"24ème siècle. Depuis la crise radioactive de 2031, l'humanité vit recluse derrière les murs de trois Cités Mondiales Póli en Afrique, Pa en Océanie et, la plus importante, Dosi en Asie. Nos ancêtres n'étant plus capables de vivre à l'extérieur à cause de l'air toxique et de la faune et la flore qui se sont adaptées très rapidement à cette nouveauté, rendant la vie encore plus impossible, ils ont bâtit ces havres de paix et de protection. C'est pour votre propre sécurité qu'il est interdit de sortir de l'enceinte de nos Citadelles, au risque d'en périr. Ne réitérons pas les erreurs de nos prédécesseurs en gâchant cette seconde chance qui nous est offerte. Pensons à l'avenir et pensons aux Citadelles. Nous ne faisons qu'uns. Et ensemble, le futur sera glorieux. "
Voici le discours qui passe chaque jour, à sept heures tapantes, sur toutes les télévisions, les radios et les téléphones de tous les habitants de la Citadelle Dosi. Ce message a pour but de toujours rappeler à la population de la Cité Supérieure quelle est leur place au sein de la société. Et pour les dissuader de se risquer à l'extérieur des bons murs protecteurs de leur patrie.
Ædna Salazar le connaît par cœur. Cela fait désormais dix-huit ans qu'elle se réveille tous les matins à la douce écoute de ces paroles. Mais ce n'est pas pour autant qu'elle entend leur message. Cela fait des années qu'elle a appris à en faire abstraction. Elle élude cette société, se déplace dans un univers où tout est flou. C'est facile de faire semblant quand la monotonie fait notre quotidien. Ses parents qui crient, ses notes médiocres, son travail qui ne paie pas. Tout ce qu'elle fait, elle le fait parce qu'on le lui a ordonné. Jamais Ædna n'a pu connaître la joie d'avoir un hobby ou un passe-temps. Mais ici, à Dosi, tout le monde travail pour l'Etat. On ne vit que pour lui. Et c'est pareil dans les deux autres Cités. Les vies sont dévouées à la Citadelle et à l'Etat. On ne pose pas de questions, on obéit aux règles.
Malgré ce semblant de paix, il est courant de voir des gens mourir sous nos yeux. Ædna a déjà vu son frère partir. Comme le reste de sa famille. Le racisme est ordinaire. Leur peau et leur accent les rendent différents. Et il n'y a pas que cela. Dans le cœur de la Citadelle dorment les secrets. Et sur le visage des habitants coulent les larmes.
Zola Hammel, Citadelle Póli connaît ça aussi. Avec sa peau noire parsemée de tâches blanches, elle déteste cette vie. Les habitants de sa Cité sont moins encadrés que ceux de Dosi. Ils se rebellent plus souvent. Les tueries sont plus fréquentes. Et pourtant, personne ne dit rien. Parce que c'est ce que les gens font; ils se taisent. Ils cachent les crimes des autres pour espérer être épargnés. Mais l'Etat découvre toujours tout. Et quand ils arrêtent de se taire, les gens meurent. C'est la logique des choses. Alors Zola parle. Mais elle ne dit jamais rien d'assez intéressant. Sa famille est encore sauve alors elle n'en fait pas trop. Mais elle sait qu'elle devra bientôt agir. Parce qu'elle ne peut plus se taire.
Il y aussi Baxter que tout le monde appelle Icare. Baxter qui n'est ni différent, ni en danger. Mais qui fait toujours de son mieux pour ne pas basculer du mauvais côté de la balance. Pa est une petite Cité comparée aux deux autres. Alors les secrets sont un peu moins secrets.
Ædna Salazar avait toujours été grande. Déjà enfant, elle dépassait tous les autres d'une tête. C'était gênant pour une fille d'être grande, avait dit son médecin. Et bien évidemment, ça avait empiré avec l'adolescence. À la Citadelle Dosi, seconde plus grande cité mondiale, se fondre dans la masse était quelque chose d'important. Mais quand on surplombait le monde comme elle, tour devenait plus compliqué. Son père lui avait toujours appris à se tenir parfaitement droite et à lever le menton haut. Pour montrer aux autres qu'elle se fichait de sortir du lot. C'était difficile au début, mais la jeune fille était dotée d'une capacité d'apprentissage plutôt rapide.
Elle tirait ça de sa mère. Avec ses cheveux blonds et son sourire. Le reste, elle l'avait hérité de son père. Sa taille, son caractère, la forme de son nez. Ses yeux étaient l'unique chose qu'ils avaient conciliée chez elle. Un vert pour le père, un brun pour la mère. Cela faisait partie d'elle.
Ædna avait toujours appris à être elle-même. Malheureusement, à Dosi être quelqu'un passait après l'intérêt du groupe. Les enfants s'épanouissaient rarement. Les parents ne les éduquaient pas. L'école s'en chargeait. Et après les enseignants, les patrons prenaient le relais. Tout était fait pour que la communauté continue d'exister. A Dosi, ceux qui n'arrivaient pas à se fondre dans la masse étaient considérés comme des erreurs. Mais les Éphémères étaient les plus craints de tous. Et la jeune fille le découvrit quand son frère développa ses dons.
