Tommen aimait Bran et Bran aimait Tommen.
C'était comme ça, tout simplement. Personne ne s'y attendait mais personne ne le savait. C'était un secret qu'ils partageaient ensemble.
Tommen Baratheon, fils de Robert et Cersei Baratheon était, depuis toujours, un garçon jovial et affectif. Il possédait un rire communicatif et un sourire malicieux. Dans sa famille, on vantait la beauté de ses yeux rieurs et des petites fossettes qui apparaissaient dès qu'il levait les commissures de ses lèvres. Sa mère l'aimait d'un amour sans faille et son père, quand il n'était pas trop occupé à boire, s'attardait parfois à le complimenter sur la manière dont il se tenait toujours, bien droit et fier. Tommen avait un frère, Joffrey, et une sœur, Myrcella. Le premier s'amusait à le terroriser sans aucune autre raison que sa cruelle nature, tandis que la deuxième le trouvait trop souvent ennuyant et bébé. Elle n'était âgée que d'une année de plus mais leur mère s'exclamait à qui voulait l'entendre que Myrcella était la plus mature de ses enfants. Alors Tommen jouait souvent seul, ou avec son chat, Ser Pounce, cadeau reçu pour son douzième anniversaire. Maintenant, Tommen en avait dix-sept et il s'ennuyait toujours autant qu'avant. Son frère était un idiot fini et sa sœur une pimbêche. Le mariage de ses parents aurait été meilleur s'il s'appelait divorce et sa mère trompait tellement ouvertement son père que même ce dernier était au courant. Mais à quoi bon ? Tous savaient qu'ils n'avaient jamais été heureux ensemble. Et cela faisait longtemps que le patriarche ne dormait plus dans le lit conjugal, préférant la couche de quelque jolie fille des cités entourant la ville. Mais Tommen se fichait bien de sa famille. Parce que depuis quelques temps, il comblait sa solitude en pensant à Brandon Stark.
Brandon Stark, plutôt appelé Bran par littéralement tout le monde excepté Tommen, était le deuxième fils d'Eddard Stark, le meilleur ami de Robert Baratheon. Il aimait ses frères, Robb et Rickon, et ses sœurs, Sansa et Arya, plus que quoi que ce soit d'autre. Il aimait aussi sa mère, Catelyn, et son chien, Eté. Et, depuis tout petit, il rêvait de devenir quelqu'un d'important dans la vie des autres, comme un pompier par exemple. Mais il avait eu un accident. Et depuis, il ne pouvait se déplacer qu'en fauteuil roulant, résumant ses journées à vagabonder dans la maison familiale et à lire des livres qu'il ne trouvait pas très intéressants. Parfois, il parvenait à convaincre ses parents de le laisser dépasser les limites de leur domaine. Mais pour quoi faire ? Il devait toujours revenir au risque de les inquiéter plus que nécessaire. La plupart des gens ne comprenaient pas pourquoi le petit Brandon semblait si austère et malheureux dans son joli fauteuil. Ils ne voulaient pas comprendre qu'il avait un jour eu des rêves et qu'il était obligé d'observer les autres poursuivre les leurs alors qu'il resterait à jamais cloué dans un fauteuil ! Ils ne voyaient en lui qu'un adolescent perturbé et déprimé qui n'aimaient rien faire de ses journées.
Mais Tommen aimait Bran, qu'il marche ou qu'il reste assis. Il l'aimait depuis leur toute première rencontre, quand ils n'avaient que cinq ou six ans, et que Robert avait envoyé ses enfants en vacances à Winterfell pour changer d'air. Bien évidemment ce n'était qu'une excuse mais Ned et Catelyn avaient immédiatement accepté. Tous leurs enfants se tenaient encore fièrement debout et ils accueillirent les Baratheon avec joie. Tommen était certain qu'il n'oublierait jamais l'air mutin qui habitait le visage de Bran. Un mélange de malice et d'espièglerie qui lui avait directement plu.
A début, Bran ne l'approchait pas. Il ne lui parlait même pas, le laissant jouer avec Rickon et Arya. Mais dès qu'il levait les yeux, Tommen surprenait ses sombres prunelles bleues qui l'observaient avec curiosité. C'était intéressant de se sentir scruté ainsi. Au bout d'une journée, Tommen s'était pris au jeu. Et il se débrouilla même pour que, trois jours plus tard, ils se retrouvent seuls au fond du garage.
