Fresno and Soren's Croquet Guide

histoire originale incomplete, 3 chapitres


Le croquet.

Avant toute chose, il vous faut deux piquets, dix arceaux, et le même nombre de maillets et de boules en bois en fonction du nombre de joueurs. Installez votre terrain en plantant d'abord les deux piquets l'un en face de l'autre puis disposez vos arceaux comme il vous plaira. Vous trouverez cependant sur internet des schémas classiques d'installations.

Pour commencer votre partie, c'est très simple ; chaque joueur se place à vingt centimètres du premier piquet et le premier doit frapper sa boule afin qu'elle passe en dessous du premier arceau. S'il n'y parvient pas, il reprend sa boule en main et son adversaire tente son coup. Ainsi de suite jusqu'à ce que l'un y parvienne. Quand c'est le cas, le joueur ayant fait rouler sa boule sous le premier arceau doit continuer le parcours, poussant sa boule sous le deuxième arceau, puis le troisième... Il continue de jouer tant qu'il réussit à passer les arceaux ou à toucher sa boule. S'il échoue, il se recule et c'est au tour de son adversaire de jouer. Si l'un des joueurs touche la boule de son adversaire, il peut s'en débarrasser. Pour ce faire, il place sa boule contre celle de son compétiteur, met son pied sur la sienne et donne un coup de maillet afin d'éloigner celle de son adversaire. Le premier à terminer le parcours aller et retour a gagné la partie.

***

– Permets-moi de douter. Tu m'as dit que ce serait amusant. Mais là, ça a l'air complètement rasoir ton jeu. Ce n'est même pas un vrai sport... Sören croisa les bras sur la poitrine, son maillet reposant contre son épaule. A côté de lui, Sadaf adressa une grimace à Tabitha qui pouffa tandis que Fresno fronça les sourcils.

– Tu dis ça parce que tu as peur de perdre, tout simplement !

– Moi ? Perdre contre toi ? Tu te trompes carrément.

Ils échangèrent un regard rempli de défi et Fresno fit tournoyer son maillet avant de le pointer vers Sören dans un geste excessivement dramatique. Le blond le regarda faire puis releva le menton et reposa son propre maillet par terre en le cognant au passage contre sa boule, causant un petit bruit sourd.

– On n'a qu'à jouer, on verra qui est le meilleur. Espèce de tocard ! s'exclama Fresno en se déplaçant face au premier arceau.

– D'accord. Tu verras que je suis meilleur que toi, andouille. répliqua Sören tout en s'installant à côté de lui.

Lundi matin

Ce ne serait pas mentir que dire que Fresno Sakaguchi était apprécié de la plupart des élèves de son lycée depuis sa première année. Il était bête mais gentil, toujours prêt à aider les autres et surtout, surtout, c'était le capitaine prodige de l'équipe de basketball. Cette dernière n'avait plus perdu une seule compétition grâce à lui. Ils étaient devenus des stars à leur échelle et, bien qu'il contribuait à toutes les victoires, Fresno ne prenait jamais la grosse tête. Mais cela déplaisait fortement à l'équipe de volleyball et surtout à son meilleur joueur, Sören Eklund. Celui-ci était tout le contraire de l'exubérant et expressif Fresno, préférant se concentrer sur la technique et la tactique que son ressentit durant les matchs. Il trouvait son camarade de classe idiot et naïf et ne supportait pas de le voir s'extasier par rapport à n'importe laquelle des petites choses qui le passionnaient. Alors quand on leur avait annoncé qu'ils devraient partager le seul et unique gymnase de l'école, les deux adolescents étaient tombés des nues. La cohabitation était rude et il leur arrivait souvent de se prendre la tête mais au fond, ils avaient réussi à s'entendre pendant les deux dernières années.

