L'Effacée

one shot original


Il était une fois, une jeune fille dotée d'une beauté exceptionnelle, sans pareil. Elle était si belle que chaque homme était amoureux d'elle et chaque femme en était incroyablement jalouse. De ce fait, elle avait beau être la plus belle personne de la terre, rien ne la protégeait de la solitude. Elle en souffrait cruellement, pleurant chaque nuit en priant les étoiles de la délivrer.

Ce qui semblait être, aux yeux de tous, un don de la nature, pesait sur ses épaules. Elle n'était pas assez forte pour endurer tout cela.

Un soir, la souffrance de cette existence se fit encore plus insupportable. Elle s'était autorisée à se rendre au village avoisinant sa modeste maison quand un groupe de villageoises l'avaient assaillie. Elle en était finalement ressortie couverte de honte et de larmes.

Elle avait décidé, au bout de dix-neuf années, qu'elle n'avait plus à accepter de subir cela. Faire ce choix avait été difficile mais elle en avait conclu qu'il s'agissait de la meilleure solution.

Alors, à la nuit tombée, elle rangea une dernière fois la maison dans laquelle elle avait grandi. Quand elle verrouilla la porte, une pointe de mélancolie la frappa au cœur. Sa vie avait souvent été remplie de mauvais moments mais tous les meilleurs, elle les avait passés entre ces quatre murs.

Ne portant qu'une simple robe, elle s'enfonça dans la forêt. Haut dans le ciel, les étoiles renvoyaient sur la jeune fille leur éclat réconfortant. Elles étaient ses confidentes, ses seules amies. Les uniques témoins sa fin.

Déambulant sans but précis, elle se retrouva dans un bosquet baigné par la lumière céleste. Son corps était fatigué, elle se laissa donc tomber au centre des arbres, posant sa tête sur la mousse. L'usure qui remplissait son corps et son esprit s'envola alors qu'elle fermait les yeux. Alors qu'elle était sur le point de passer à l'acte, elle se rendit compte à quel point elle avait attendu ce moment durant toute sa vie. Sa beauté était un fardeau. Ne suscitant que la jalousie et le désir envers les femmes. La forçant à subir les remarques et les gestes déplacés des hommes. Ses parents n'avaient pas voulu d'elle. Sa vie, elle l'avait vécue seule. Jusqu'à la fin. Pourtant, maintenant, la douleur en son sein s'apaisait.

Non loin de là, un jeune prince qui avait été chassé de son royaume, voyageait en compagnie de son serviteur, un sorcier puissant. Ils étaient à la recherche d'une fille assez belle pour épouser le prince afin qu'il puisse la présenter à ses parents royaux et devenir roi à son tour. Alors quand les sanglots de la jeune fille parvinrent jusqu'à eux, ils se rendirent tout naturellement dans leur direction.

« Non, ne faites pas cela, » s'exclama le prince, accourant pour soutenir celle dont les larmes continuaient de perler sur ses joues, telles des constellations humides. Séchant les sanglots qui déformaient son visage, le jeune homme la prit dans ses bras. La lune s'était voilée, éclipsant l'espace d'un instant la beauté de la jeune fille.

C'est alors qu'un désir de la protéger naquit chez le prince. Il la berça dans l'espace de ses bras jusqu'à ce qu'elle cesse de pleurer. Elle se sentait bien contre lui. Il l'avait sauvée. Elle se dit qu'il s'agissait d'un message des étoiles.

« Qui vous envoie ? » demanda-t-elle, tandis que dans le ciel, l'astre céleste se dévoilait doucement. Mais le prince ne fut pas capable de répondre quoi que ce soit. Les pleurs ayant cessé et la lune réapparaissant dans les cieux, la douceur de ses traits et la perfection de son visage scintillaient face à lui.

« Vous êtes... » commença le prince mais elle ne le laissa pas finir.