- Je t'ai vu ! s'était-il exclamé, se retournant assez vite pour que Bran ne puisse pas se cacher.
- Et alors ? Qu'est-ce que ça te fait ? C'est parce que je voulais que tu me voies. Sinon, tu ne te serais même pas douté de ma présence. avait rétorqué le petit loup en sortant complètement de sa cachette de fortune.
Tommen avait ri et les sourcils de Bran s'étaient froncés. Il pensait que le blondinet se moquait de lui. Puis il avait très vite compris que Tommen n'était pas comme ça, qu'il était incapable d'avoir de mauvaises pensées. Pour lui, c'était le garçon le plus gentil et le plus pur qu'il connaissait. Et cela lui faisait bizarre.
Après son accident, Tommen supplia ses parents pour lui rendre visite. A l'hôpital, Bran se rendit compte qu'il était le seul qui ne le regardait pas avec pitié ou curiosité mais avec une réelle inquiétude. Pas la même qui habitait les yeux de ses parents, non, quelque chose d'encore plus pur que ça. Pour un enfant de dix ans à qui l'on vient d'apprendre qu'il ne marcherait plus jamais, le sentiment qu'il avait ressenti en côtoyant Tommen ce jour-là était certainement la plus douce des choses.
Aucun d'eux ne savait ce qu'était l'amour. Ils aimaient leurs mères, ils aimaient leurs sœurs, ils aimaient leur chat ou leur chien, oui. Mais ils n'avaient jamais réellement éprouvé le sentiment amoureux dans sa forme la plus pure.
Meera, une fille que Bran connaissait par le frère de celle-ci, Jojen, était un jour arrivée et l'avait embrassé juste avant le dernier cours de maths qui précédait les vacances, le laissant estomaqué pour le reste de la journée. S'il l'avait voulu, Bran aurait pu l'embrasser à nouveau. Meera Reed était jolie, très jolie, avec ses épaisses boucles brunes et ses grands yeux verts. Elle était intelligente aussi, première de sa classe et surtout, elle était plus vieille que lui. Mais c'était la sœur de son meilleur ami. Et Bran n'avait pas envie de l'embrasser. Parce qu'il s'était rendu compte que la personne avec qui il voulait faire ça n'habitait pas à Winterfell. Et n'était pas une fille. Tommen hantait ses nuits. Combien de fois est-ce qu'il maudit ces mèches blondes, ce sourire ravageur et ces yeux verts, si pures et envoûtants ? Il n'aurait su le dire. Mais il avait décidé d'agir. De ses débarrasser de cette image angélique qui envahissait son cerveau, une bonne fois pour toutes.
Tommen ne connaissait rien aux filles. Et elles ne l'intéressaient pas. Il trouvait ça déjà assez épuisant de devoir se coltiner Myrcella tous les jours sans encore en ajouter une couche. Pourtant, dans son lycée, il remarquait souvent qu'on lui portait une certaine attention. Moins que Joffrey ou Myrcella mais il recevait tout de même des cartes pour la Saint Valentin et on lui avait même déjà offert un cadeau pour Noël. Sauf que tout ça l'ennuyait profondément. Qu'elles aient les yeux du même bleu ou la même courbure des lèvres, aucune d'elles n'était Bran. Et c'était bien là que résidait tout son problème. Parce que, jusqu'aux dernières vacances de Noël, tout ça ne restait pour lui que pure fantaisie. Et ça lui suffisait grandement. Il ne ressentait pas le besoin de rendre les choses plus réelles. Il se contentait de discuter avec lui par messages et de rire avec lui à Noël, quand les Baratheon étaient invités à Winterfell, ou durant l'été quand les Stark venaient à King's Landing pour les vacances. Il pensait réellement n'avoir besoin de rien d'autre. Ils jouaient aux jeux vidéo, ils se racontaient des blagues. La nuit, bercé par la respiration régulière de Bran, il s'imaginait lui prendre la main, entrelacer leurs doigts et peut-être même glisser ses lèvres près des siennes, rien de plus. Et le matin, quand il se redressait dans son lit et lui souriait, à lui et lui seul, il se disait qu'il pourrait bien continuer de vivre ainsi pour toujours.
