– Comment est-ce que tu t'appelles ? me demande-t-il. Son expression est froide mais sa beauté m'enchante. Avec ses grands yeux couleurs de glace et ses cheveux blonds soyeux et si clairs qu'ils sont presque blancs, j'aurais presque de la peine à croire que c'est un pur californien.
– Je m'appelle Colombe Tyrfedd Bowman. Et toi ? à côté de sa voix râpeuse et grave, la mienne paraît presque transparente comme si on l'aspirait petit à petit qu'elle s'échappe de mes lèvres rosées. Mais c'est habituel chez moi.
– Narcisse Lamb. On dirait que niveau prénoms, on a été choyés. il laisse échapper un rire si doux que j'ai l'impression de rêver.
Je lui souris en retour. Je crois que je viens de me faire un nouvel ami, aussi étrange que moi. Et ce, autant mentalement que physiquement. Avec mes cheveux blonds coupés au carré et mes yeux noirs, au premier abord les gens pensent que je suis quelqu'un de banal. Alors pour changer ça, j'ai pris l'habitude de me vêtir et me maquiller de façon extravagante. J'aime que les gens me remarquent. J'adore ça ! Avec tout ça, je n'ai pas l'impression d'être invisible et ce malgré ma voix si pâle.
Je suis tout le contraire de ma sœur jumelle, Esther. Déjà, nous n'habitons même pas ensemble; alors qu'elle vit dans un quartier très chic et qu'elle va dans une école privée, je suis cantonnée à la zone et à un lycée vraiment nul. Elle habite avec notre père et moi, je suis avec notre mère. Et puis elle a de longs cheveux bruns, un style de vieille et de bonnes notes. Tandis que je suis nulle à l'école. Mais elle, elle n'a aucun ami ! Alors que moi j'en ai des tas; j'adore rencontrer de nouvelles personnes mais rares sont celles qui restent longtemps dans mon répertoire. Très souvent, elles disparaissent aussi vites qu'elles sont arrivées. Mais ça ne me dérange pas ! Loin de là ! Je préfère être habituée à quitter les gens. C'est plus facile, pour tout le monde.
Et puis parfois, je me dis que j'aimerais bien avoir sa vie à elle quand même. Mais je sais qu'elle traverse beaucoup de choses difficiles; en effet, mon père la bat. Et ce depuis plus de dix ans. C'est très difficile car nous ne pouvons rien faire avec Maman. De plus, qu'elle est très faible autant mentalement que physiquement. Alors je me débrouille. Et je sais qu'Esther aussi. Je n'ai pas le droit de l'approcher mais parfois, quand je m'ennuie, je prend le métro et je l'observe. Je sais, je sais, c'est étrange. Mais... C'est ma sœur ! J'ai envie de la connaître, de lui parler et de passer mes journées avec elle ! En plus, c'est bientôt notre anniversaire alors... J'ai naïvement pensé que je pourrais aller la voir et tout lui dire. Mais Maman m'en a défendue. Et bien que je brave souvent les interdits, ça je sais que je ne le peux pas. Alors je prend mon mal en patiente.
Mais bon, revenons au début. À Narcisse. Je l'ai rencontré il y a dix minutes dans le métro. J'adore le métro ! Si je pouvais, j'y passerais ma vie. Souvent, j'aime faire le tour d'une ligne en observant toutes les personnes qui montent et descendent. Et depuis quelques temps, dans la ligne cinq, je l'avais remarqué. En même temps, le contraire aurait été étrange; ne pas voir un garçon d'un mètre soixante-dix accompagné d'un furet, ça s'appelle être bigleux. Et ma vue est genre, excellente !
Alors aujourd'hui, vu que je m'ennuyais encore plus que d'habitude, je suis allée lui parler.
– Salut ! Ça fait plusieurs fois que je t'aperçois ici, tu vas jusqu'au bout de la ligne ? lui ai-je demandé en souriant. Il a d'abord baissé son regard de glace sur moi avant d'opiner du chef. Et ensuite, il m'a demandé comment je m'appelais et nous voilà.
Je m'appelle Colombe, tel l'oiseau et lui c'est Narcisse, telle la fleur. Et je trouve ça vraiment cool.
Le furet de Narcisse s'appelle Miroir. C'est assez ironique, j'aime bien. Cela fait vingt minutes qu'on discute dans le métro. J'ai appris qu'il avait dix-neuf ans et travaille chez un disquaire. Alors on discute musique pendant que son animal grignote les restes de mon repas; un sandwich poulet et tomates.
– Par hasard, est-ce que t'es gay ? je préfère demander, histoire de ne pas me prendre de râteau si jamais il est vraiment intéressant. Son regard me jauge quelques secondes.
– Non. Mais je soupçonne Miroir de l'être... Il adore lécher mes caleçons usagés.
– Bah, en quoi c'est gay de faire ça ? Je le fais aussi ! je mime le fait de renifler des petites culottes mais m'arrête quand il hausse un sourcil avec un air très sceptique.
– C'était une blague, ah ah, c'était drôle. je suis gênée, vraiment et lui, il ne réagit pas. Mais c'est après quelques secondes qu'il éclate de rire. Je lui lance un regard interrogateur.
– C'était vraiment trop mignon quand t'as fait semblant de renifler tes culottes ! s'exclame-t-il avant de repartir dans un fou rire pas possible. Je le regarde effarée avant de me mettre à rire aussi. Moi qui me trouvait bizarre, j'ai trouvé quelqu'un pour me concurrencer !
Finalement, le métro est arrivé à sa fin et nous sommes sortis. Comme on ne savait pas trop quoi faire, on est rentrés chez nous en promettant de nous retrouver ici une prochaine fois.
Mais comme je n'avais pas envie de rentrer, je suis allée dans les quartiers chics. Je déambule dans les rues jusqu'à déboucher sur l'allée que je cherchais. Je la vois là. C'est la première villa de la rue. Avec sa grande grille, son jardin parfaitement tondu et sa façade si blanche qu'elle me fait mal aux yeux. C'est le palais auquel je n'aurai jamais droit car je ne suis pas celle qui est bien née. Je n'ai pas été la bonne jumelle. En effet, alors qu'Esther a absolument tout tiré de ma mère, moi j'ai hérité de notre père. J'ai tout de lui, des tâches de rousseurs disgracieuses aux iris plus noires que l'encre en passant par la peau hâlée. Et pourtant, tout cela est très ironique ! Parce que, pendant que je m'amuse à prendre le métro toute la journée, mon sosie est enfermée là-dedans et se fait frapper. Je me demande souvent si elle ose de révolter, si elle lui tient tête, si les coups qu'elle reçoit lui font mal ou même... si elle sait que j'existe ? Je veux dire, moi j'ai toujours su que j'avais une sœur ! Et bien sûr je ne l'avais jamais vraiment vue avant mes seize ans, j'étais au courant de son existence mais elle ? Enfermée dans son bocal, est-ce qu'elle a conscience que je suis là ?
J'ai souvent entendu les gens parler d'un lien que les jumeaux auraient. Un genre de sixième sens. Mais je ne l'ai jamais ressenti. Je ne saurai pas dire si elle a mal ou si elle est heureuse. Alors je pense qu'il ne se développe que si les deux parties ont grandi ensemble. Ce serait assez logique en effet. Rien ne se crée s'il n'est pas voulu. Mais j'aime à me dire qu'elle, tout au fond de son cœur, elle me ressent...
– Bonjour, vous êtes perdue ? me demande quelqu'un. Je me tourne vers la personne et je me rends compte que c'est le garçon d'Esther ! Parfois, quand je l'espionne, il se trouve avec elle... Comme c'est étrange. J'ai l'impression d'être elle durant l'espace d'une seconde.
– Non, merci ! En fait, je me baladais et je suis arrivée ici par pur hasard ! je lui souris de la plus charmante des façons et il semble déconcerté pendant quelques instants. En même temps, je ressemble toujours à ma sœur et comme il traîne souvent avec elle...
– C'est drôle mais vous me faites penser à une fille que je connais...
– Ah bon ? C'est étrange, je ne connais personne qui te ressemble pourtant ! il me regarde fixement; il n'a pas comprit ma blague. Tant pis, la prochaine fois peut-être ?
– Bon, au revoir ! je le salue et prend mes jambes à mon cou, je ne voudrais pas qu'il me pose d'autres questions gênantes.
J'ai couru un bon moment jusqu'à arriver dans un quartier que je connais bien mieux. J'entre dans la librairie qui se trouve à ma droite et me dirige directement au comptoir. Ici, tout est sens dessus dessous mais pourtant tout y a sa place. La plupart des livres sont entassés les uns sur les autres dans des étagères qui semblent prêtes à éclater, répandant leurs livres partout. Et malgré ça, chaque objet est au bon endroit. Tout y est classé; que ce soit par ordre alphabétique ou de couleurs, ça n'a aucune importance !
– Yo ! Ça gaz, le piaf ? me lance le garçon qui se trouve derrière la caisse. Je lui tape dans la main et m'assois tranquillement sur le guichet.
– Yep et toi, Squall ? il opine du chef et me tends un paquet. Ses longs doigts de pianistes frôlent les miens tandis que je m'empare du butin. C'est un petit rectangle d'une trentaine de centimètres sur vingt et très léger mais je sais ce qu'il contient. Sans patienter plus, je défais le papier kraft et balance mes jambes avec un enthousiasme non-contenu.
– Youpi ! Je l'attendais tellement ! c'est un petit carnet de tatouages que son frère, Blast, m'a fait tout spécialement ! Je suis une grande fan de son travail alors je le lui avais demandé —même carrément supplié à genoux— il y a longtemps et le voilà enfin, entre mes mains.
– Alors, heureuse ? me demande Squall en souriant. J'hoche vivement de la tête et rigole.
Squall et son frère, Blast, sont mes amis depuis que j'ai commencé l'école primaire. Leurs vrais noms sont Chop et Dane mais plus personne ne les appelle comme ça depuis belle lurette. Alors que Blast est plus âgé que nous de sept ans et tiens son propre salon de tatouage en Floride, Squall, lui, s'occupe de la librairie familiale de temps en temps après les cours ou le week-end. Les deux se ressemblent comme des gouttes d'eau avec leurs grands yeux verts un peu tristes, leurs cheveux noirs mi-longs et bouclés, leur peau mate et leurs corps qui s'étirent à l'infini. Ils sont tellement grands qu'ils doivent souvent se baisser pour entrer et sortir d'une pièce. Ils font tomber beaucoup de filles dans leurs filets. Mais alors que Blast est un joueur, Squall est un grand romantique et il n'a eu qu'une seule vraie petite amie dans toute sa vie; c'était quand nous avions seize ans —donc l'année dernière. Elle l'a plaqué pour une histoire stupide et depuis, il est anéanti.