« Magnifique, je sais. Là est mon malheur. »

« Comment cela pourrait être un malheur ? Ne devriez-vous pas vous réjouir d'avoir en vous autant de charme qu'Aphrodite elle-même ? »

« Hélas ce n'est guère une raison de se réjouir. Jamais Aphrodite de part sa position de déesse n'aurait souffert de la jalousie et de la haine. Les dieux ne sont pas pareils aux humains. Ceux-là n'aiment qu'eux et envient les pauvres gens qui feraient l'erreur d'être mieux lotis qu'eux. »

« Venez dans mon royaume. Je vous y convie, » il prit délicatement ses paumes entre les siennes et déposa un chaste baiser dessus. « Marions-nous et je vous protégerai de ce sort qui semble tant vous faire souffrir. »

« Loin de moi l'envie de vous contrarier, monsieur. Mais je ne désire pas être protégée. Par le passé, j'ai tant souffert que ces belles promesses me semblent trompeuses. » le prince, n'aimant pas la tristesse qui habitait le visage de sa bien-aimée, appela son serviteur. L'homme se pressa de venir.

« Que désirez-vous, messire ? »

« Toi qui est doté du savoir et des connaissances de tes prédécesseurs, délivre donc cette jeune femme de la malédiction qui a rendu jusque là sa vie si insupportable. » le prince prononça ses mots et immédiatement le sorcier obtempéra. Il aida la jeune fille à se relever et murmura des mots étranges qui n'avaient aucun sens pour elle. Néanmoins, à peine eût-il parlé qu'elle se sentit comme transportée. Autour d'elle une brume aux couleurs du crépuscule brouillait toute perception des sens. Elle ressentit consécutivement un bonheur immense puis une tristesse incommensurable. Pourtant elle n'avait pas envie de pleurer, ni de crier. Elle se sentait paisible. Son cœur était las. Mais la brume disparut, emmenant avec elle une part de son identité.

Quand elle se retrouva à nouveau entre le prince et son sorcier, son corps était léger, à l'image de son esprit. Elle n'avait soudainement plus peur de ce que les autres pourraient lui dire.

« Désormais, » commença le sorcier de sa voix rocailleuse, « les gens te verront mais tu t'effaceras de leurs mémoires. »

« Que voulez-vous dire ? »

« Seules les personnes n'ayant aucune mauvaise pensée à ton égard seront capable de conserver ton souvenir. Pour les autres, tu ne laisseras qu'un flou dans leurs esprits et un vide à la place de leurs cœurs. » le prince arborait un large sourire ; il se voyait déjà emmener sa fiancée au palais parental. Lui, épousant la plus belle femme de la terre ? Ses cinq frères seraient forcément jaloux !

Mais elle ne voulait pas l'épouser. Bien sûr, cela elle ne savait pas comment le lui annoncer. On ne contrarie pas un prince. De plus, il l'avait sauvée alors qu'elle s'apprêtait à rejoindre les étoiles. Elle lui devait la vie. Il voulait l'aider. Alors elle accepta de le suivre dans son royaume. Ils voyagèrent à cheval durant trois jours et trois nuits avant d'arriver au palais. C'était une luxueuse demeure de marbre. Mais alors que le prince présentait sa charmante épouse, on lui dit qu'il n'y avait personne à ses côtés. Se rappelant les paroles du sorcier, la jeune fille fut triste de voir que le roi et la reine n'avaient pas le cœur pur. Mais refusant de renoncer, le prince l'épousa tout de même. Leurs sentiments n'étaient pas partagés mais elle désirait le rendre heureux. Pour la première fois de sa vie, elle se sentait acceptée et aimée.

Ils construisirent un manoir dans la forêt. Le prince songeait à tout pour rendre son épouse heureuse. Alors que le temps passait, la beauté de la jeune fille ne cessait d'augmenter. Et cela grisait le prince. Il passait des heures à l'observer, clamant à qui voulait l'entendre que sa beauté était sans égal. Et ces paroles mystérieuses à propos d'une princesse que l'on n'avait jamais vue intéressèrent les royaumes environnants. Tout un chacun se hâta d'envoyer un émissaire. Le prince, prenant plaisir de cette situation déclara alors que la personne qui serait capable de voir son épouse pourrait la lui prendre.