Sauf qu'aux dernières vacances, alors qu'ils lisaient des bandes dessinées dans la chambre de Bran en buvant des chocolats chauds, quelque chose était arrivé. Ce n'était presque rien. Et s'ils n'en avaient pas reparlé, Tommen aurait presque pu croire qu'il se l'était imaginé. Pourtant, en lui passant sa tasse, Bran avait gardé ses doigts sur les siens un peu plus longtemps qu'il ne l'aurait fait l'hiver précédent. Et plus tard, alors qu'ils regardaient ensemble un film dans la salle de jeu, alors que leurs sœurs respectives riaient au bout du canapé et que Rickon ronflait sur le tapis à leurs pieds, le petit loup s'était étiré. Après cela, ses doigts étaient retombés sur la jambe de Tommen, juste au-dessus du genou. Et il les aurait sûrement bougés un été ou deux plus tôt. Mais cette fois-ci, la main de Bran resta sur sa jambe jusqu'à la fin du film, sans que le blondinet ne puisse penser à rien d'autre qu'à sa légère pression sur le tissu de son pyjama. Mais ce n'était pas tout. Parce que la dernière nuit, avant qu'ils ne repartent chez eux, Bran lui avait posé une question.
Tommen était couché face à lui sur le matelas, par terre, tandis que lui reposait dans son lit, à peine plus haut que son ami. Il s'était penché vers lui, ses longues mèches auburn lui tombant devant les yeux, ne permettant pas à Tommen de bien distinguer son regard.
- Tommen ? avait-il murmuré doucement, comme ils avaient l'habitude de le faire chaque soir.
- Mhh ? Bran ?
- Est-ce que tu aimes bien quand je te touche ?
La question avait pris de court le blondinet qui s'était raidi. Des pensées obscènes dont il avait honte remontèrent en flèche dans son cerveau et la panique l'envahit. Il se demanda comment Bran pouvait bien savoir ce qu'il s'imaginait parfois, seul dans la pénombre de sa chambre. Mais, esquissant un mouvement pour se rapprocher de lui, le petit loup avait attrapé sa main.
- Est-ce que ça te plaît ? lui avait-il à nouveau demandé, serrant ses doigts entre les siens.
Tommen l'avait fixé un moment avant de déglutir et d'hocher légèrement la tête. Il se sentait comme un gamin. Un vrai bébé. Pourtant, il s'était déjà imaginé cette scène des milliards de fois. Sauf que normalement, c'est lui qui faisait le premier pas. Qui s'emparait de la main de Bran. Qui embrassait ses phalanges et remontait le long de sa peau jusqu'à ses lèvres. Mais ce soir-là, il ne fit rien. Absolument rien. Au bout de quelques secondes, il se dégagea doucement sa main et lui tourna le dos, les joues rouges.
- On devrait dormir, tu ne crois pas ? Demain je me lève tôt. la couardise et l'émotion dans sa voix l'avaient sûrement vendu à Bran. Mais ce dernier ne dit rien.
Il entendit ses draps se froisser sous ses mouvements et, quelques minutes plus tard, le silence retombait dans la chambre, seulement dérangé par la respiration sereine de Brandon Stark.
Le lendemain matin, il n'était pas venu déjeuner. Et Tommen ne le revit pas jusqu'à ce que Catelyn s'excuse pour lui, expliquant à leurs invités que Bran ne se sentait pas très bien. Tandis que tout le monde ramassait ses affaires et se dirigeait vers la voiture, il s'était mis à courir jusqu'à la chambre de son ami. Il ne pouvait pas partir comme ça. Sans lui dire au revoir. En le laissant penser qu'il ne voulait pas lui tenir la main. Bien sûr qu'il voulait lui tenir la main ! Il avait toqué doucement à la porte et était entré sans attendre la permission, surprenant Bran couché dans son lit, les bras derrière la tête. Tommen était toujours étonné de constater à quel point les bras de Bran pouvaient être musclés. Dans ses fantaisies les plus inavouables, les veines de ses bras étaient la dernière chose qu'il distinguait avant d'atteindre les sommets. Mais à ce moment-là, il y avait mille autres détails à voir plutôt que ça. Comme les yeux légèrement rougis de Bran.
- Ta... Ta mère nous a dit que tu ne te sentais pas bien... Alors... Je... Je suis venu te dire au revoir. il balbutiait. Il n'avait jamais bégayé face à lui et maintenant il balbutiait ? Tommen se trouvait ridicule. D'autant plus quand Bran se redressa pour s'appuyer contre la monture de son lit et tourna un regard incroyablement triste vers lui.