Tandis que je feuillette mon précieux carnet, Squall ne cesse de me rabâcher les oreilles avec son amour perdu. Elle s'appelait Jenna, avait un an de plus que lui et n'était sortie avec que pour avoir « de l'expérience ». Ainsi, elle a pu sortir avec le garçon qu'elle convoitait tant; laissant ce pauvre Squall désespéré d'amour. Et bien sûr, qui doit donc se le farcir depuis ? C'est bibi !
– C'est bon, cesse donc de pleurer pour cette fille ! Elle te méritait pas ! je tente des choses depuis un bout de temps: des excuses pourries et des phrases toutes faites mais rien ne marche.
– Non mais tu sais, je pense que j'ai jamais été assez présent pour elle ! je le regarde, les yeux grands ouverts et la bouche en cul-de-poule. Celle-la il ne me l'avais jamais faite ! Ce garçon est bien plus idiot que je ne le pensais après tout.
– Squall, tu es un crétin. je m'esclaffe tandis qu'il grogne tout en rangeant la boutique.
Deux heures plus tard, après l'avoir aidé à mettre un peu d'ordre dans tout ce bazar, je m'en vais. Il est dix-huit heures et je dois encore faire le dîner ! Je me traîne alors jusqu'à la maison en écoutant de la musique et pénètre dans notre modeste appartement. Maman travaille comme infirmière à l'hôpital et bien que cela nous rapporte un peu d'argent, nous devons souvent faire des petits travaux par-ci, par-là pour arrondir les fins de mois. C'est compliqué mais on s'en sort toujours ! De plus, Madame Obervill, la propriétaire, nous connais depuis tellement longtemps qu'elle nous laisse toujours payer avec un peu de retard. J'aime beaucoup cette vieille dame, elle a toujours été extrêmement gentille avec Maman et moi.
Après avoir déposé mes affaires dans ma chambre, je me rends à la cuisine et prépare le dîner. J'ai toujours aimé cuisiné, c'est quelque chose qui me passionne vraiment ! Je pense que si j'en ai l'opportunité alors plus tard, je veux devenir cuisinière et travailler dans un grand restaurant du centre-ville. Comme ça, j'aurai beaucoup d'argent et Maman n'aura plus à travailler plus que raison pour que nous puissions vivre convenablement. En plus, j'adore apprendre de nouvelles recettes et faire des tas de petits tests. J'ai même un carnet dans lequel je note toutes mes expériences. Qui sait, peut-être qu'un jour je pourrai ouvrir mon propre restaurant avec mes recettes personnelles ?
Alors que je mets la table, Selkie arrive en trombe et me saute dessus. C'est une vieille chienne âgée de douze ans qu'on a recueillie quand j'étais plus jeune. Et bien qu'on l'ai trouvée au fond d'une ruelle, c'est une chienne de race; un berger australien ! Mais elle a de longs poils blancs brillants et soyeux, une truffe toute rose et des yeux vairons. Elle se met à japper et faire des tours sur elle-même pour que je la caresse avant de repartir dormir après avoir eu son câlin. Sans elle, je pense que je me sentirais vraiment seule quand Maman travaille. Vu qu'elle fait beaucoup d'horaires de nuit, notre appartement est souvent silencieux. Et je déteste le silence. Je trouve que c'est angoissant. Moi ce que j'aime, c'est écouter le murmure de la ville qui s'agite dehors et imaginer toutes les vies qui se mêlent. Parfois, j'imagine que chaque son a sa propre couleur spéciale et je laisse mon esprit divaguer.
Souvent, c'est à cause de ce genre de pensées que les gens me trouvent bizarre. Et c'est parce qu'ils me l'ont dit que je ne vais plus que rarement en cours. Pas parce que j'ai peur de leur regard mais parce que je ne veux pas leur imposer ma personne. Si je les dérange, alors je m'en vais.
Il y a deux ans, une fille de ma classe avait réussi à trouver mon adresse et chaque jour, elle venait chez moi accompagnée de ses amies. Elles se postaient devant la porte et hurlait dans le couloir ou alors laissaient des graffitis un peu partout sur les murs. Souvent, leurs dessins disaient des choses stupides mais parfois, elles laissaient des choses blessantes. Et ces fois-là, j'avais beaucoup de peine à retenir mes larmes. Mais mon problème principal était d'effacer toutes les traces de leur passage avant que Maman ne soit rentrée. Je ne voulais pas qu'elle s'inquiète pour moi, c'était seulement des choses futiles d'adolescentes. Alors j'ai toujours tout caché. Puis j'ai changé de classe et les filles ont arrêté. Tout s'est calmé jusqu'à cette année où d'autres gens ont reprit le flambeau.
Dès qu'ils m'aperçoivent, ils me disent que je suis une erreur ou que personne n'aurait voulu de moi en tant que fille... Et Dieu sait qu'ils ont raison. Mais désormais, ils ont aussi mon numéro de téléphone et ne cessent de m'envoyer des tonnes de messages. Et bien que je les bloques, ils arrivent toujours à revenir. Alors j'ai décidé de les ignorer et d'attendre qu'ils se lassent. Mais c'est difficile parfois, j'ai envie de savoir ce qu'ils disent de moi. Et bien qu'à chaque fois que je lis leurs messages je me sens mal, je ne peux pas m'en empêcher. C'est comme une drogue. Je me nourris de leur haine et j'essaie de devenir plus forte. Et plus je vois leurs paroles méchantes, plus je deviens bizarre. Parce que je suis comme ça moi, je combat le feu par le feu. C'est ça, mon talent dans la vie.
– Colombe, tu es là ? la voix douce de maman retentit dans le salon. Je descends de la rambarde du balcon sur laquelle je m'étais assise et cours jusqu'à elle pour la saluer.
Avant, elle était vraiment magnifique. Avec ses longs cheveux bruns bouclés soyeux et sa peau de porcelaine si douce. Ses yeux étaient constamment remplis d'une petite lueur qui me redonnait toujours le sourire. Mais l'âge s'est abattu et c'est désormais une poupée usée par le temps et la vie qui se tient devant moi. Ses cheveux sont courts et en bataille, ses yeux sont tristes et cernés et sa peau est grisâtre. Elle est si fragile...
– Tu vas bien ? Le travail c'était pas trop dur ? je lui pose quelques questions sur sa journée tandis que nous nous installons à table devant le dîner.
Elle me sourit et prend le temps de m'expliquer tout ce qu'elle a pu faire aujourd'hui tandis que je mange en l'écoutant. C'est une excellente conteuse. Avec sa voix douce, elle raconte les histoires mieux que quiconque ! Et qu'elles soient vraies ou inventées, c'est du pareil au même. Avec elle, les mots deviennent images et je suis toujours enchantée. J'ai la plus douce et gentille des mamans, c'est indéniable.
Sauf que dans notre situation, la maman ici, c'est moi.
Aujourd'hui aurait pu être un grand jour.
Ce matin, je me suis levée avec la ferme intention d'aller au lycée. Je me suis donc douchée puis coiffée et maquillée. Après, je me suis habillée et j'étais prête pour affronter tous ces idiots qui se pensent supérieurs à moi de part leurs fréquentations. J'ai caressé la tête de Selkie, lui ai donné des croquettes, me suis préparé un en-cas pour la route et un autre pour midi et puis je suis sortie de l'appartement. Décidée, j'ai marché d'un pas vif en écoutant une vieille chanson de rock. J'étais totalement sûre de moi, je n'avais aucun doute sur la réussite de cette journée. J'avais une confiance aveugle en mes capacités. Et puis après, j'ai paniqué et je me suis réfugiée dans le métro.
Mais il n'était pas encore trop tard ! J'avais encore le temps de descendre au bon arrêt et de gambader joyeusement en direction de ce bâtiment terne où j'allais apprendre tout un tas de choses en compagnie de personnes que je n'affectionnais pas particulièrement. Mais, qui a donc besoin d'aimer les autres pour être intelligent ? Il me suffisait juste d'ignorer leurs regards accusateurs et leurs chuchotements agaçants et c'était dans la poche ! Et alors que je bombais le torse, prête à tout écraser sur ma route, c'est là que je l'ai vue. Ses longs cheveux blonds un peu secs, ses jolis yeux bruns et ses lèvres pulpeuses. Anna McKullin.
La seule personne qui pouvait me rendre misérable en un seul petit claquement de doigts. Ses yeux étaient terrifiants quand elle était en colère et le mépris constant qu'elle dégageait me mettait si mal à l'aise... Alors je suis sortie du métro dès que j'ai pu. J'ai pris mes jambes à mon cou et j'ai fuis. Parce que dans la vie, il faut savoir remarquer les situations désespérées et surtout, les éviter !
Et donc, actuellement, je me trouve dans un parc de jeu et je m'amuse sur un tourniquet parce que je n'ai rien de mieux à faire de mes journées. Je sais, je suis nulle mais c'est plus fort que moi. Quel que soit le niveau de courage que j'arrive à accumuler en moi, il y a toujours un moment où il s'évapore. Comme un nuage. Voilà, je suis un nuage ! Cotonneuse, orageuse, embêtante. C'est tout moi. Et même si, parfois, j'ai envie de disparaître sous terre, je m'aime bien. Je ne suis ni vraiment stupide, ni vraiment intelligente. Je m'intéresse à toutes sortes de choses et je ne suis pas très moche ni très jolie. C'est important de bien s'aimer dans la vie.
Et dans mon cas, m'aimer moi c'est aussi aimer Esther. Parce qu'elle est comme moi, mine de rien. Alors oui, elle est le portrait craché de maman —on se demande pourquoi— mais elle est aussi le mien. C'est ma copie. Et je l'aime même sans la connaître. Je sais qu'elle est très intelligente et sportive. Elle est aussi vraiment jolie ! C'est ma sœur quoi, la chair de ma chair, le sang de mon sang ! Et je suis si fière d'être elle.