Si on leur avait posé la question, ils auraient tout deux répondu qu'ils étaient absolument et en tous points différents. Après tout, Fresno était grand, à la silhouette élancée et sportive, avec ses cheveux noirs courts coupés inégalement et son regard gris souvent rieur. Il arborait toujours un sourire qui avait le don d'irriter son ennemi, sa némésis, Sören. Celui-ci était petit (mais il valait mieux ne pas le lui faire remarquer), très pâle (un sujet épineux aussi) et possédait une belle chevelure blonde. Il l'avait coupée lui-même au milieu de leur seconde année à la suite de nombreuses moqueries et désormais ils encadraient parfaitement son visage toujours sérieux, parsemé de quelques tâches de rousseur. Il ne disposait pas de la carrure athlétique du noiraud mais était tout aussi fort que lui bien que plus svelte. Fresno aimait se moquer doucement des cernes qui soulignaient son regard, le traitant de raton-laveur. Insulte qui ne faisait qu'agacer encore plus le blondinet. Physiquement, ils n'avaient aucun point commun. Mais mentalement, c'était toute autre chose. Ils étaient aussi compétitifs l'un que l'autre —Sören peut-être un peu plus mauvais perdant que son rival. Mais ils savaient diriger leurs équipes avec équité et justesse. Ils ne se laissaient jamais avoir par le côté toxique de la compétition et c'est d'ailleurs pour cette raison que leur rivalité durait depuis aussi longtemps. Parce que tous les deux, malgré tout ce qu'ils auraient pu en dire, appréciaient ces taquineries et ces piques incessantes. Ils aimaient savoir qu'il y aurait toujours quelqu'un au sein du lycée pour leur casser les pieds, peu importe la situation. Et dans un sens, ça les réconfortait.

Le drame survint au début de leur année de terminale quand, juste après l'introduction matinale, on leur annonça la terrible nouvelle : à cause des intempéries colossales de l'été, le gymnase avait été complètement détruit, le rendant impraticable pour tous les entraînements. Car oui, durant les vacances il avant tant plu que toute la charpente du toit avait cédé sous le poids de la pluie et du vent qui s'acharna à la détruire complètement. Résultat, il ne restait qu'un bâtiment démoli là où s'érigeait auparavant le beau gymnase qui faisait la fierté du lycée.

– Qu'est-ce que vous voulez dire par impraticable ? demanda Fresno en fronçant furieusement ses sourcils soigneusement épilés.

La directrice, une grande femme aux traits sévères mais d'une nature compréhensive, le regarda et secoua doucement la tête. Elle le prenait en pitié. Après tout, les équipes de sports avaient bien relevé le niveau de l'école dans les deux dernières années et cet incident lui causait tout autant de tort qu'à ses élèves.

– Oui, Fresno, vous avez bien entendu. Les entraînements des équipes de basket et de volley seront suspendus jusqu'à nouvel ordre. Et de ce fait, dites à vos camarades qu'il leur faudra trouver de nouvelles occupations en attendant que le gymnase soit reconstruit.

Le jeune homme passa une main tendue dans ses cheveux noirs et acquiesça en déglutissant. Comment était-il censé dire ça à ses amis ? Leur équipe n'avait perdu aucun match depuis son entrée dans le club. Ils seraient tellement déçus de ne pas pouvoir participer aux prochains tournois, même amicaux. Car pas question de disputer des rencontres sans entraînement... Alors qu'il s'éloignait pour partir à la recherche de sa clique, son regard croisa celui de Sören Eklund. Cet idiot nordique avec son air constamment ennuyé. Il avait attaché ses cheveux en un petit chignon ; ça lui allait bien. Le basketteur se demanda comment il allait réagir à la nouvelle. Peut-être qu'il se mettrait à pleurer ? Ou à crier ? Fresno avait beau toujours le pousser à bout, l'autre restait impassible la plupart du temps... Sa curiosité le poussa à s'adosser contre le mur du bâtiment principal au lieu de rejoindre directement son équipe pour observer la scène. Le minuscule blondinet se pointant devant la directrice, cette dernière lui annonçant la nouvelle de sa voix grave. Ils se toisèrent un instant puis l'élève, à la grande déception du noiraud, hocha simplement la tête et tourna les talons. Une nouvelle fois, ses pupilles captèrent celles de Fresno qui offrit un sourire au blond. Celui-ci plissa le nez et pénétra dans le lycée. Le basketteur haussa les épaules et reparti à la recherche de ses amis pour leur annoncer la nouvelle avant qu'ils ne l'apprennent de quelqu'un d'autre. Après tout, c'était son rôle à lui.