- Au revoir, alors. sa voix renfermait une tristesse insupportable.
Tommen s'approcha du lit en fixant ses pieds, ses doigts tirant sur les manches de son manteau. Sa mère était toujours fière de voir à quel point il grandissait vite. Il avait déjà dépassé Joffrey et elle était certaine qu'il finirait bientôt par rattraper son oncle Jaime. Mais pour le moment, il se trouvait trop grand. Il se balançait d'un pied à l'autre et finit par soupirer en relevant les yeux vers lui. Dehors, Joffrey criait son nom avec agacement.
- Tu devrais y aller. fit remarquer Bran en pointant l'extérieur du menton. Mais Tommen secoua la tête. Il se pencha vers lui et prit timidement sa main dans la sienne.
- J'aime beaucoup quand tu me... Quand tu me touches. Comme ça... il sentait déjà son visage chauffer et se voyait devenir rouge pivoine mais il s'en fichait. Au moins, il le lui avait dit.
Bran haussa un sourcil et un sourire presque imperceptible se devina sur ses lèvres. Alors que dehors, Myrcella s'était jointe aux appels de Joffrey, le petit loup tira sur la main de Tommen d'un coup et le fit presque chavirer sur lui. Pour se rattraper, le blondinet posa sa paume libre à côté de la hanche de Bran, le surplombant presque. La surprise passée, il voulut se redresser mais le plus âgé de deux le retint et lui posa une question du regard. Une question qui semblait presque inespérée. Mais quand ses lèvres rencontrèrent les siennes, il sut avec certitude qu'il n'était pas en train de rêver. Et il aurait volontiers prolongé leur baiser si les pas furieux de Joffrey ne l'avaient pas arraché à ce petit moment de paix. Il s'écarta à temps et, quand son frère entra dans la pièce, il saluait vaguement Bran d'un signe de la main.
Depuis cette fois, ils ne s'étaient pas revus. Cela faisait six mois que, tous les jours, Tommen ne pouvait s'empêcher de repenser à leur baiser. A leur seul et unique baiser. Bran lui avait envoyé un message, plus tard, ce jour-là. Un simple Merci qui avait suffi à lui réchauffer autant le cœur que les joues. Par la suite, ils n'avaient pas arrêté de se parler. Jour et nuit. Ils n'évoquaient jamais le baiser mais ils trouvaient toujours des choses à se dire. Bran lui raconta le bal de fin d'année auquel il s'était rendu avec Jojen, ce qui avait rendu jaloux le blond sans qu'il n'ose ne le lui avouer. Alors il lui parla du spectacle de danse de Myrcella auquel il assista et où une jolie fille du nom de Jeyne lui offrit son numéro. Durant les six mois qui séparèrent les vacances de Noël à celles d'été, le moment de leurs retrouvailles, ils ne cessèrent de faire en sorte de rendre l'autre jaloux. C'en était même devenu un jeu. Tommen embrassa un garçon dans une fête rien que pour pouvoir le dire à Bran. Et ce dernier invita Meera au cinéma juste pour que Tommen l'apprenne sur les réseaux sociaux.
Ils avaient beau rester en contact tout le temps, tous les deux appréhendaient les vacances. Tommen ne savait pas comment il devrait réagir en le voyant. Faire comme si de rien n'était ? Il n'en serait pas capable, il se connaissait. Surtout qu'ils devraient à nouveau partager la même chambre comme Myrcella accueillait toujours Sansa dans la sienne et qu'Arya et Rickon utilisaient la chambre d'amis. Joffrey partait en vacances avec ses amis, peut-être accepterait-il que Bran y dorme ? Mais à quoi bon ? Tommen n'avait pas envie de dormir seul plus longtemps. Ni d'être loin de son ami. Alors il ne demanda rien à son frère et ne demanda rien à Bran. Et plus la fin de l'année scolaire approchait, plus les battements de son cœur augmentaient à l'idée de revoir celui à qui il avait donné son premier baiser.