– Hey mais si c'est pas l'oiselle du métro ! s'exclame une voix que je connais bien. Je saute du tourniquet et cours jusqu'à lui; Blast se trouve à l'entrée du parc. Si je devais le décrire en quelques mots, je dirais que c'est le genre de frère dont tout le monde rêve. Il est super cool, drôle et compréhensif. Et même si on a aucun lien de sang, je me suis toujours sentie très proche de lui. Bien plus que de ma mère ou même Squall parfois. C'est mon âme sœur en quelques sortes. Un vieil âme sœur tatoueur vivant à plus de quatre milles kilomètres de moi. Mais il sait toujours être là quand il le faut, c'est magique !
– Alors, comment ça va depuis la dernière fois ? T'as reçu mon cadeau ? j'hoche vivement la tête avant de le serrer contre moi. Il répond à mon étreinte puis nous allons nous asseoir sur les balançoires et nous discutons de tout et de rien durant toute l'après-midi.
Il est la seule personne au courant pour le lycée et je crois bien que c'est le seul qui peut me comprendre réellement. Lui aussi, a arrêté le lycée mais pas vraiment pour les mêmes raisons.
« Tu sais, moi à ton âge, tout le monde me prenait pour un vrai con. Ils pensaient tous que je ferais jamais rien de ma vie et que je crèverais sous un pont. Alors j'ai abandonné; comme ils l'attendaient. Et j'ai découvert ma passion pour les tatouages et le dessin. L'école, ça nous apprend beaucoup de choses c'est sûr mais il y a un certain point où on arrive à en savoir plus en vivant les choses qu'en restant assis toute la journée sur une chaise. T'es promise à de grandes choses toi, et c'est pas parce qu'une bande de pétasses te détestent ou que t'es nulle en math que t'es foutue. Et même si plus personne te fais confiance, moi j'serai toujours là pour croire en toi, petit oiselle. »
C'est ce qu'il m'a dit un soir, après que je l'aie appelé parce que j'en avais beaucoup trop marre. Au départ, je voulais prendre un ticket de bus et le rejoindre en Floride mais je ne pouvais juste pas laisser maman seule. Alors j'ai pleurniché contre le combiné puis il m'a dit ces mots et j'ai compris à quel point j'étais idiote de rentrer dans leur jeu. J'ai séché mes larmes et je lui ai parlé de tout ce que j'avais sur le cœur.
Et cette nuit-là, pour la première fois, j'ai parlé d'Esther. Personne ne sait qu'elle existe dans ma vie mis à part Blast. C'est notre secret. Je lui fais confiance, je sais qu'il ne le racontera jamais; même pas à Squall. Et je suis heureuse de ne plus porter ce poids toute seule.
– Je dois rentrer, mes parents m'attendent. Tu veux venir dîner avec nous ce soir ? il me sourit gentiment alors que nous sortons du parc en nous dirigeant vers le métro.
– Non, maman ne travaille pas ce soir alors je vais passer un peu de temps avec elle !
– Je vois ! En tout cas, comme je te l'ai dit: je reste ici une semaine donc faudra qu'on aille se boire un café si l'envie te reprends de fuir ta scolarité obligatoire ! il ponctue sa phrase d'un clin d'œil puis secoue sa main et s'éloigne à grandes enjambées dans la pénombre.
Et moi, je m'engouffre dans la station souterraine du métro et attends patiemment de pouvoir rentrer. D'ailleurs, je lui ai menti; maman ne va pas rentrer ce soir. Elle enchaîne deux gardes et ne sera pas de retour avant les trois heures du matin. Mais je n'avais pas envie de voir leurs parents aujourd'hui. Bien que j'apprécie énormément Monsieur et Madame Heaton, je trouve qu'ils parlent trop pour deux personnes. Toujours là à papoter, jamais aucun silence dans leurs conversations et croyez-le ou non, je trouve ça encore plus gênant que les blancs. Vraiment.
Une fois, on m'a demandé de parler de la personne la plus gentille que je connaisse. Alors j'ai parlé d'Olive. Avant, c'était un garçon qui s'appelait Oliver et maintenant c'est tout simplement la plus belle fille que je connaisse. Avec sa peau douce, ses yeux verts ornés de longs cils, son nez si parfait et ses lèvres qui donnent envie d'embrasser: c'est un vrai canon. Sauf que les gens en ont... peur ? Je ne sais pas si c'est le mot qui convient mais c'est l'impression que j'en ai.
Ceux qui la connaissaient d'avant ne veulent plus lui parler et les gens qui apprennent son histoire maintenant semblent comme dégoûtés. Hors, elle n'a rien fait de mal à part devenir la personne qu'elle voulait. C'est ce qu'on nous apprend depuis tout petits si je ne m'abuse. On nous dit toujours de poursuivre nos rêves et de nous battre pour nos convictions; les siennes c'étaient de devenir une fille. En plus, elle est si intelligente c'est quelque chose de fabuleux ! Elle a tout le savoir de huit encyclopédies et connaît tout un tas de petites informations inutiles mais si intéressantes. Et donc voilà, la personne la plus gentille que je connaisse. Toujours prête à aider les autres et à sacrifier son temps pour eux. Elle ne pense pas assez à elle, je trouve. Et c'est dommage.
C'est dommage parce qu'aujourd'hui, pour la troisième fois cette semaine, les gens ont abusé de sa gentillesse et de son sourire. Assise là, à côté de moi dans le métro, elle pleure. Les larmes dévalent ses joues parce que plus tôt dans la journée, alors que nous buvions tranquillement un soda, une bande de garçons sont venus vers nous. C'était ses anciens amis; des gars sympas ma foi. Mais là, ils l'ont agressée et l'ont frappée. Ils se sont aussi moqués parce qu'elle portait une robe. Mais je ne vois pas le problème en fait. Et si problème il y a, ce n'est sûrement pas du côté d'Olive qu'il se trouve.
Comme je trouvais ça énervant, j'ai voulu m'interposer entre eux. Mais ils m'ont repoussée. Je n'étais clairement pas de taille mais... il y a avait plusieurs personnes qui ont vu la scène. Et aucune n'a rien fait... Je trouve ça si navrant...
– Colombe ? Tout va bien ? alors qu'Olive sanglote toujours dans mes bras, je relève la tête pour me trouver face à Narcisse. Son visage de glace est habité par un air inquiet et pensif.
– Ou-oui. C'est mon amie, elle a eu quelques problème avec une bande de garçons et nous voilà. je souris pour le rassurer et lui s'accroupit face à nous. Et, machinalement, il prend la main d'Olive et la serre chaleureusement.
– Tu ne me connais pas, je ne te connais pas, mais tu as juste à me dire le nom de ces idiots et j'irai discuter avec eux. Et alors, les yeux verts remplis de larmes se lèvent vers lui et un sourire traverse son visage.
– Merci, c'est très gentil mais ce ne sont pas les premiers et sûrement pas les derniers. Il faut que j'arrive à m'en débarrasser toute seule ! elle lui sourit à nouveau et Narcisse hoche la tête avant de se relever. Dans sa position, c'est comme s'il était là pour nous protéger, Olive et moi. Et je sens qu'elle va mieux. Déjà, ses yeux et ses joues sont redevenus secs et elle tremble moins qu'avant. Et moi aussi, je suis plus calme et plus sereine. Je crois que c'est l'effet apaisant de Narcisse. Ce garçon c'est comme une tisane.
Olive m'a avoué un jour qu'elle en avait marre que les gens se moquent d'elle à longueur de journées. Et qu'elle était blessée et à bout. Que, certains matins, elle avait envie de remettre ses vêtements de garçons et de retrouver son ancienne vie. Je lui ai demandé pourquoi elle ne le faisait pas, si ça l'aidait à aller mieux. Et elle m'a dit que ça n'améliorait en rien sa vie; elle se sentait juste plus mal dans sa peau.
– Tu sais, avant, quand j'étais un garçon, j'adorais mettre les robes de ma sœur et son maquillage. Quand il n'y avait personne chez moi, je faisais toujours ça et un jour, mon père m'a surprit. Il m'a frappé et m'a forcé à me démaquiller avant de me punir pendant très longtemps. Et sur le coup, je ne comprenais pas ce que j'avais fait de mal. Dans ma tête, qu'on soit une fille ou un garçon on a le droit de faire ce qu'on veut avec notre corps. Mais il n'était pas de cet avis... Le problème c'est qu'on nous dit toujours qu'on doit faire nos choix, que personne les fera pour nous et que surtout, on doit être comme on veut. Mais ça marche pas, parce qu'il y a toujours quelqu'un qui nous dit ça mais qui, après, rectifie notre conduite... des larmes coulaient sur ses joues et j'ai compris que malgré toute la force et le charisme qu'elle dégage, au fond elle n'est qu'une petite chose brisée et triste.
Narcisse et moi sommes restés avec elle jusqu'à son arrêt et bien que je lui aie demandé un tas de fois si elle voulait que je —on— la raccompagne, elle a refusé. Elle est vraiment épatante...
– Dis, tu veux qu'on aille se promener en ville après ? je lui propose tandis qu'il s'installe à côté de moi. Il acquiesce et me sourit.
– Et tu voudrais aller où ?
– J'aimerais te montrer un endroit que j'aime beaucoup et te présenter un de mes amis !
– J'ai hâte alors ! me répond-il et bien que son visage soit presque impassible, je décèle une petite lueur d'intérêt dans son regard. Alors, nous attendons patiemment notre arrêt et quand il est là, je dois me retenir de ne pas sautiller à l'extérieur du métro.
Il me suit à travers les rues et au fur et à mesure que le soleil se couche sur l'horizon, nous approchons de la librairie des Heaton. J'ai hâte qu'il rencontre Squall et Blast, je suis sûre et certaine qu'ils vont s'entendre à merveille !
Je pénètre dans la boutique qui m'est si chère et salue chaudement Squall et Blast, Narcisse sur mes talons.
- Les garçons, je vous présente mon nouvel ami: Narcisse ! Et Narcisse, je te présente Blast et Squall ! les trois se regardent et hochent la tête puis Dane prend la parole.
– Donc, Narcisse, c'est quoi ton vrai nom ?
– Mon... vrai nom ?
– Ouais genre le mien c'est Dane et mon frère s'appelle Chop.
– Je m'appelle Narcisse et c'est, genre, le seul nom que j'ai. le ton presque froid malgré lui de Narcisse fait que les deux sont en train de se regarder en chiens de faïence.
– Bon, j'ai faim ! Ça vous dit qu'on aille manger un morceau dehors ? j'essaie de changer l'atmosphère très étrange et pesante qui s'est installée d'un coup mais je crains que ce ne soit pas gagné d'avance... Pourtant, ils acquiescent tous et nous sortons de la librairie. L'air est bon pour un mois de mars.