Une fois seul dans le couloir menant au défunt gymnase, Sören laissa échapper un petit sanglot rageur. Qu'était-il censé faire ? Il n'était rien sans le volley ! Rien sans son équipe. Il avait passé l'été à réfléchir à des combines pour pourrir la vie de ce crâneur de Fresno Sakaguchi. Et tout ça était désormais inutile. Plus de soixante jours d'intense réflexion réduits en poussière... Il méritait mieux. Après tout, c'était leur dernière chance de participer aux championnats. Et ils ne pouvaient même pas s'entraîner ailleurs. Les gymnases de la ville nécessitaient des réservations et des payements. Ils ne pouvaient pas se le permettre. Ses amis allaient être si tristes... Il ne pourrait pas supporter de les regarder dans les yeux. Il ne voulait pas devoir faire face à leurs mines déçues... Il souffla, une longue expiration fatiguée, secoua la tête, se tapota les joues.

– Du nerf, Sören. Tu peux le faire... murmura-t-il en s'étirant comme avant un match. D'abord les bras, le gauche, le droit, puis les jambes. Il fit quelques petits sauts sur place et opina du chef, décidé. Il allait dire à son équipe qu'ils devraient tous se trouver autre chose pour remplir leurs dossiers scolaires. Ou pour occuper leurs soirées et week-ends...

C'est alors qu'il remarqua une présence au bout du couloir. Une fille, plus jeune mais aussi plus grande que lui. Elle ressemblait à une sorte de rescapée d'un crash d'avion avec ses cheveux bruns outrageusement bouclés qui jaillissaient de chaque côté de sa tête. Le sportif s'attarda sur son visage ; couleur miel, un peu rondouillet, couvert de tâches de rousseurs, encore plus que le sien, d'où le transperçaient deux joyaux verts. Une paire de lunettes ringardes pendaient sur son nez ; quelle idée de porter des binocles rouges alors que leur uniforme était noir et bleu ? Et puis elle ne bougeait pas. Comme une biche prise au piège du chasseur, elle ne faisait pas un seul geste depuis qu'il l'avait remarquée. Quel drôle d'énergumène. Elle était sûrement en première année, il ne voulait pas lui faire peur. Sören leva la main pour la saluer et, comme si le sort qu'on lui avait jeté avait été relevé, elle se ranima et déguerpit en courant par le couloir où elle était arrivée. Il cligna des yeux, se les frotta et grogna. Peut-être qu'elle n'existait pas et que c'était simplement la fatigue et l'anxiété qui l'avaient créée de toutes pièces ?

Ayant toujours l'impression d'avoir rencontré un fantôme, l'adolescent se dirigea vers la cafétéria. Il était temps qu'il annonce à son équipe la funeste nouvelle. Et il ne savait toujours pas comment il allait s'y prendre pour le faire...

***

Lundi après-midi

– Qu'est-ce que tu vas faire, maintenant que t'as été viré de ton club ?

– Je n'ai pas été viré, Tabitha. Le gymnase a été détruit. Ce n'est pas du tout la même chose.

Fresno lança un regard courroucé à son amie qui haussa un sourcil, imperturbable. Ils avançaient en direction de leur cours de maths et tout autour d'eux, les gens se retournaient pour admirer la jeune fille. Ou prendre en pitié l'adolescent. Bien qu'elle soit complètement anglaise, Tabitha possédait encore en elle le sang de ses ancêtres coréens, l'affublant d'un teint de porcelaine, d'une longue chevelure noire beaucoup trop lisse à son goût et d'un regard noir perçant qui terrorisait la plupart des personnes qui ne la connaissaient pas. Elle aimait bien en jouer, n'appréciant pas les nuisances extérieures. Elle faisait souvent semblant de difficilement supporter la présence de Fresno mais il était sûrement l'individu qu'elle aimait le plus en dehors de sa famille.

– Alors disons plutôt: que vas-tu faire maintenant que tu n'as plus de raison d'embêter Sören ? Il va te manquer, non ? Vous devriez former un club ensemble. Quelque chose qui vous permettrait de continuer de vous voir constamment.

– Oh, ferme-la ! rétorqua le noiraud en s'éloignant un peu, accélérant la cadence.