Catelyn Stark riait toujours quand sa petite famille arrivait à la capitale. Si ses filles et son petit benjamin s'accommodaient avec aisance aux température élevées du sud, c'était une toute autre histoire pour Bran et Robb. Sans parler de leur cousin, Jon, qui suait à grosses gouttes dès qu'il mettait un pied hors de Winterfell. Elle se moquait aussi gentiment de son mari qui, à l'instar de ses fils aînés, ne supportait pas la chaleur. Sans boire une seule goutte d'alcool et même en restant à l'ombre toute la journée, son corps tout entier tournait au rouge écrevisse. Au moins, il allait de pair avec Robert qui arborait la même teinte de peau tout au long de l'année !
Quand les Stark débarquèrent à King's Landing cette année, Sansa se jeta directement dans les bras de Myrcella, lui piaillant aux oreilles tous les derniers ragots du nord tandis que Robb, Jon et Arya lançaient un regard dédaigneux à Joffrey qui semblait se plaindre de quelque chose à sa mère. Rickon aida Eddard à descendre Bran du mini van et ils l'installèrent dans son fauteuil que Catelyn se proposa de pousser. Mais Bran n'était plus un bébé et il ne supportait pas de se sentir assisté alors il s'avança jusqu'à leurs hôtes à la force de ses bras. Son regard parcouru brièvement la petite troupe regroupée sur le perron sans apercevoir pour autant Tommen. Il se sentit à la fois soulagé et frustré. Même s'ils n'en avaient pas reparlé, il savait bien qu'il ne pouvait pas être le seul à avoir été chamboulé par ce baiser. Mais il aurait voulu en être sûr. Et le plus tôt aurait été le mieux. Mais Tommen n'était pas sur le perron alors il devait se résoudre à l'attendre.
Rickon accompagna son frère jusqu'au troisième étage et l'aida à s'installer dans la chambre du blondinet. Mais le résident des lieux semblait toujours invisible. Ne voulant pas rester tout seul dans la chambre, trouvant ça trop intime vu les circonstances, il demanda à son frère de l'aider à redescendre et il retrouva le reste de sa famille sur la terrasse. Les filles se dandinaient déjà en maillots au bord de la piscine, échappant en râlant à Arya qui les aspergeait d'eau depuis l'intérieur. Jon, Robb, son père et Robert s'étaient regroupés autour du barbecue et tentaient vainement de le faire marcher jusqu'à ce que Joffrey se ramène avec un lance-flamme ce qui fit hurler son père. Assises sur des transats, Cersei et sa mère discutaient distraitement, la première lisant un magazine et la seconde penchée sur une broderie. Mais toujours pas de Tommen. Alors qu'il allait dire quelque chose, Rickon s'approcha de sa mère. Il fronçait les sourcils et secouait la tête d'un air grave, comme à chaque fois qu'il s'apprêtait à poser une question vitale.
- Dis, maman, où est Tommen ? Je voulais lui montrer ma nouvelle collection de cartes de combat !
C'est vrai que, avant de devenir son ami, Tommen jouait souvent avec Rickon. Et même s'ils partageaient la même chambre durant les vacances et qu'ils s'étaient rapprochés, son petit frère semblait tout ignorer de leur nouvelle complicité.
- Tommen est à son cours d'escrime, mon chéri. Il nous rejoindra bientôt, pour le dîner. répondit Cersei en offrant à l'adolescent un sourire qui se voulait amical mais qui fit frémir Bran. Il roula à l'écart du bruit, plus loin dans le jardin, et sortit un livre. Autant faire passer le temps.
Jaime Lannister, l'oncle de Tommen, rejoignit bientôt les festivités puis ce fut le tour de Petyr Baelish, un vieil ami de Catelyn. Ils ne passeraient pas les vacances avec eux mais comme ils étaient de passage dans la capitale, ils avaient décidé de les saluer. La troisième fois que la porte coulissante grinça, signe qu'une nouvelle personne arrivait, Bran ne releva pas la tête. Sûrement un autre oncle ou ami de la famille qui souhaitait passer un moment avec eux. Mais alors qu'il arrivait à la fin palpitante de son chapitre, un raclement de gorge timide le tira de ses rêveries. Il leva les yeux et déglutit en voyant Tommen face à lui. Il semblait plus vieux. Et il avait encore grandit. Il portait un sort qu'il lui arrivait au-dessus des genoux et un t-shirt qui ne devait sûrement pas être le sien vu qu'il tombait négligemment sur ses épaules, donnant l'impression qu'il se noyait dans le tissu. Ses cheveux étaient aussi légèrement plus courts et un ridicule petit duvet blond couvrait sa lèvre supérieure.