– Eh les garçons, vous savez ce qu'il va se passer dans un mois pile poil ? leur demandé-je alors que nous marchons en direction d'un fast-food.
– Les vacances scolaires ? propose Squall. Je secoue la tête de façon négative et pouffe.
– L'anniversaire de la mort d'Hitler ? tente Narcisse avec une moue penseuse. J'éclate de rire.
– Vous êtes sur la bonne voie !
– C'est ton anniversaire bien sûr. lâche Blast avant d'allumer une cigarette et de tirer dessus. Les deux autres le regardent; Squall soupire en se disant qu'il aurait dû le savoir et Narcisse sort son téléphone pour, je suppose, le marquer dans son calendrier.
– Je prévois de faire une petite fête et, bien évidemment, vous êtes tous les trois invités ! On va bien s'éclater vous verrez !
– Je suis désolé petite oiselle mais je pourrai pas être là... Je retourne en Floride dans deux jours... le visage de Blast affiche un petit sourire triste et il se gratte la nuque.
– Mais ! Je vais avoir dix-huit ans ! Tu vas pas me dire que tu ne seras pas là ?
– Vraiment navré ! s'exclame-t-il en faisant une courbette. Squall en profite alors pour lui frapper l'arrière du crâne.
– Eh tu oublies que moi je serai là, le Piaf ! rajoute-t-il tandis que son frère se relève et se jette sur lui.
– Et-et moi aussi ! renchérit alors Narcisse en me souriant franchement. Et je n'avais jamais vu un tel sourire habiter son visage.
Finalement, la fin d'après-midi s'est plutôt bien passée; on est allés se prendre des glaces qu'on a mangé dans un parc. Les garçons ont apprit à mieux se connaître et finalement, Blast et Narcisse s'aiment bien. Par contre, Squall le regarde toujours de travers pour je ne sais quelle raison. Et ça me froisse. Je n'aime pas quand mes amis les plus proches ne s'apprécient pas, après je dois toujours faire des choix et ça craint.
– Eh, vous trouvez pas que cette fille ressemble vachement à Colombe ? s'écrit soudainement Chop en pointant... Esther. Elle est accompagnée de Jasper et tout deux marchent côte à côte. Il semble la faire rire. Ça me rend heureuse sauf qu'à part Blast, ils ne sont pas censés être au courant de son existence...
– Mais de quoi tu parles ? Elle est blanche comme un fantôme et a des cheveux bruns ! Tu m'as bien regardée ? Elle et moi, on a rien en commun !
– Ouais frérot, tu devrais demander aux parents de t'envoyer chez l'ophtalmo' parce que c'est grave là ! il nous regarde, Dane et moi, et fronce le nez.
– Je suis persuadé qu'elle te ressemblait ! Et toi, Mr. Freeze t'en pense quoi ?
– De un, tu m'appelles pas comme ça. Ensuite, mouais. La ressemblance m'a pas frappé... la réponse de Squall est un regard noir qu'il lui lance avant de grogner et de marmonner dans sa barbe. C'est peut-être un grand romantique et il peut être très gentil mais, la plupart du temps, il a un vrai caractère de cochon !
– À plus tard les garçons ! je les salue en secouant ma main et en leur envoyant des bisous imaginaires.
– À plus le Piaf ! Et que j'te revois plus traîner avec Mr. Freeze, il va te transformer en glaçon ! hurle Squall en rigolant. Du coin de l'œil, je vois Narcisse rouler les siens en l'air et secouer la tête.
– Eh, passe demain matin à la boutique et je t'offrirai ton cadeau d'anniversaire ! Blast ponctue sa phrase d'un clin d'œil et mon ventre se tord.
– Avec plaisir ! Et non Squall, j'aime traîner avec Narcisse alors je ne l'abandonnerai pas pour tes beaux —que dis-je, magnifiques— yeux ! il rigole encore une fois puis les deux frères s'éloignent en direction de chez eux alors que nous nous rendons à la station de métro.
– Au début, Squall fait toujours le dur mais au fond c'est un agneau ! La première fois qu'on s'est rencontrés, il m'a lancé un tabouret dans la tête. j'explique alors que nous nous asseyons dans le métro.
– Un tabouret ? Mais il est fou !
– Bon, je dois dire que j'aurais pu m'abstenir de brûler son cahier de devoirs...
– Mais... vous aviez quel âge exactement ?
– Mhhhh je crois qu'on avait six ans ? sa mine déconfite est si drôle que je ne peux m'empêcher d'éclater de rire. Il est vachement crédule quand même !
– Non, c'était une blague ! On s'est juste battus jusqu'au K.O. avec seulement nos poings.
– Mais c'est quand même grave !
– Ma grand-mère me dis souvent que c'est avec les mains que les vraies amitiés se forgent !
– Tu-tu vas me frapper ? son regard et sa bouille de cocker sont si amusants !
– Voyons, tu crois que tu as quelque chose à craindre d'une fille qui fait la moitié de ta taille et le quart de ton poids ?
– Je n'ai jamais su me battre. sort-il simplement et cette fois, il éclate de rire avec moi.
Nous avons décidé de rester jusqu'à la fin de la ligne et donc, tandis que nous traversons la ville dans le wagon vide, nous discutons de tout et de rien. Un peu comme d'habitude quoi !
– Bon, on se retrouve ici jeudi, ça joue ? il acquiesce à ma proposition et je m'en vais en trottinant en direction de la maison. Mais quand je rentre dans notre petit nid douillet, je sens que quelque chose cloche et j'aime pas ça du tout.
– Ah, salut Colombe ! On t'attendait ! la voix d'Anna Mckullin retentit dans le silence inhabituel. Qu'est-ce que la reine du lycée fait ici, chez moi, assidue sur mon canapé, une cigarette entre les lèvres ? Il y a aussi deux autres personnes qui étaient dans ma classe mais j'ai égaré leurs noms dans mon cerveau.
– Comment vous êtes rentrés ?
– Oh, votre adorable logeuse m'a donné les clés. elle ponctue sa phrase en faisant tinter le trousseau devant elle.
– Et pourquoi ça ?
– On voulait rendre une petite visite à notre meilleure amie voyons ! Ça fait un bail qu'on te croise plus en cours, tu nous manques beaucoup. C'est pas pareil sans Colombe la turbulente ! elle glousse avant de se lever, écraser sa cigarette et s'approcher de moi.
– Ta chère maman n'est pas encore rentrée ? Et où est donc passée ta chienne ?
– Qu'est-ce que j'en sais ? T'étais là avant moi, non ? comme un félin, elle se glisse encore plus près de moi et, sans que je m'y attende, me met une claque.
– Je vais t'apprendre le respect moi, espèce d'erreur. ses mots sont tranchants mais son visage est toujours souriant comme si on ne faisait que discuter.
– Si j'avais encore des choses à apprendre tu crois pas que j'irais en cour plutôt que de me faire frapper par une pétasse dans ton genre ? à l'entente de mes mots, son expression change et la rage qui se lit dans ses yeux ne me prédit rien de bon. Mais je ne pourrai pas dire que je ne l'avais pas cherchée...
Anna s'est défoulée durant dix bonnes minutes sur moi pendant que ses amis me tenaient pour éviter que je ne tente de riposter. J'avais l'habitude alors j'ai juste encaissé pour éviter de ne l'énerver plus. Malgré les apparences, elle a de la force et elle n'est pas stupide. Elle sait frapper là où ça fait mal. Et puis, ça fait cinq ans qu'elle a le loisir de s'entraîner quand elle veut sur moi, son petit cobaye adoré. Dès que la grande Anna se sent mal dans sa peau ou qu'elle a juste besoin de se défouler, elle me retrouve et me fait passer un sale quart d'heure. C'est comme ça. J'ai essayé des tas de fois de me défendre, je l'ai bien souvent amochée mais maintenant elle ne prend plus le risque de venir toute seule. Toujours accompagné de ce qu'elle appelle "ses amis" mais que je qualifierais plutôt de golems. Ils n'ont aucune conscience propre, ils ne font que suivre ses ordres. C'est consternant.
– Eh Colombe, j'espère être invitée à ta fête d'anniversaire ! Je serai très déçue de ne pas recevoir mon petit carton d'invitation. lâche Anna avec un clin d'œil avant de tourner les talons et de sortir de l'appartement. Et dès que la porte est fermée, je hurle. Je tire sur mes cordes vocales et brise ma voix pour réparer mon cœur. J'attrape un coussin, fourre ma tête dedans et continue de hurler jusqu'à ce que ma gorge me brûle et que ma voix ne soit plus un murmure. Et le problème, c'est que je ne sais même pas qui je déteste le plus entre Anna ou moi. Bien sûr, c'est elle qui me frappe mais ce n'est pas elle qui doit se trimballer ma carcasse et ma conscience à chaque heure du jour. Ce n'est pas elle qui ne fait pour changer. Elle, elle mène sa propre barque dans un autre courant que le mien. Et, parfois, je l'envie.
Après ma crise, je suis ressortie. Si maman m'avait trouvée là, à pleurer aussi pitoyablement au milieu du salon je pense qu'elle aurait été détruite. Et c'est ce que je veux éviter. Je dois la protéger, c'est mon rôle. Alors j'essaie de l'éloigner le plus possible de mes problèmes.
– Eh, pourquoi tu pleures ? devant moi se trouve une fille ne mesurant pas plus d'un mètre cinquante. Elle me fixe de ses yeux bleus, aussi profonds que l'océan. Ses cheveux sont un tel mélange de boucles brunes et rousses que je me demande comment elle fait pour y survivre. Et la réponse trône elle aussi sur son crâne: un petit serre-tête ornés de têtes de chats en peluche.
– Non, j'avais juste un petit truc dans l'œil. Rien de grave, merci ! je lui adresse un petit sourire mais elle ne semble pas en démordre.
– Tu sais, je suis assez douée pour savoir quand les gens me mentent. Et c'est ton cas. elle me sourie et me tend sa main avant de recommencer à parler.
– Tu peux m'appeler Nemmie Barclay ! Je suis enchantée ! Aller, dis-moi pourquoi est-ce que tu pleurais ?
– Dis-moi pourquoi est-ce que je devrais te le dire ?
– Tu marques un point ! elle prend alors un air pensif et se gratte le menton.