Tabitha le regarda faire, passive. Elle savait qu'il se retournerait vers elle pour vérifier qu'elle ne s'était pas enfuie. Un. Deux. Trois. Léger coup d'œil par-dessus son épaule. Elle le connaissait par cœur. Il était trop prévisible pour son propre bien. Et maladroit aussi. Fresno percuta de plein fouet une première année qui se laissa tomber sans rien faire pour empêcher la chute.

– Eh ! Est-ce que tu vas bien ? s'empressa de demander le basketteur en s'agenouillant à côté d'elle. Il était ridiculement grand, ses genoux venant presque chatouiller son menton alors qu'il lui tendait une main pour l'aider à se redresser. Curieusement, la brunette plaqua vigoureusement sa main dans la sienne et s'empressa de la secouer avec une énergie qui surpris Fresno. Deux secondes plus tôt elle semblait complètement perdue et désormais elle affichait un immense sourire qui donnait même l'envie à Tabitha d'en esquisser un.

– Je m'appelle Sadaf El Sadat, enchantée ! Je suis en première année ! son regard papillonnait entre Fresno qui, face à elle, la dévisageait avec étonnement, et Tabitha qui ne pouvait s'empêcher de se dire que cette petite était très drôle. Comme son ami ne bougeait toujours pas, la noiraude prit les devants et obligea Fresno à se redresser, attirant Sadaf dans son sillage.

– Cet idiot là, c'est Fresno Sakaguchi et je suis Tabitha Hodge, enchantée. Nous sommes tous les deux des terminales donc si tu as des questions, n'hésite pas à nous les poser. Nous nous ferons une joie de t'aiguiller. elle avait sorti son sourire chaleureux et son ton courtois de guide touristique. Il ne s'agissait pas de terroriser des premières années le tout premier jour de cours. Devoir gérer la crise existentielle du club de basket lui pompait déjà assez bien d'énergie comme ça.

– Des terminales ? la jeune fille affichait une mine compliquée désormais. Entre la réflexion et l'ennui. Comme si elle ne savait pas comment réagir face à cette information. Tabitha la trouvait vraiment marrante.

– Vous voyez, j'aimerais me faire des amis au plus vite. Mais je ne fais que de tomber sur des personnes bizarres qui parlent toutes seules ou alors des terminales. Et j'ai l'impression que toutes les personnes de ma classe sont des débiles... l'aînée souffla du nez et fronça doucement les sourcils. Elle remit une mèche de ses cheveux derrière son oreille et pencha doucement la tête sur le côté.

– Qu'est-ce que tu veux dire ?

– J'ai vu quatre garçons pleurer parce que les clubs de volley et de basket ne prennent plus d'inscription et une fille a dit que le club de hockey était hanté... Des idiots. Tous des idiots. Il y a tellement d'autres sports bien plus intéressants !

Le regard de Fresno se concentra à nouveau sur la petite nouvelle face à lui tandis que celle-ci se lançait dans le listage de tous les sports qui, à ses yeux, étaient bien plus intéressants que le basket ou le volley. Au fur et à mesure que Sadaf parlait, le visage du noiraud se transformait. Il était passé en mode pensif et mordillait sa lèvre inférieure tout en plissant le nez. Dans moins de cinq minutes il aurait trouvé une idée débile qui lui tiendrait à cœur et Tabitha serait obligée de réaliser son plan pour éviter de le retrouver en train de pleurnicher dans les vestiaires. C'était déjà arrivé bien trop souvent.

– Sadaf ! Donne-moi un sport ! N'importe lequel !

– Un sport ? elle s'était interrompue et levait les yeux vers lui avec attention.

– Oui, tu penses qu'il y a des sports qui valent mieux que le basket ? Alors cite m'en un.

– Elle vient de t'en citer plus de trente, idiot... commenta Tabitha mais elle se fit couper par l'autre jeune fille.

– Le croquet !

– Le croquet ? demanda la plus vieille, un immense point d'interrogation au-dessus de la tête.

– Le croquet ! Bien sûr ! Quelle excellente idée ! Je t'adore !