Tomas était à peine plus jeune qu'elle, treize ans tout au plus. Au contraire de son aînée, il était parfaitement normal. Des yeux bruns, des cheveux bruns, une taille raisonnable. Les voisins de la famille l'appelaient "l'enfant béni des Salazar". Ce qui avait pour effet d'énerver le jeune garçon qui n'aimait pas les moqueries dont sa sœur faisait les frais. C'était un enfant intelligent, rempli de compassion et très mûr. Personne n'aurait pu se douter de ce qu'il allait lui arriver. Il fut emmené par la police de l'Etat trois jours après son quatorzième anniversaire. C'était à peine un adolescent. Mais il avait été atteint de l'Ephémèrisation. Un phénomène rare qui touchait, à l'époque, à peine une personne sur mille à Dosi.
Dans les livres d'histoire, il est noté que ce processus touchait les adolescents entre huit et quinze ans et que jamais aucun individu n'avait survécu au-delà de son vingt-troisième anniversaire, d'où le terme "Éphémère". Ces personnes, dès la découverte de leurs dons, étaient considérées comme des monstres. L'Éphémèrisation est une sorte d'hormones que l'on trouve dans les gènes de la population. La plupart des habitants la possèdent mais chez eux, elle ne se réveillera jamais. Dans d'autres cas, elle se transmet sur plusieurs générations ou même parfois, on a constaté que des familles entières le possédait.
Et comme tous les autres avant lui, Tomas ne rentra jamais à la maison, parce que c'est ce qu'il se passe toujours avec les personnes comme lui. Ils sont envoyés en quarantaine et y restent jusqu'à leur mort. Mais ce que la population ignore, c'est qu'une fois à l'intérieur, les Éphémères ne revoient jamais la lumière du jour. Ils sont gardés dans le noir jusqu'à ce que vienne leur tour d'être assassiné. Le jeune garçon découvrit cela en en faisant les frais. Mais il parvint à l'annoncer à sa sœur. Il ne reviendrait jamais. Ils ne se reverraient plus.
Le lendemain, la jeune fille découvrait qu'une plante avait poussé dans le creux de sa main. Une jolie fleur, délicate et inodore qui s'était fanée une fraction de secondes plus tard. Ce n'était pas la seule. Sans être capable de l'expliquer, ses poignets s'étaient retrouvés tous deux enlacés par du lierre. Et AEdna se dit qu'elle avait eu de la chance qu'il ne s'agisse pas d'une de ces plantes dangereuses qui dévorent les humains ou qui sont recouvertes d'épines empoisonnées. Elle apprit à dompter ce don nouveau, à le cacher et surtout à ne jamais s'en servir. Parce que si Tomas avait acquis la maîtrise des pensées, elle savait qu'être capable de communiquer avec les plantes pourrait lui être fatal dans cette société où la flore était considérée comme l'ennemi numéro un de l'humanité. Mais c'était une ado, sans expérience. Elle ne pouvait demander de l'aide à personne. Elle refusait de mêler ses parents à cela. Elle n'avait pas d'amis. Et elle savait que tôt ou tard, l'Etat suspecterait quelque chose.
De plus, chaque famille ayant possédé un Éphémère se retrouvait mise à l'écart et blâmée pour tous les malheurs du monde. Les Salazar n'en firent pas exception. D'abord, le père perdit son emploi. Puis la mère se fit harceler dans la rue. Et AEdna qui était pourtant une élève exemplaire fût renvoyée de son lycée. C'est donc à l'aube de ses dix-sept ans que les Salazar quittèrent la Citadelle Dosi pour aller s'installer à Póli, en Afrique. Habituellement, les transferts n'étaient pas acceptés car cela pouvait risquer de chambouler l'Ordre Mondial. Mais, à de rares occasions, l'Etat abdiquait et envoyait les personnes concernées dans la Cité qui voulait bien d'eux.
Póli, la plus prospère des Citadelles, était aussi la plus libre. Ses habitants n'étaient pas contrôlés comme à Dosi. Et la différence d'AEdna n'en était plus vraiment une. La seule chose qui contrastait avec les gens ici, c'était sa couleur de peau et ses yeux légèrement bridés, héritage culturel de ses ancêtres de Dosi. Et bien vite, la jeune fille se fit des amis et une place dans ce monde qu'elle avait toujours cru hors de sa portée.
Mais quand on est un Éphémère et que l'on baisse sa garde, on finit toujours pas se faire prendre. AEdna l'apprit bien vite.
C'est dans les geôles de l'Etat qu'elle rencontra Zola. La personne qui, pardonnez.moi le cliché, allait chambouler tout son monde et ses convictions.