– Tu as quel âge Nemmie ? pourquoi ne pas m'en faire une nouvelle amie ? Elle a l'air d'avoir mon âge !
– Je vais avoir seize ans dans dix jours, et toi jeune inconnue pleurnicharde ?
– Eh ! Déjà je suis plus âgée que toi: j'ai presque dix-huit ans ! Et je ne suis pas une pleurnicharde ! mon insurrection la tant rire qu'elle doit se tenir les côtes.
Je ne sais pas pourquoi mais son comportement m'agace au plus haut point alors je la contourne et me remet à marcher dans le parc, espérant la fuir. Je suis sur les nerfs et bien évidemment que ce n'est pas de sa faute mais si elle me suit je serais sûrement capable de lui décocher une claque. Et je ne veux pas. Je ne suis pas une fille particulièrement violente.
– Eh ! Attends ! Je ne voulais pas te vexer ! je rêve ou elle me court après ? Je me retourne et vois ses bouclettes sautiller au rythme de ses pas rapides. Un soupir s'échappe mais pas de ma bouche.
– Némésis. Arrête ça tout de suite. à l'aide d'un regard noir et d'une posture imposante, la personne ayant soupiré stoppe Nemmie avant de me dépasser et de l'emmener dans la direction opposée. Je ne peux pas voir son visage mais c'est un garçon aux épaules larges avec des cheveux courts il me semble.
– Quel curieux duo... me dis-je à voix basse tandis qu'ils s'éloignent. La petite continue de sautiller et crier un peu dans tous les sens tandis que son mystérieux acolyte ne réagit pas. Et pourtant, sa voix reste ancrée dans mon cerveau. Elle a quelque chose de... magique.
Ça fait deux jours depuis la petite visite d'Anna et la rencontre avec Nemmie; je ne suis pas sortie un seul instant de l'appartement. J'étais tellement fatiguée ! Mais aujourd'hui, j'ai rendez-vous avec Blast alors je me force à sortir de mon lit et à me préparer. J'ai déjà repoussé deux fois et comme il doit partir demain pour rentrer en Floride, c'est donc le dernier moment pour que je puisse recevoir mon cadeau d'anniversaire ! Il m'a promit quelque chose d'exceptionnel donc j'ai hâte même s'il me l'offre en avance et qu'il ne pourra pas être présent à ma fête...
J'ai mis une robe noire et rouge avec des chaussures à plateforme, un maquillage plein de paillettes accompagne le tout et mes cheveux sont attachés en deux petits chignons asymétriques de chaque côté de mon crâne. Si on me pose la question, alors je suis blonde mais en réalité je suis brune, comme Esther. J'ai fais ma première coloration quand j'ai eu quatorze ans et depuis j'essaie de les tenir clairs le plus possibles mais je ne peux empêcher mes racines de pousser ce qui donne un petit mélange étrange sur le haut de mon crâne. Mais bon, on s'adapte !
Je me dépêche d'aller à la librairie —je me retiens même de courir— et j'entre en trombes, je salue poliment Monsieur et Madame Heaton et monte directement à l'étage sans faire plus de détour.
– Hey mais si c'est pas mon piaf préféré ! Si tu viens pour Blast alors il dort encore ! Chop me fait un check puis se rend à la cuisine tandis que je continue mon chemin vers la chambre de Dane. J'entre doucement; les volets sont fermés et l'occupant de la pièce est avachi sur son lit, endormi. Souriante, je verrouille la pièce à clé, me déchausse et me glisse à ses côtés.
– Ehooo espèce de baleine ! je chuchote dans son oreille tandis qu'il grogne et se retourne. Il n'a jamais été du matin !
– Lève toi gros tas ! ma voix est plus forte mais toujours aucune réaction de sa part. Alors je me glisse de façon à être face à lui et, tout doucement, je dépose mes lèvres sur les siennes. Et alors que ses yeux encore endormis s'entrouvrent, il répond à mon baiser et m'attire à lui afin de me câliner.
Parce que oui, Esther n'est pas mon plus gros secret. C'est Dane qui endosse cette lourde responsabilité.
– Tu sais que je t'aime toi ? T'es la seule personne au monde qui sait comment faire pour me réveiller de bonne humeur ! un sourire naît sur son visage tandis qu'il se lève, me laissant seule sur son matelas.
Je profite du fait qu'il s'habille pour le détailler ; bien qu'il soit très grand et fin il n'en est pas moins musclé. Il a des abdos et de larges biceps. Mais le plus intéressant ce sont les dizaines de tatouages qui parcourent son corps en long, en large et en travers. Mon favori c'est celui qui se trouve sur son omoplate gauche et qui représente trois oiseaux qui s'envolent hors d'une cage. Il y a une hirondelle, une corneille et une colombe. Et c'est le premier tatouage qu'il s'est fait faire, il avait à peine quinze ans et Squall et moi en avions dix. On l'avait observé, émerveillés par son acte et puis on avait passé la journée à se dessiner sur le corps avec des feutres indélébiles.
– Mademoiselle apprécie le spectacle ? me demande Blast en s'installant à nouveau sur son matelas. En réalité c'est un canapé-lit miteux qui ne fait plus office de sofa depuis des années ! Il trône dans un coin de sa chambre tandis que tout le reste est jonché de croquis, de carnets et de vêtements sales.
– Comment ne pas être satisfaite ? je lui réponds et on s'embrasse à nouveau.
On a commencé à sortir ensemble peu après mon quinzième anniversaire. C'était étrange au début, je l'avais toujours vu comme un grand frère mais un jour, tout a changé dans ma tête. J'étais triste à cause des gens à l'école et de maman qui était de plus en plus au fond du bac et il était là, pour me consoler. Je ne me rappelle plus de tout, juste d'un baiser humide rempli de larmes et d'incompréhension. Et après, de fil en aiguille on en est arrivés là. Le problème c'est qu'il est —beaucoup— plus âgé que moi et la plupart des gens trouveraient ça déplacé. Alors on s'aime seulement quand on est sûrs d'être tous seuls, rien que lui et moi. Et ça ne me dérange pas. J'aime me sentir privilégiée !
– Tu es prête pour ton cadeau ? Ferme les yeux et tends les mains ! je m'exécute et attends patiemment. Mais Blast aime me faire languir alors d'abord, il dépose un baiser sur mon nez puis dépose quelque chose de très léger dans ma paume. Mes paupières se lèvent et je fixe, interdite ce qui se trouve dans mes mains.
– Un ticket de bus ? j'essaie de déceler le petit tic nerveux que les commissures des ses lèvres ont quand il fait une blague mais rien ne bouge, nulle part.
– Regarde bien ! il dépose alors son doigt sur le ticket et je lis ce qui est écrit en dessous.
– Un ticket pour la Floride ? mon cerveau fait enfin le rapprochement et je lui saute au cou, faisant des millions de bisous un peu partout sur son visage. Désormais nous partageons les même paillettes.
– Je pensais que... on pourrait y aller ensemble puis tu reviendrais ici à la fin de la semaine prochaine ? Ou alors si t'as d'autres projets c'est pas grave, on peut toujours repousser ! il m'adresse un petit sourire plein d'espoir et je secoue la tête.
– Pour rien au monde je repousserais une semaine en Floride avec toi. Rien ! il me serre contre son torse et nous restons comme ça pendant cinq bonne minutes. Dans l'espace de ses bras je me sens si bien, comme si j'étais protégée de toutes les menaces extérieures.
– Je t'aime. me murmure-t-il en caressant mes cheveux. Je lève mon visage vers le sien et sourit.
– Moi aussi, je t'aime jusqu'à la lune et retour !
– Ah Colombe, t'es vraiment une enfant ! dit-il en rigolant et je rigole avec lui.
Ces moments avec lui sont si rares mais tellement, tellement précieux. Je ne veux plus jamais le quitter.
Je quitte la chambre de Blast aux alentours de dix-neuf heures. On a passé la journée à regarder des films et à rire. Heureusement, Squall était sortit et il n'est toujours pas rentré donc il ne se posera pas de questions. Enfin, je l'espère. En tout cas, j'ai vraiment hâte de partir avec Dane ! On va tellement s'amuser.
Mais avant tout, il faut que je prévienne maman et que je sois bien sûre que je peux la laisser seule. Parce que même si elle m'assure qu'elle va bien, elle ne peut pas cacher la tristesse immense qui brille dans ses grands yeux noisette si ternes. Elle se traîne dans la vie comme un fantôme, elle est si transparente. Tout ce qu'elle fait ce sont des allers-retours entre notre minable appartement et son éreintant travail. Elle est courageuse et forte, elle endure tellement de choses. Mais elle ignore le fait qu'elle a toujours besoin d'un pilier, de quelqu'un pour l'aider à avancer. Et vu qu'elle n'a personne d'autre alors c'est moi qui suis là pour elle. Mais ça ne me dérange pas, loin de là ! J'aime m'occuper d'elle, lui montrer que je suis là et me sentir utile. J'aime la serrer contre moi, caresser ses cheveux et sécher ses larmes parce que je sais que, même si dans ces instants-là elle est si vulnérable, c'est quand même une femme incroyablement forte.
– Maman ? Je suis rentrée ! sa veste et son sac se trouvent sur le porte-manteau mais elle ne me répond pas.
Étrange. Je remarque une parka inconnue qui traine et des voix me parviennent du salon. Je me déchausse, pose mon sac sur le meuble à chaussure et Selkie vient à ma rencontre pour quémander des caresses, que je lui donne avec joie. Puis je continue mon chemin jusqu'au salon où je retrouve ma mère et Rosalie en pleine discussion. Il doit se passer quelque chose avec Esther sinon elle ne serait pas là, chuchotant des choses à ma pauvre maman.
– Bonjour, Colombe, tu vas bien ? l'invitée se lève et me sourit. Elle m'enlace et j'hoche la tête en guise de réponse.
– Il y a un problème ? je demande en m'installant à côté d'elles sur le canapé.
– Non, ne t'inquiète pas ! Je suis juste venue boire un café et discuter un peu avec ta mère ! me répond Rosalie en me tendant un paquet de gâteaux.
– J'ai eu peur ! Au fait maman, j'aurais une question... j'attrape un biscuit, le fourre dans ma bouche puis tortille mes mains et baisse les yeux; comme une petite fille.
– Qu'est-ce qu'il se passe ? je sens l'inquiétude dans sa voix; elle panique tellement vite !