Fresno venait de crier au milieu du couloir et sans leur laisser le temps ni à l'une ni à l'autre de lui répondre, il s'évapora en courant. Encore une fois, il se laissait entraîner par le fil de ses pensées et oubliait complètement la réalité environnante comme, par exemple, leur cours de math. Tabitha n'en fit pas cas et salua Sadaf avant de continuer sa route jusqu'à la salle de classe. Elle ne pouvait tout de même pas s'empêcher de penser à ce que Fresno pouvait bien mijoter. Le croquet ? Est-ce que cet idiot savait ce que c'était ? Elle l'imaginait très bien affalée sur une chaise de la salle d'informatique, épluchant articles après articles pour en connaître plus sur le sujet. Mais pour quoi faire ? Il n'allait pas quand même monter un club de croquet parce qu'une première délurée le lui avait suggéré ? Si ?

Mardi matin

– Les mecs, on va monter un club de croquet !

– Du croquet ? C'est quoi ce truc ?

– Peut-être que ça se mange ? Tu veux t'inscrire au club de cuisine, Fresno ?

– Capitaine, qu'est-ce que tu nous racontes ?

– C'est probablement le stress post-traumatique...

Après avoir cogité tout l'après-midi et toute la nuit, Fresno avait demandé à son (ancienne) équipe de le retrouver devant les décombres du gymnase à la première heure du mardi matin. Il avait un plan génial. Une idée merveilleuse. Fantastique, même. Et avant même de l'avoir proposée à sa bande, il était sûr qu'elle leur plairait. Enfin, maintenant qu'il observait leurs mines perspicaces, l'ex-capitaine était beaucoup moins sûr de son coup. Philip, son ex-vice-capitaine secoua la tête.

– Ecoute, Fresno. Il faut te faire une raison. On est en terminale. Il faut voir cette histoire plus comme une opportunité que comme une tragédie. On ne peut plus s'entraîner alors il vaut mieux investir ce temps dans des révisions et la préparation de nos dossiers pour l'université.

Plusieurs membres acquiescèrent, allant dans son sens. Quant aux deuxièmes années, la plupart avait déjà trouvé d'autres occupations. Cela ne faisait que vingt-quatre heures mais son équipe, sa bande, sa clique l'avaient déjà tous remplacés. Alors qu'il les dévisageait tous, Philip lui tapota l'épaule et lui offrit un sourire désolé avant de s'en aller, la première sonnerie du matin retentissant dans le fond. Son idée était pourtant géniale. Ils auraient pu découvrir ce nouveau sport insolite ensemble, comme l'équipe fantastique qu'ils avaient toujours été ! L'adolescent avait passé sa soirée à lire le règlement du croquet et à regarder des vidéos sur internet. Il s'était informé, avait même commencé à développer des tactiques dont Sören aurait été jaloux... Et maintenant, tout le monde l'abandonnait ? Il serra les poings jusqu'à ce que ses jointures deviennent blanches puis laissa échapper un long soupir. Tant pis. Si son ancienne équipe ne voulait pas de lui alors il n'aurait qu'à en créer une nouvelle. Plus forte, plus unie. Et il savait parfaitement par où il allait commencer.

***

Mardi midi

Tabitha le regarda un instant avant d'éclater de rire. C'était un son qui provenait du plus profond des entrailles de la terre. Quelques larmes perlaient au coin de ses yeux parfaitement maquillés et elle les effaça d'un simple revers du dos de la main.

– Moi ? Dans ton club de croquet ? Je te savais idiot mais pas à ce point !

– Tu es méchante, Tabby. Je pensais pouvoir avoir confiance en toi... Tu sais qu'il faut au moins trois membres pour qu'un club fasse foi aux yeux du comité.

– Trouve-toi deux autres débiles. Mais je n'en ferai pas parti. Je suis déjà dans le club de débat, tu te rappelles ? enfonçant ses mains dans les poches de son pantalon d'uniforme, Fresno tenta de lui faire son regard de chien battu. Mais ça n'avait jamais marché avec elle. C'était peine perdue... Ou alors...

– Aller, donne-moi tes conditions. Le club de débat ne se réunit que les mardis. Je ferai en sorte que notre club de croquet se rencontre un autre jour. Il te restera même encore du temps pour étudier !

– Tu veux une condition, hein ?