De partout, on venait pour tenter sa chance. Chaque homme, qu'il fut paysan ou roi, désirait se marier avec la plus belle femme qui soit. Les prétendants venaient par centaines mais personne ne la voyait jamais. Dans le cœur de la jeune fille, celui-là même qui s'était senti si libre le soir de leur rencontre, gonflait un sentiment qu'elle avait enfoui au plus profond d'elle. Mais à chaque nouveau jour qui défilait, la mélancolie prenait un peu plus de place. Mais elle ne voulait pas se plaindre. Alors elle pleurait quand personne ne la regardait. Quand son époux avait les yeux ailleurs.

Puis un jour, advint ce qu'il devait forcément arriver. Son prince la chercha. Il l'appelait, devenait fou. Et elle avait beau l'étreindre et le supplie d'arrêter, il était incapable de la voir. Elle avait disparu à cause de son orgueil. Il avait arrêté de l'aimer pour ce qu'elle était. Ses sentiments s'étaient envolés. Il ne la considérait plus comme sa tendre épouse mais comme celle qui lui offrait toute cette gloire.

Et une fois encore, la jeune fille se retrouvait seule au monde.

Elle quitta leur maison, s'enfuyant sous le nez de celui qui jadis l'avait couverte d'affection et d'amour. Elle erra seule durant des semaines.

Un jour, elle s'arrêta là où dans le passé s'était trouvé une rivière. Désormais, il n'en restait plus que le lit. Fatiguée de fuir, la jeune femme se mit à pleurer. Ses larmes renfermaient le poids de toute la tristesse qu'elle s'était efforcée de cacher pour ne pas faire de tort à son époux. Et elle sanglota tant et si bien que quand elle n'eût plus de larmes à offrir à son malheur, un fleuve était apparu. Et là, face à elle se tenait une nymphe. Son teint était pareil à celui des flots qui l'entouraient. Et elle souriait.

« Qui êtes-vous ? » questionna la jeune femme, ne s'attendant pas à de réponse de sa part. Ainsi fût-elle surprise quand elle s'approcha d'elle.

« Toi, qui part tes larmes m'a délivrée de mon supplice, je désirais te remercier. Ainsi, je t'offrirais ce que tu désires. »

« Par le passé on m'a déjà fait une telle promesse. Vois-tu, je suis désormais seule et malheureuse. Je ne fais plus confiance à ce genre de paroles. » la nymphe s'assit à ses côtés et l'écouta conter son histoire.

« Quel est ton prénom, à toi jeune fille dont la beauté dépasse l'entendement. » lui demanda-t-elle une fois que son récit fut terminé.

« Je n'en ai point. Personne n'a jamais ressenti le besoin de me nommer. »

« Pour te prouver que mon cœur est sincère, je vais t'offrir un nom. » elle sembla réfléchir un instant puis lui prit les mains. « A partir de ce jour tu seras la douce Irène. Que ton cœur soit lavé de cette mélancolie, moi la nymphe du fleuve t'offre de vivre à mes côtés. »

« Je ne puis accepter. Car un jour, pour vous aussi je disparaîtrai. »

« Les hommes sont futiles. Ils ne désirent que les meilleures choses puis, quand ils les ont obtenues, s'en désintéressent. Tu dis que les femmes te jalousent. Ma beauté n'est pas comparable mais si tu sais m'accepter comme je suis, je ne ferai cas de ton apparence. » la nymphe se leva et pointa le fleuve qui coulait sous leurs pieds. « Ton cœur est rempli de bonté et de mélancolie, je l'ai vu. Si tu m'offres ton existence, je m'engage à te rendre heureuse. » la jeune femme sentit la sincérité dans les propos de la nymphe. Elle se leva à son tour et accepta sa proposition.

Alors la nymphe lui prit la main et l'emmena dans le fleuve. Désormais, elles étaient liées. Et jamais la nymphe n'oublia la jeune femme. Parce que quand elle voyait son visage, elle ne pensait qu'à l'amour qui les liait.