– Oh, rien de grave ! C'était juste pour savoir si je pouvais aller une semaine en Floride ? Avec Dane ! C'est son cadeau d'anniversaire... elle réfléchit et son regard se perd dans les plantes vertes. Puis elle me sourit, se racle la gorge et me fixe à nouveau.
– Pourquoi tu ne pourrais pas ?
– Euh, parce que je ne veux pas te laisser seule ?
– Tu es une grande fille voyons et moi aussi ! Ça fait bien longtemps que tu n'as plus besoin de moi. non, elle a raison. Je suis autonome. Mais pas elle...
– Oui mais toi ? elle rigole à ma remarque.
– Qui est la maman entre les deux, je me le demande parfois ! s'exclame Rosalie en riant elle aussi. Je baisse les yeux mais un sourire se dessine sur mon visage. Tant que Rose est là alors il ne peut rien arriver à maman. Je peux partir confiante !
J'ai dis au revoir à maman, caressé Selkie, attrapé mon sac de voyage et je suis sortie. Je n'aime pas les adieux, je crois l'avoir déjà dit. En fait je ne dis jamais définitivement « au revoir », je ne suis simplement pas assez forte pour ça. Alors je promet juste aux gens de les revoir plus tard, une autre fois, un de ces quatre. En effet, la seule personne à qui je fais un câlin et que j'embrasse avant de m'en aller c'est ma mère. Parce que c'est la seule qui me manquerait sincèrement si je ne devais plus jamais la revoir et pour qui j'aurais des remords de l'avoir laissée sur une promesse en l'air. Je suis comme ça, malgré moi.
L'air est frais mais le soleil pointe déjà son nez; ça va être une belle journée. J'ai rendez-vous avec Dane à la gare routière. On en a pour deux jours à peu près de bus mais ça en vaut le coup ! On aurait pu prendre le train mais on en a pas les moyens et oui, il a une voiture mais elle se trouve chez lui, donc pour nous ce sera le bus ! Et puis j'aime bien le bus, ce n'est pas forcément très personnel ni intime mais au moins il n'a pas besoin de se crever au volant et les haltes ne sont pas un problème. Tout est organisé, c'est ça ce qui est cool avec le bus: on a juste à monter dedans, descendre quand on nous le dit et c'est bon. Et puis j'aime voyager avec Dane parce qu'on passe nos trajets à jouer aux cartes, écouter de la musique ou, bien plus simplement, être ensemble. Et ça me suffit amplement. Sentir sa présence à ses côtés me réconforte et me donne l'impression que je pourrai écraser la terre entière !
Je me rappelle que quand j'étais plus petite, j'admirais Blast à un point inimaginable. C'était une sorte d'idole pour moi; le grand frère de mon meilleur copain. J'osais jamais l'approcher, de peur de briser le mythe. Et puis cette admiration s'est muée en quelque chose d'encore plus fort; en amour. Au départ, j'en avais pas conscience mais je voulais sans cesse le voir, lui parler, juste être avec lui. Même silencieux et immobile je le trouvais tellement plus intéressant que tous les autres garçons de mon âge ! Alors j'en ai parlé avec lui, j'avais quinze ans. Il m'a expliqué que ce que je ressentais c'était des sentiments amoureux. Ces trucs dans mon estomacs, son visage constamment dans mon esprit et ce sourire toujours présent sur mes lèvres quand je pensais à lui;
« Ma pauvre petite oiselle, je crois bien que t'es tombée amoureuse de moi. » Et quand il m'a dit ça j'ai cru mourir de honte. Mais il m'a serré contre lui et voilà, la suite vous la connaissez.
Parfois, on a l'impression de voir notre vie défiler devant nos yeux en accéléré, comme à la télé ou dans un film. Tous les événements se passent si vites qu'on arrive plus à suivre et on devient un spectateur de notre propre vie; on est à la traîne, on pige plus rien.
C'est exactement ce qui est en train de m'arriver. Et je suis complètement larguée, toute seule comme une pierre au milieu de l'océan malgré toutes les personnes qui sont autour de moi.
À la base de tout ça, j'étais juste censée passer une semaine agréable en Floride avec Dane. On serait allés se baigner, je l'aurais regardé travailler et je me serais baladée. Mais pendant tout le trajet, il s'est comporté étrangement. Il agissait avec une certaine retenue. Je me suis dit que c'était juste parce qu'il était un peu fatigué ou alors stressé de me montrer son petit nid douillet personnel. Alors j'ai fais de mon mieux pour contenir mon excitation et lui montrer qu'il n'avait rien à craindre. Mais quand nous sommes arrivés, qu'il m'a montré sa ville, son appartement et son salon de tatouage, il était toujours aussi étrange. Presque distant. Ça ne m'a pas mit la puce à l'oreille.
Le vendredi soir, le jour d'avant mon départ, ayant marre de cette atmosphère, je lui ai demandé ce qu'il se passait. Il m'a alors installée sur son canapé et s'est placé face à moi. Un sourire mélancolique, allant de paire avec ses yeux, avait prit place sur ses lèvres et dès lors, j'ai eu peur d'avoir comprit. Mais je m'entêtais, je me disais que ce n'était rien de grave.
– Colombe, mon petit oiseau... J'ai besoin de te dire tout ce que j'ai sur le cœur sinon je risque d'imploser et ce sera tellement fort que ça va nous blesser, toi et moi. Et c'est ce que je ne veux pas. Je te le jure. il s'est raclé la gorge et a prit mes mains entre les siennes.
– Je pense qu'on devrait rompre... ses paroles ont eu l'effet d'une bombe dans mon estomac. J'ai eu de la peine à respirer et je me suis soudainement sentie effrayée. Mais j'ai fais mine de rien, je ne voulais pas paraître faible. Pas maintenant. Pas avec lui.
– Je t'ai beaucoup aimée, autant que toi tu m'aimais je pense. Mais le problème c'est qu'on s'est attachés l'un à l'autre à un mauvais moment de nos vies: toi, tu avais juste besoin d'un père, d'une figure masculine à laquelle te raccrocher et moi... J'avais juste besoin de me sentir encore plus jeune et ta compagnie me le permettait. On s'est trouvé chez l'autre un compagnon de fortune, une sorte de bouée à laquelle se raccrocher en plein naufrage. Mes parents venaient de me dire que je devais déménager et me trouver un job et ta mère plongeait en pleine dépression. Ça a juste été un mauvais concours de circonstances et je pense que désormais, je dois te laisser voler de tes propres ailes ma jolie Colombe. Parce que si tu restes avec moi, tu n'apprendras jamais rien des expériences de la vie... comment peut-il se séparer de moi comme ça, comme si on enlève de la poussière du dessous d'un lit.
– Mais... ses paroles étaient si douces et, tout au fond de moi, je savais qu'il avait raison mais la réalité m'a fait trop mal alors je me suis mise à hurler. Je criais qu'il n'avait pas le droit, qu'il ne pouvait pas se débarrasser de moi en prétextant que c'était pour mon bien et d'autres idioties du même genre. J'étais complètement révoltée et je pense m'être excitée de la sorte pendant une bonne demie heure avant de m'effondrer, morte de fatigue et pleine de larmes, sur son vieux canapé rouge tout déchiqueté par les mites.
Quand je me suis réveillée, il était toujours là, face à moi. Ses yeux étaient rouges et gonflés; signe que lui aussi avait pleuré. Alors j'ai décidé d'agir en adulte, peut-être pour lui prouver qu'il avait tort, peut-être pour me prouver que j'étais assez mature pour ne plus avoir besoin de lui, je n'en sais rien. Tout ce dont je suis sûre c'est que les heures qui ont suivi ont été tendues. Aucun de nous deux ne savait comment réagir: c'était ma première rupture, finalement. Et lui, on aurait dit qu'il avait tout simplement peur de me briser ou quelque chose du genre. On avait décidé de faire ce truc que les autres personnes font, on voulait rester en bons termes et même peut être redevenir amis —si, du moins, nous l'avions été un jour. Mon bus était toujours prévu pour le lendemain en fin de journée mais mes affaires étaient déjà empactées et j'étais prête à fuir cet endroit maudit le plus vite possible.
Mais comme ma vie n'était pas déjà assez désastreuse apparemment, encore plus tard ce soir-là j'ai reçu un message de maman. C'était un texto vraiment étrange me disant de l'appeler dès que je pouvais, que c'était très important. Je me suis donc munie de mon portable et ai composé son numéro. La voix qui m'a répondu à l'autre bout du fil était brisée et remplie de sanglots. J'ai donc tout de suite pressenti que ce vendredi noir n'était pas terminé.
– Colombe ? Tu m'entends ? Ma chérie ? sa voix, obstruée par les larmes, me parvenait mal.
– Maman ? Qu'est-ce qu'il y a ? mon ton était suppliant mais pourtant elle ne m'a pas répondu tout de suite. J'ai entendu des chuchotements puis encore des pleurs puis à nouveau elle.
– Ma puce, c'est ta sœur. C'est Esther. Elle est en danger, au Canada, à Vancouver. Je suis en route avec Rosalie ! Je te rappelle pour te donner plus de nouvelles ! puis, sur ces mots confus, elle a raccroché.
Et le temps, qui filait déjà si vite avant ça, s'est encore emballé. Je venais à peine de poser mon téléphone sur la table basse que je me retrouvais à expliquer la situation à Blast puis nous voilà en route pour le Canada, depuis la Floride dans sa petite voiture verte datant de l'antiquité. Elle crapotait, toussait, faisait des caprices mais tenait coûte que coûte la route. Elle s'est un peu énervée quand les routes se sont recouvertes de glace et de neige mais elle n'a pas cessé d'avancer.
J'avais rappelé maman pour qu'elle me donne l'adresse, elle n'a pas comprit sur le coup pourquoi je la lui demandais mais quand elle nous a vu arriver, Blast et moi, face à cette scène complètement folle, je crois qu'elle s'est sentie un peu plus rassurée. Elle m'a prise dans ses bras et m'a serrée si fort que j'ai cru que j'allais étouffer. Et durant cet instant j'ai complètement oublié que je ne sortais plus avec Blast ni que ma sœur, Esther, était enfermée dans une maison avec un homme complètement fou qui, jadis, se trouvait être mon père.
Et le temps filait toujours vite, tellement vite.