Elle tapota un index manucuré en noir sur son menton, là où une petite cicatrice était apparue après un accident de vélo à l'âge de neuf ans. Son regard papillonna dans la cafétéria, cherchant quelqu'un, puis elle pointa son doigt vers la foule, sur une personne en particulier qui se trouvait à l'autre bout de la salle.

– Je ne rejoindrai ton club qu'à l'unique condition que Sören en fasse partie lui aussi. Après tout, il n'a plus de club non plus. Et je suis certaine qu'il est du genre à adorer le croquet. les pupilles grises du basketteur voletèrent jusqu'au blondinet qui déjeunait seul, à une table. Ce n'était pas inhabituel de le voir sans son équipe. Mais en général, les membres de cette dernière n'étaient pas assis juste un peu plus loin. S'il n'avait pas s'agit de Sören, le noiraud aurait sûrement pris en pitié le pauvre bougre. Mais c'était une toute autre histoire.

– Hors de question. Je ne veux pas de ce tocard nordique dans mon super club. Et puis, il refusera forcément. sentant qu'on le fixait, le tocard nordique en question releva la tête de son plateau repas et remarqua immédiatement Fresno. Comme toujours, leurs yeux menèrent une bataille silencieuse jusqu'à ce qu'ils détournent tous les deux le regard, en même temps. Encore une égalité.

– Va lui parler. ordonna Tabitha en terminant sa salade.

– Si je le lui propose est-ce que tu acceptes de rejoindre le club ?

– Mes conditions ne changent pas.

La jeune fille décocha un sourire narquois à son ami qui prit une grande inspiration. Après tout, qu'est-ce que ça lui coûtait ? Il pourrait essayer de l'obliger à s'inscrire pour la forme. Il n'aurait pas besoin de venir aux réunions. En général, le bureau des élèves ne faisait pas d'inspections pour les petits clubs. Et le croquait ne nécessitait qu'un minimum de deux personnes pour se jouer. Avec Tabitha, c'était tout bon ! Il se leva, prenant son plateau et se dirigea vers la table du blondinet. Sur le chemin il échangea quelques salutations avec des terminales, fit un sourire à des secondes qui lui faisaient les yeux doux et adressa une dernière grimace à Tabitha avant de s'asseoir en face de son ennemi juré. Ce dernier ne fit pas tout de suite attention à lui, mâchant lentement ses pâtes au beurre. Quand il eût terminé sa bouchée il se redressa et dévisagea Fresno, son visage complètement impassible.

– Qu'est-ce que tu me veux, Sakaguchi ?

Il avait changé pendant l'été, remarqua soudainement le basketteur. Il était moins pâle qu'auparavant, plus bronzé. Ce qui faisait ressortir ses tâches de rousseur. Il avait aussi moins d'acné. Et même assis, il lui semblait être plus grand. Les cernes sous ses yeux s'étiraient toujours plus. Sombres comme des coquards. Est-ce qu'il se faisait des idées où était-ce bel et bien un suçon à la naissance du col de sa chemise si bien repassée ? Fresno était subitement énervé. Il avait passé son été à penser à des manières de lui pourrir la vie et le blond s'était amusé avec des filles à la plage ? Quel égoïste !

– Sakaguchi ? Tu veux ma photo ? Je t'ai manqué, peut-être ? il restait impitoyable dans sa manière de parler. Sec et méchant. Au moins, ça, ça n'avait pas changé.

– On sait tous les deux que c'est toi qui t'es langui de moi, Eklund !

– Ce n'est pas moi qui viens s'asseoir à ta table pour te fixer. Au fait, tu as de la sauce tomate là. il pointa sa joue gauche et observa le noiraud se débarbouiller, le regard ennuyé.

– Ecoute, je suis là pour te proposer un deal.

– Un deal ? Avec toi ? Hors de question. déjà, le volleyeur rassemblait ses affaires et terminait les dernières pâtes qui flottaient piteusement au fond de son assiette.

– Attends ! Tu ne m'écoutes même pas ! avec un soupir exagéré, Sören reposa son sac à dos et lui fit signe du menton de continuer à parler avant qu'il ne décide vraiment de s'en aller.

