L'été ne dure jamais

histoire originale incomplète


C’était le début de l’été, comme dans toutes les histoires. Une jeune fille qui s’ennuie, les pages d’un livre qui se tournent, les gazouillis des oiseaux dans les rares arbres d’une ville polluée. Toujours la même chose. Le temps est une boucle et les évènements ne changent jamais. Après l’été viennent l’automne, l’hiver, le printemps, puis c’est à nouveau l’été. La chaleur étouffante, les longues journées vides d’intérêt, les rires de ceux qui s’amusent à l’extérieur. Pas de plage ici, pas de paysages sereins, pas de petite cité tranquille, juste le brouhaha incessant de cette ville qui ne dort jamais. Et les sanglots d’une jeune fille qui s’ennuie.

Dans sa petite chambre perchée tout en haut d’un immeuble relativement récent, Tabatha se fichait éperdument de l’été, de la chaleur ou de la sueur qui lui coulait le long de la nuque. Elle avait exactement soixante-quatre choses à faire avant son départ en vacances et n’en avait encore commencée aucune. De l’autre côté de la porte qui la séparait de l’univers, les piaillements de sa mère qui commandait aux autres de s’activer retentissaient. Mais ces cris n’atteignaient pas l’adolescente qui, essuyant quelques sanglots, continuait la lecture de son roman. Comme tous les autres qui trônaient fièrement dans sa bibliothèque, c’était une histoire à l’eau de rose. Une jeune femme qui rencontre un jeune homme. Un seul regard suffit à les rendre amoureux l’un de l’autre. Mais le sort les sépare. Et finalement, ils se retrouvent, s’enlacent et s’embrassent. Sur le papier, c’est ce qui était écrit. Mais Tabatha opérait toujours quelques modifications. Traçant les « il » pour les remplacer par des « elle » et changeant le prénom du héros par quelque chose de plus… féminin. Ce n’était pas un secret. Elle avait toujours fait ça. Au départ, sa mère, une femme bonne et sensée, s’était simplement dit que sa fille était une féministe dans l’âme qui, seulement âgée de cinq ans, luttait pour les droits des femmes à son échelle. Mais passé la préadolescence, elle dû se résoudre à comprendre que sa fille était plus qu’une simple adoratrice de la cause.

Se retournant sur le dos, ravalant quelques sanglots alors que l’héroïne numéro un promettait à l’héroïne numéro deux que rien ne les séparerait jamais, Tabatha se retrouva nez-à-nez avec le poster géant d’une star de la chanson connue internationalement accroché à son plafond. Elle l’avait depuis ses dix ans. C’était un des signes avant-coureurs, avait dit sa mère à l’un de leurs nombreux rendez-vous chez un psychanalyste. Puis elle avait énoncé d’autres faits. Outre les livres et le nombre affolant d’affiches à la gloire de stars féminines, elle avait aussi retrouvé un petit bracelet tressé aux couleurs d’un drapeau bien connu, quelques pages déchirées d’un journal intime nonchalamment abandonné sur le bureau de sa fille ou encore, ce qui lui avait tout confirmé : un sms envoyé au mauvais destinataire. Tabatha était tête en l’air et ne faisait pas toujours attention à ce qu’elle faisait. Et bien qu’elle se fichait que la terre entière sache pour son attirance envers la gente féminine, elle devait bien reconnaître que de faire son coming-out à ses amis par messages fut sa première erreur. Surtout quand elle l’envoya par mégarde à sa mère. Qui le lut avant même qu’elle puisse l’effacer. Trois minutes plus tard, elle surgissait dans sa chambre et lui posait tout un tas de questions auxquelles l’adolescente aurait préféré pouvoir réfléchir avant d’y être confrontée par la femme qui lui avait donné la vie.

Ce ne fut pas le plus agréable des moments pour elle mais ça ne lui servait plus à rien de le nier. Après tout, elle l’avait toujours su. Et ça lui tenait à cœur que ses parents le sachent. Mais elle ne pouvait s’empêcher de se dire que ça aurait été mieux si elle avait pu se préparer correctement à affronter le courroux divin. Sa sœur cadette ne comprit pas tout de suite ce que les mots « lesbienne » et « anomalie » faisaient ensemble dans la bouche de ses parents. Mais elle sut assez rapidement que c’était faux. Le frère aîné de Tabatha, quant à lui, n’en fit pas cas non plus, s’efforçant pour la plupart du temps de calmer les ardeurs de leurs parents. Quoi qu’il en soit, désormais elle ne se cachait plus. Elle avait même réussi à convaincre ses parents qu’elle n’était pas malade et que dieu ne lui refuserait pas l’entrée au paradis pour ça. Il leur fallut du temps. Sûrement plus que pour d’autres personnes. Mais au bout d’un moment, son père lui avoua qu’il priait à nouveau pour elle. Pour qu’elle soit heureuse et trouve une fille qui soit comme elle et bonne croyante. Elle n’avait pu empêcher quelques larmes d’affluer le long de ses joues et il l’avait serrée contre son torse. Et depuis, ils n’en avaient plus jamais parlé.

Finalement, l’odeur d’un repas chaud sortit l’adolescente de sa lecture tandis que sa sœur passait la tête dans l’entrebâillement de sa porte. C’était l’heure de dîner. Elle essuya les marques de son malheur d’un revers de la main et posa soigneusement son livre sur son matelas. Ses héroïnes étaient enfin ensemble, après avoir été séparées pendant si longtemps. Cette pensée lui réchauffa le cœur alors qu’elle se glissait à l’extérieur de sa chambre, se jetant dans l’univers.

Sur l’échelle des familles bruyantes, la sienne atteignait sûrement quelques sommets. Pourtant, elle n’était même pas nombreuse. Mais sa mère possédait un timbre de voix exceptionnel dont sa sœur et son frère avaient hérité. Dans la cuisine, son père mélangeait les éléments du couscous tandis que sa mère remettait son voile en place. Sa sœur courait tout autour de la table en riant, le téléphone de leur aîné entre les mains. Ce dernier la regardait faire d’un œil sombre, n’ayant pas très envie de rentrer dans son jeu. Tabatha les regarda faire en s’installa à sa place. Sa mère la chassa directement, lui indiquant d’aller se laver les mains et ordonna à ses autres enfants de faire de même. Dans un soupir collectif, ils obéirent, préférant largement avoir les mains propres que de s’attirer les foudres maternelles.

Quand ils revinrent, le repas était disposé sur la table. Du couscous avec de l’agneau, des carottes et des pois chiches, quelques piments mis à parts, une carafe d’eau et des bricks. Ils se servirent chacun leur tour et quelques minutes plus tard, un silence religieux pesait sur leurs épaules alors qu’ils mangeaient avec délectation.