Ce qu'il faut savoir sur l'homme qui nous a engendrées, Esther et moi, c'est qu'il a des antécédents psychiatriques lourds. Il a vécu longtemps dans un hôpital spécialisé et c'est là qu'il a rencontré notre mère. Quand il est allé mieux, il a eu la permission de sortir et les deux n'ont pas perdu contact. Ils s'aimaient énormément mais il avait toujours quelques problèmes. Quand elle est tombée enceinte, ça s'est presque transformé en démence. Il la terrifiait mais elle ne voulait pas le perdre alors elle acceptait tout ce qu'il lui ordonnait. C'est ainsi que nous sommes nées, dans un climat sombre et tendu. Puis il a jeté son dévolu sur Esther et bla-bla-bla, voilà où nous somme aujourd'hui: elle dans un lit d'hôpital et moi dans un coin de la pièce. Tout ce qu'il s'est passé hier est tellement démentiel que je ne saurais tout raconter en détails. J'étais dans une sorte d'état second, tantôt terrifiée, tantôt énervée. D'ailleurs, le temps ne s'est toujours pas ralenti. Tout vas encore si vite que j'ai l'impression de flotter au dessus de tout ça. Nous étions devant le cottage puis dans l'ambulance et nous voilà tous réunis dans cet hôpital. On erre tels des fantômes, attendant les nouvelles et bilans des infirmières.
J'ignorais le fait que le Jasper d'Esther est le fils de Rosalie. Peut-être qu'elle et maman ont jugé inutile de m'en informer ? Je n'en sais rien mais en tout cas ça me froisse parce que c'est comme s'il avait toujours eu une longueur d'avance sur moi par rapport à ma sœur. Pourtant, lui il n'a aucun lien de sang avec elle ! Il n'a aucun droit ! Et oui, je suis affreusement, terriblement, horriblement jalouse de ce garçon avec ses cheveux blonds jamais coiffés —à croire qu'il ne connaît pas les brosses à cheveux— et ses petits yeux bruns toujours en train de tout scruter. Il m'agace.
En parlant d'Esther, cela fait plus de vingt-quatre heure qu'elle a perdu connaissance désormais. Les médecins lui ont prodigué tous les soins nécessaires; un plâtre pour sa jambe cassé, des tonnes de médicaments étranges et surtout des sutures et millions de bandages, compresses et compagnie pour ses autres blessures. Je n'ai jamais vu un corps recouvert d'autant de bleus et de cicatrices. Je vous jure, même dans les films on ne voit pas ça. Encore, rien n'était vraiment visible sur son visage et ses bras restaient encore à peu près normaux mais le reste de sa personne... Les médecins ont même sortit des bouts de verre qui dormaient sous des cicatrices. Ils étaient même époustouflés.
Jasper, qui a tout de même été touché par deux balles rappelons-le, n'a même pas voulu d'un lit. Il a mordu une infirmière et il a supplié tout de le monde de pouvoir rester avec Esther. Il a quand même dû accepter les béquilles et les soins qui devaient lui être faits mais depuis, il est collé à elle comme de la mousse sur un rocher.
– Papa... la voix cassée d'Esther me parvient depuis le couloir. C'est ici que j'attends des nouvelles depuis trois jours vu que la chambre est investi par Jasper.
– Esther ! ce dernier qui revient des toilettes se rue sur elle le plus vite possible malgré ses béquilles. Il s'assied délicatement sur le lit et la prend dans ses bras avant de l'embrasser sur le front. Je pourrais entrer tout de suite mais je ne veux pas gâcher leurs retrouvailles alors j'observe depuis le chambranle.
– Tu vas bien, toi ? la plupart des mots qu'Esther prononce semblent lui écorcher la gorge.
– Tant que tu es réveillée, j'irai toujours bien ! il lui sourit une nouvelle fois, rouge comme une tomate. Il veut ajouter quelque chose mais une infirmière entre dans la chambre et je me glisse dans son sillon, accompagnée de maman. Elle s'approche d'elle et vérifie que tout va bien. Son rythme cardiaque a l'air stable et aucun maux mental ne semble l'atteindre.
– Comment ? Et où est mon père ? chuchote Esther. Maman perd alors complètement pieds et se jette sur le lit, en larmes. Elle balbutie des excuses minables. Et même si je l'aime énormément et que je la comprends, elle m'énerve. On ne peut pas se laisser aller comme ça, ce n'est pas possible. Pas maintenant.
– Je suis... Je suis tellement désolée ! elle parle entre deux sanglots avant de renifler encore et encore. Moi, pendant ce temps, je regarde ma soeur. De près, elle me ressemble plus que ce que je ne croyais.
– Où est mon père ? s'exclame-t-elle soudainement. Elle me fait sursauter et les pleurs de maman cessent. L'infirmière semble gênée, elle ne doit pas savoir quoi faire; rester ou partir ? Alors elle attend, plantée là.
– Il est mort ? Les policiers l'ont tué ? Pourquoi ? sa voix se craquèle comme une feuille d'arbre trop sèche.
– Il... Il était trop tard quand l'ambulance est arrivée et... maman ment. Je le sais bien, elle le fait pour qu'Esther soit heureuse, pour la soulager. Et pourtant, des larmes commencent à rouler le long de ses joues. C'en est trop pour moi. Je ne peux plus juste rester là les bras ballants face à cette situation ou tout risque de m'échapper pour de bon.
– Comment tu peux être triste pour lui ? Comment tu peux le pleurer ? Il ne mérite pas ça ! Surtout pas de ta part ! Comment ? Comment tu fais pour ne pas le haïr ? pour des premières paroles à ma soeur, elles sont un peu crues je l'admets.
Mais je n'en peux tout simplement plus ! Cela fait dix-sept années que j'attends ce moment et elle, elle ne pense qu'à ce père qui la frappait chaque soir par pure envie !
– Qui es-tu ? son murmure impose le silence dans la chambre. Même maman a cessé de pleurer pour de bon. L'infirmière est partie en fermant la porte. Il ne reste plus que nous quatre dans cette pièce glauque.
– Colombe. Ta sœur. Jumelle. elle me regarde et je sens le choc traverser son visage. Je sais qu'elle se demande si je mens ou pas mais je devine aussi parfaitement qu'elle sait que je dis la vérité.
– Et vous ? elle détache ses yeux de moi pour les poser sur maman. Et à cet instant je la déteste, Esther, pour parler d'une manière aussi sèche à notre pauvre mère. Cette si belle poupée brisée.
– Je suis ta maman... elle semble hésiter, ses mots sont timides mais ses yeux sont remplis d'espoir. Je la reconnais bien là, la femme qui n'a jamais oublié son autre fille. Je la connais si bien que je vois en elle le désir, non, le besoin de prendre Esther dans ses bras.
– Mais... Vous êtes morte ! Jasper s'écrie et se redresse un peu; dans sa position, il est entre maman et Esther, prêt à la protéger de n'importe quoi; de n'importe quelle menace extérieure. Ce qui est ridicule vu que, de tous, c'est bien lui qui est en trop.
– C'est une bien longue histoire. Une bien trop longue histoire... maman ramasses les dernières larmes au bord de ses yeux avec son chemisier et soupire.
– Ça tombe bien, on a tout notre temps ! répond Jasper du tac au tac sur un ton plus que sarcastique.
Il se réinstalle confortablement sur le lit. Je soupire à mon tour. Ne comprend-il pas que nous, on a besoin de temps pour avaler ça ? Je fais deux pas en direction de la sortie puis attrape une chaise, la poste face à eux et m'y assied. Je me racle la gorge et commence à parler.
– Maman n'est pas prête alors c'est moi qui m'y colle. Quand nous sommes nées, tu es sortie la première. Notre... père... avait déjà jeté son dévolu sur toi. Tu étais destinée à être sa favorite. Maman a eu plusieurs complications avec moi et il a eu peur que ça ne lui soit fatal. Déjà là, il y a eu des tentions. J'étais malade, maman risquait d'y passer alors il a demandé aux médecins de tout faire pour sauver maman et leur a dit que ce n'était pas grave si je mourais. Maman s'est formellement opposée à cette idée et s'est battue. Nous sommes toutes les deux sorties vivantes de cette épreuve. Et durant les deux premières années, tout se passait plutôt bien malgré le favoritisme. Oh ce qu'Esther est belle, oh ce qu'Esther est intelligente... Le pire c'était ta ressemblance plus que flagrante avec maman. Et plus les jours passaient, plus ça s'affirmait. Bien qu'à deux ans on ne peut pas forcément savoir ces choses, avec toi c'était sûr: tu avais tout de maman. Et puis elle a pété un câble. Elle ne supportait plus que je sois dénigrée par lui et a décidé de partir en nous emportant toutes les deux. Et il l'a surprise. Mais, au lieu de la retenir, il a juste voulu te garder. Toi, son joyaux. Maman a continué à prendre de tes nouvelles par Rosalie Wittmore aka Walters et c'est comme ça qu'on a su que tu te faisais battre. Rosalie n'était pas bête. Elle faisait semblant de ne rien voir mais ton père était vraiment idiot de penser qu'elle ne se doutait de rien. Elle a appelé la protection de l'enfance et ils sont venus tout vérifier et ils ont considéré que c'était clean. Eux, par contre, étaient aveugles. Bref, ton père a bien dû trouver un prétexte pour te frapper tranquillement et déverser toute sa haine sur toi et quoi de mieux que la mort de maman ? Lui qui la détestait, il devait s'en délecter ! quand je termine de parler, Esther semble pensive. Elle déglutit et garde le silence, sûrement trop choquée par les nouvelles. Les larmes coulent à nouveau silencieusement sur ses joues. Jasper se penche alors vers elle, essuie ses larmes puis se tourne vers moi et me regarde presque méchamment.
– Esther est fatiguée. Elle doit se reposer. Repassez demain, okay ? son ton me déplaît mais j'acquiesce, attrape maman et quitte la pièce. Et alors, toute la frustration, la rage et la tristesse qui sont en moi éclatent. Je me met à hurler au milieu du couloir et tape dans le mur. Je déteste ce garçon qui me vole ma sœur, je déteste cet homme qui m'a volé ma vie, je déteste Dane qui m'a abandonnée maintenant. Je hais aussi ma mère qui est trop faible pour agir de façon maternelle, je hais Anna qui se croit supérieure à moi, je les hais tous quels qui soient !
Et le temps se remet à filer tandis que le sang coule le long de mes poings en concerto avec les larmes qui dévalent mes joues. Encore plus que quiconque, je me déteste moi, Colombe Tyrfedd Bowman; l'erreur vivante.