– Voilà. Je veux monter un nouveau club. Un club de croquet. Mais les gars de mon équipe ont tous déjà trouvé mieux à faire et... Tabitha n'acceptera de le rejoindre seulement si toi aussi, tu en fais partie...

– Quoi ? Pourquoi ? le blond lança un regard vers la table où l'adolescente se trouvait encore, le nez désormais plongé dans un livre.

– Parce qu'elle pense que tu refuseras.

– Elle a raison. Je refuse. Je ne sais même pas ce que c'est le croquet. Et faire partie du même club que toi ? Hors de question. ses yeux glissèrent un instant vers son ancienne équipe mais il se reprit et les refixa sur Fresno qui plissait le nez.

– Le croquet c'est super cool, okay ? C'est comme le hockey mais sur de l'herbe et au lieu d'utiliser une crosse on a des sortes de marteaux avec de longs manches et on tape dans des balles colorées qui doivent passer à travers des petits cerceaux sur un terrain délimité ! Sören n'avait absolument rien compris à ce que venait de lui expliquer mais étonnement, voir l'adolescent en face de lui parler d'un truc avec autant de passion lui donnait envie d'en savoir plus. Il savait déjà que Fresno pouvait être très persuasif, il le lui avait déjà démontré par le passé. Mais il n'aurait jamais pensé qu'il serait aussi facile de se laisser avoir par lui. Le blond voulait refuser. Il n'avait pas de raison d'accepter. Ils se détestaient. Il ne connaissait rien à ce sport obscur. C'était sa dernière année, il avait tout un tas d'autres choses plus importantes à faire. Pourtant, il acquiesça. Il se leva, prit son plateau et se tourna vers sa némésis.

– J'accepte. Apporte-moi une fiche d'inscription dans la journée. Je ne suis libre que le vendredi soir, par contre. A plus, Sakaguchi. sans le laisser rajouter quoi que ce soit, il alla déposer son plateau et sortit de la cafétéria pour se rendre à la bibliothèque. C'était probablement la pire décision qu'il n'avait jamais prise mais... Il ne voulait pas passer son année de terminale tout seul. Et même si la compagnie de Fresno n'était pas la meilleure, il saurait s'en accommoder. Au moins jusqu'à ce que le gymnase soit remis en état.

***

Mercredi matin

Fresno Sakaguchi n'avait jamais été aussi préparé que ce matin-là. Toute la nuit, il avait continué sa lecture d'articles sur le croquet et avait préparé trois fiches d'inscriptions : la première pour Tabitha, la seconde pour Sören et la dernière pour lui-même. Il ne restait plus qu'à les faire signer et ensuite ils pourraient se lancer ! Il avait drôlement hâte de se lancer dans cette nouvelle aventure même si ça voulait dire devoir supporter ce rabat-joie de nordique et les humeurs massacrantes de Tabitha.

Celle-ci ne l'avait d'abord pas cru quand il était revenu à sa table après sa discussion avec le blond. Elle lui avait demandé de jurer sur tout un tas de choses avant de finalement abdiquer. Après tout, il finirait bien par se lasser et l'équipe serait reformée avant le mois de décembre. Tout ce qu'il fallait, c'était attendre jusque-là. Ce n'était pas la première fois que son ami se lançait dans un projet du genre. Bien sûr jamais il n'avait été aussi à fond mais c'était un de ses traits de caractère que d'être aussi passionné. En général, les gens l'appréciaient pour ça. Ou dans le cas de Sören, le détestaient. Les filles disaient toutes qu'elles aimaient voir ses yeux briller d'excitation et les garçons avouaient qu'il leur donnait envie de se donner autant que lui. C'était mignon et motivant. Et ça le rendait heureux. Fresno était un animal sociable qui se ressourçait grâce aux autres. Elle le savait. Ce n'était pas compliqué de s'en rendre compte. Il ne pouvait tout simplement survivre seul. Il avait autant besoin d'amis que d'ennemis ; c'est pour cette raison qu'il s'attachait autant à Sören. En revanche, elle ignorait pourquoi ce dernier rentrait autant dans son jeu. Peut-être par ennui... Ou était-ce autre chose ? Elle se ferait une joie de lever le voile sur ce mystère, ça c'est sûr.