- Une moustache ? Sérieusement ? fut la seule chose que Bran pu dire tellement cela semblait incongru.
Tommen passa un doigt curieux sur les petits poils qui se trouvaient là, comme s'il n'avait pas conscience qu'il s'était laissé pousser la moustache puis haussa les épaules en lui offrant un sourire.
- Je pensais que ça te plairait.
- Tu me connais très mal, alors.
Le blondinet éclata de rire et lui ébouriffa les cheveux. Une parole se trouvait sur ses lèvres mais il la ravala quand Rickon lui sauta dessus et l'attira plus loin pour parler de son jeu avec lui. Bran se retrouva seul et incapable de continuer sa lecture. Une moustache ? Il n'en revenait pas.
Son cours d'escrime s'était atrocement mal passé. Il n'avait pas réussi à se concentrer, pensant trop à ce qu'il ferait en retrouvant Bran. Sur le chemin du retour, il ne sortit pas de cet espèce d'état second dans lequel il était et fonça dans trois poteaux avant d'arriver chez lui. Il ne se rendit compte qu'une fois sur le perron qu'il avait pris le t-shirt d'un autre élève plutôt que le sien et se tapa le front dans le cadrant de la porte. Mais dès qu'il aperçut Bran, tout s'envola. Il ne restait plus rien dans son esprit que le visage concentré du jeune loup. Il ne semblait pas avoir grandi mais quelque chose dans son expression le rendait plus mature qu'auparavant. Et ses cheveux avaient tellement poussé qu'il les attachait désormais en un petit chignon sur sa nuque. Il voulait courir jusqu'à lui et se moquer. Lui dire que sa coupe le faisait ressembler à un vieillard. Mais il ne pouvait pas faire ça. Alors il salua d'un geste leurs invités, embrassa sa mère et continua sa route jusqu'à lui. Une moustache ? Il avait complètement oublié la moustache. Ce n'était qu'une blague entre Robin et lui. Une farce stupide. Il ne put pas se retenir de le décoiffer. Il voulait le voir avec les cheveux détachés. Il voulait passer ses doigts dans ses cheveux. De près, il remarqua que ses bras étaient encore plus musclés que l'hiver précédent. Il allait lui demander s'ils pouvaient parler quand Rickon l'attaqua. Il le tira de force et ils discutèrent de ce fameux jeu de carte auquel ils s'étaient tant amusés quand ils étaient plus petits jusqu'au soir. Même à table, il se retrouva à l'opposé de Bran qui dîna à côté de son frère aîné. Il surprit quelques fois son regard par-dessus les discussions et lui offrit un sourire qui lui fit détourner la tête. Il ne pourrait pas le fuir très longtemps. Il ne le put pas. Car dès la fin du repas, Eddard et Robert se mirent d'accord pour envoyer les enfants dans leurs chambres respectives, prétextant une journée chargée le lendemain. Tommen se proposa d'accompagner lui-même Bran à la place de Rickon vu que, de toute manière, ils dormaient ensemble. Rickon accepta avec un haussement d'épaule et rattrapa Arya dans l'escalier, la poussant gentiment pour la dépasser. Ils les entendirent se chamailler jusqu'en haut des escaliers et Bran roula des yeux en secouant la tête. Alors qu'ils prenaient l'ascenseur, Tommen détailla tout ce qu'il n'avait pas remarqué plus tôt. Comme la petite cicatrice sur son menton et les quelques taches de rousseur qui commençaient à apparaître sur son visage. Et son oreille avait été percée aussi. Il se demandait quel genre de boucles il portait. Des anneaux discrets ? Ou autre chose comme une perle ou alors un diamant ? Il pouffa doucement en l'imaginant porter quelque chose pour enfant, comme une tête de loup par exemple. Bran lui lança un regard curieux auquel il répondit en secouant doucement la tête.
