y a pas grande différence entre lui et une fille. Avec ses grands yeux brillants, son corps fin —mais musclé à présent—, sa voix rieuse et son rire doux. Je me lève d'un coup et sors de ma chambre. Il n'y a personne dans le couloir. Parfait ! Je me rue dans la chambre de Mutsuki qui est vide, elle aussi. Enfin, c'est ce que je crois. Jusqu'à ce que je tourne la tête et tombe nez-à-nez avec l'objet de tous mes désirs.
Je m'approche pour lui parler avant de me rendre compte que quelque chose cloche sérieusement. Pourquoi porte-il une bande autour de la poitrine ? Pourquoi se cache-t-il cet endroit comme si il avait des seins ? Et surtout, pourquoi porte-t-il une culotte ? C'est soit qu'il a un tout petit pénis ou alors...
« – Tu es une fille ? » Je n'en reviens pas. Les mots me manquent. Que ? Quoi ? Où ?Comment ? Pourquoi ? Quand ?
Il ou plutôt, elle saisit rapidement un t-shirt et le passe en quatrième vitesse. Son visage est rouge tomate et I-elle fait un pas en arrière. Elle s'éloigne de moi.
« – Tooru. Tu n'as pas à avoir peur de moi. (Je suis désolé. Je ne voulais pas te blesser de la sorte. Je t'aime. Pardonne-moi.) »
« – Je-je n'ai pas peur. »
« – Tu en es bien sûre ? »
« – Certain. » Il dodeline de la tête comme pour essayer de s'auto-convaincre. Des bleus assez gros sont apparus partout sur son visage et ses bras. Son sourcil gauche a prit cher et sa lèvre est fendue.
« – Je... Je peux faire quelque chose pour toi ? (Dicte-moi n'importe quel ordre, je l'exécuterai sans sourciller. Pitié.) »
« – Ne-ne dis pas aux autres ce que tu sais sur moi. Je suis un ga-garçon. Et... Sors. S'il te plaît... » J'acquiesce et quitte la pièce en refermant délicatement la porte. Alors que je me retourne, Sasaki apparaît devant moi comme un screamer.
« – Tu es sortit de ta chambre. Et tu connais son secret. J'espère que tu ne le divulguera à personne. Sinon, je me verrai dans l'obligeance de te manger. J'espère que tu vas respecter ta parole. »
Il disparaît comme il est arrivé, c'est à dire en se glissant sans un mot, sans un bruit dans sa chambre. Il n'est vraiment pas normal celui-là...
Le lendemain, après une bonne nuit pleine de sommeil et une dizaine de portraits d'un Mutsuki souriant, je descends au salon. Shirazu et Saiko sont absents mais Haise et Mutsuki discutent en buvant du café. Je m'installe à la table de la cuisine, à distance respectable des deux autres et écoute leur discussion d'une oreille distraite.