Une fois dans la chambre du blondinet, Bran descendit de son fauteuil et s'étendit sur le lit d'appoint qui avait été installé à côté de celui de Tommen. Le matou de ce dernier, Ser Pounce, ronronnait en boule sur le duvet et sortit les griffes quand il essaya de l'en déloger. Cela faisait trop longtemps qu'ils n'avaient rien dit et aucun d'eux ne savait quoi faire pour briser le silence alors ils se changèrent en silence. Bran observa le dos légèrement musclé du blond pendant qu'il troquait son t-shirt trop grand contre un autre et se demanda si c'était la natation ou l'escrime qui lui permettait de ressembler à ça ; un petit mannequin digne des couvertures des plus grands magazines. Quand il enleva son short, il ne put pas s'empêcher de regarder ses cuisses galbées et bronzées comme le reste de son corps. Il déglutit, se sentant coupable d'avoir de telles pensées et détourna les yeux en enfilant à son tour son pyjama.
- Mhhh est-ce que tu as besoin d'aide pour quelque chose ? demanda finalement Tommen en s'asseyant au bord de son matelas, les jambes entre leurs deux lits. Bran haussa un sourcil et secoua la tête.
- Je n'ai besoin de l'aide de personne. Et encore moins d'un moustachu comme toi.
La pique fit rire Tommen qui passa à nouveau un doigt sur sa toute nouvelle pilosité faciale. Il finit par hausser une épaule, s'installant en tailleur sur son matelas.
- Tant pis pour toi, je resterai super cool tout seul avec ma moustache !
Il pivota pour lui tourner le dos mais dans le mouvement, s'étant trop rapproché du bord, il chuta en direction du sol. Son dos heurta le bord du petit lit de Bran qui craqua et les deux garçons se retrouvèrent par terre, surpris et étonnés. Puis Tommen éclata de rire, n'arrivant plus à s'arrêter. En dessous de lui, Bran le repoussa, ne pouvant pas s'empêcher de rire non plus. Ils devaient avoir l'air ridicules, couchés ainsi par terre l'un à côté de l'autre sur le lit qui s'était à moitié replié. Ils restèrent ainsi un bon moment avant que Tommen ne tente de se redresser, encore hilare. Alors qu'il se relevait, il se tourna pour aider Bran à se dégager du lit afin de le remettre en place mais le brun secoua la tête et l'attrapa par le col de son t-shirt. Persuadé qu'il allait le frapper sans même savoir pourquoi, Tommen ferma les yeux et plaça ses mains devant son visage. Il attendit que le coup vienne et finit par relever ses paupières en voyant que rien ne se passait. Bran s'était considérablement rapproché de lui et le regardait sans vraiment comprendre.
- Pardon ! Je... J'ai cru que tu allais me frapper.
- Pourquoi est-ce que je ferais ça ? C'est idiot.
- Joffrey m'attrape toujours par le col quand je fais quelque chose qui ne lui plait pas...
Il souffla tandis que, délicatement, Bran le relâchait. Pourtant sa main n'alla pas plus loin, venant se poser sur sa nuque. Ils ne bougèrent pas plus, ne sachant pas trop quoi faire. Ils savaient tous les deux ce qu'ils voulaient. Mais Tommen n'osait pas faire le premier pas et Bran ne possédait plus assez de vocabulaire pour lui faire comprendre en quoi consistait la prochaine étape. Il avait momentanément oublié le mot. Alors que depuis des mois, il n'y avait que lui en tête. Maintenant, le visage de Tommen si proche de lui aurait été capable de lui faire oublier jusqu'à son propre prénom.
- Est-ce que je peux... commença-t-il, pas certain de quoi dire ensuite.
- M'embrasser ? demanda alors Tommen en déglutissant.
Il hocha la tête et le blond l'imita. Ils rapprochèrent leurs visages et grimacèrent quand leurs crânes s'entrechoquèrent. Ils avaient l'impression de faire n'importe quoi. Que chacun de leur geste était faux et rouillé. Mais quand, finalement, les lèvres de Tommen retrouvèrent le chemin de celles de Bran, le monde se remit en place. Tout était à nouveau juste et bon. Leurs cœurs frappaient si fort dans leurs poitrines qu'ils les entendaient jusque dans leurs têtes. Sur la nuque de Tommen, les doigts de Bran pinçaient affectueusement les petits poils blonds tandis que le jeune lion avait glissé ses mains sur la hanche et dans le dos du rouquin pour le rapprocher de lui. Cette fois, ils n'avaient aucune contrainte de temps. Ils ne devaient aller nulle part. Il n'y avait qu'eux deux. Et cette certitude qui planait au-dessus de leurs têtes depuis des mois, voire des années.
Tommen aimait Bran. Et Bran aimait Tommen. C'était comme ça, tout simplement.