Un cessez-le-feu est un arrêt des hostilités sur un champ de bataille. C'est le moment où tous les soldats arrêtent de tirer sur les autres. C'est quelque chose de bien, ça apaise tout le monde. Ça donne la paix.
D'ailleurs c'est quelque chose que je ne connais plus, la paix. Avant, il me suffisait d'appeler Dane, de me balader en métro ou simplement d'écouter le murmure paisible de la vie, perchée sur le balcon. Maintenant, je crains que plus rien de tout ça ne soit possible. Plus jamais. L'équilibre des planètes de mon univers a été chamboulé et je ne peux pas les réarrangées à ma guise. C'est comme ça.
Actuellement, je suis couchée, la tête vers le bas, sur le lit d'Esther. Pas son lit d'hôpital, non. Son vrai lit, dans sa vraie maison. Ce si beau lit en métal avec des courbes douces, un duvet à plume et des draps neufs. On est là avec maman pour faire le point avec la police et les avocats mais ça ne m'intéresse pas. Enfin, je sais que je devrais être en bas avec eux pour aider maman vu qu'elle n'a jamais rien compris à tout ça mais... pour le moment j'ai juste envie de faire comme si j'étais Esther. Juste une fois dans ma vie, je veux être elle.
Alors je me lève et visite sa chambre qui est entièrement blanche. J'examine les moulures dû plafonds, les rideaux brodés et les tonnes de livres qui siègent partout dans la pièce. Je me demande si elle y passait beaucoup de temps ? J'attrape un livre au hasard: Moby Dick. Ah ce vieux capitaine Achab et son combat contre lui-même... Je l'ai lu, une fois, y'a longtemps. Je ne m'en rappelle plus très bien mais j'avais bien aimé. C'est un classique littéraire après tout ! Je continue mon chemin dans la grande pièce; tout est si beau et je pense qu'avec tous les objets de valeur qui s'y trouvent on pourrait payer trois loyers d'avance !
Dans le couloir, il y a des portraits de maman quand elle avait mon âge. On jurerait voir Esther avec ses longs cheveux bruns et sa peau de satin, sauf qu'aucune des deux n'a d'étincelle dans le regard comme la photo et que toutes les deux sont brisées. Telle mère, telle fille comme on dit ! Sauf que ça ne marche que pour elles. Parce que moi, j'ai des cheveux blonds, des yeux noirs et une peau plus bronzée. Parce que moi je cache mes fêlures et je ravale mes larmes. Parce que je suis forte et qu'elles sont faibles. Alors tout ce que j'espère c'est que je ne vais pas finir comme l'homme qui m'a engendrée sinon... Sinon je pense que je préférerais mourir plutôt que d'infliger les mêmes choses que lui à mon entourage.
En parlant de gens que j'aime... Dane me manque énormément, c'est effarant. Mais je n'ai pas le temps —pas le droit— de penser à lui parce que je dois réfléchir à tout ce qu'il va se passer quand Esther sortira de l'hôpital; va-t-elle venir chez nous ou alors viendrons-nous habiter ici ? Ira-t-elle toujours à l'école ? Et moi, est-ce que j'y retournerai ? Comment maman va supporter tout ça ? Je pense que je vais devoir, comme à chaque fois, m'occuper de tout. Parce que moi, je n'ai pas le droit d'être fatiguée, triste ou énervée. Ce qui est arrivé à l'hôpital c'était une bafouille. Ça n'arrivera plus jamais ! Parce que si maman me voir encore dans cet état, elle va s'inquiéter encore plus et essayer de me sauver de je-ne-sais quel mal qui m'habiterais. Mais la personne qui puisse me sauver c'est moi. C'est aussi simple que ça.
J'ai rejoins maman et les autres au salon parce que je l'entendais s'énerver et cafouiller face à ses interlocuteurs. Rosalie les a rejoint après que je sois montée apparement; elle est à côté de maman. Face à elles se trouvent trois hommes bien vêtus que je ne connais pas et une femme un peu rondouillette avec des cheveux rouges. Je me glisse derrière tout ce petit monde et observe la scène depuis mon coin. Ils parlent d'argent, de propriétés, de garde, de droits. Je ne comprends pas tout, juste qu'ils veulent faire un procès, voir où tout cela les mène. Maman refuse; elle ne veut pas perdre de l'argent qu'elle n'a même pas. Mais les hommes lui expliquent, très bornés, qu'elle ne peut rien toucher vu que le propriétaire n'est pas mort. Elle rétorque que oui, il n'est pas mort, mais qu'il est dans un centre psychiatrique de haute sécurité et que s'il en sort un jour ce serait un miracle. Rosalie leur montre des photos du corps d'Esther, des preuves et parle de troubles mentaux. La petite femme aux cheveux rouges secoue frénétiquement la tête, elle note tout. Absolument tout. Puis, relevant le nez de son carnet pendant que personne ne parle, elle fait remarquer qu'elle tient à préciser que, vu qu'Esther est bientôt majeure, et que son père est actuellement dans un état où il ne peut plus faire acte de présence dans sa demeure et sur ses possessions, il en revient à sa —ou ses, précise-t-elle en me jetant un regard fuyant— fille de s'en occuper. Rosalie acquiesce, maman aussi. Les hommes cogitent, ils chuchotent, fixent le vide puis reconnaissent qu'elle a raison. Ils se lèvent, informent maman qu'il la préviendront quand tous les papiers administratifs seront O.K. et qu'en attendant elle n'a qu'à demander à sa fille —pas moi, l'autre, expliquent-ils— ce qui lui convient le mieux. « On a pas idée de demander à une enfant son avis ! » s'exclame la petite dame en rigolant avant de partir à leur suite.
– Qu'est-ce que c'était barbant ! s'exclame maman en se laissant retomber sur le canapé moelleux. Rosalie l'imite puis soupire à son tour.
– Heureusement que Marie était là, sinon on s'en seraient jamais sorties !
– C'est sûr. Tu as bien fait de l'appeler ! elles rigolent.
– Qui est Marie ? Enfin, qu'est-ce qu'elle fait dans la vie ? je pose la question tout en continuant de me promener dans la pièce. Les canapés sont si moelleux que maman risquerait de se faire avaler et le carrelage est si brillant que je peux me voir dedans.
– C'est mon avocate, ma puce. Tu l'as déjà rencontrée il me semble... maman réfléchit à quand j'aurais pu voir cette drôle de petite dame qui ne ressemble en aucun cas à une avocate.
– Ah bon, ça ne me dit rien... je fais semblant d'y penser tout en touchant les rideaux.
J'effectue une petite glissade sur le sol et me laisse entraîner jusqu'à la cuisine. Là aussi, tout est beau brillant. Et chaque pièce que je découvre semble l'être plus que la précédente. Et alors, je deviens terriblement jalouse.
« Je suis affreusement jalouse de ma sœur jumelle. »
Quelle phrase terrible ! Je ne sais même pas comment j'ose penser ça mais... C'est juste que... J'en sais rien. En fait je suis fatiguée de chercher des justifications à mes propres pensées. Elles ne concernent que moi, non ? Alors, dans mes pensées, j'ai absolument le droit de dire qu'Esther m'énerve et que j'aime toujours Dane. Que je ne peux pas voir Jasper en peinture et que, parfois, j'aimerais bien avoir une autre mère. Parce que les pensées sont faites pour rester secrètes, c'est le principe. Heureusement d'ailleurs, sinon je pense que je serais toujours seule.
– Hey, le piaf ! Tu dors ? quelqu'un claque des doigts sous mon nez, c'est Squall.
– Je pensais ! Je suis pas sûre que tu saches le faire... il grogne et me tape gentiment dans l'épaule. Dès que j'ai pu, je me suis enfuie de cette si belle maison beaucoup trop oppressante et j'ai donné rendez-vous à Squall dans un parc. Même pas dix minutes après, il était là.
– Bon, qu'est-ce que tu voulais me dire, petite plume ?
– Petite plume ? je fronce les sourcils.
– Tu trouves pas ça trop mignon comme surnom ? je lève les yeux en l'air et rigole. Le ciel se couvre.
– Bref, j'ai une chose à te dire. J'aimerais que tu t'assied confortablement, s'il te plaît. étrangement, il agit sans broncher en s'installant sur la bascule. Sauf qu'il est tellement grand que ses genoux arrivent presque au niveau de sa tête et qu'il est tout arcbouté. Je retiens mes gloussements devant le ridicule de la scène puis prend une grande inspiration.
– J'ai une sœur jumelle. on se fixe pendant quelques secondes. Au départ, je voulais lui dire pour Blast, à quel point son frère m'avait blessée et que je me sentais seule mais... Chaque chose en son temps.
– Quoi ? il me fixe avec les yeux écarquillés avant d'éclater de rire d'un seul coup. Il est vraiment, absolument, carrément mort de rire. Il se tient les côtes et essuie les larmes au bord de ses yeux.
– Qu'est-ce que j'ai pu dire de si drôle ?
– C'est pas c'que t'as dis qui était drôle ! C'est juste que... Ça m'a surpris !
– Comment ça ? Tu t'attendais à quoi ?
– Bah à ce que tu me dises pour toi et Dane ! c'est à moi de le dévisager avec des gros yeux; il savait ? Mais, comment ? Et depuis combien de temps ?
– Vous êtes les personnes les moins discrètes de l'univers ! Je vous connais par cœur vous deux ! s'esclaffe-t-il en voyant que je ne réagis toujours pas; je suis complètement sous le choc.
– Mais... Depuis quand ? l'air devient lourd, doucement, les nuages se noircissent.
– Le début ! il dit ça comme si ça n'était rien...
– Pourquoi tu n'as rien dit ?
– Je pensais que ça vous passerais... il a l'air embêté désormais. Rho et puis, je m'en fiche.
– Je ne suis pas venue ici pour parler de ton frère mais de ma sœur. Ma sœur jumelle ! je lève les bras en l'air, signe de mon exaspération et il fait de même.
– Squall, pourquoi tu lèves les bras ?
– Et toi, pourquoi tu lèves les tiens ? je secoue la tête négativement; j'étais dans le feu de l'action. Et comme on est là, deux idiots avec les bras en l'air, je claque mes paumes dans les siennes. Il fait de même et, d'une façon inattendue et magique, le tonnerre éclate et la pluie se déverse sur nous. Avec nos bras toujours en l'air et des sourires sur nos visages.
Finalement, Chop m'a écoutée. Je lui ai parlé d'Esther et mon père. De Rosalie, Jasper et de tout ce qui est arrivé durant ces derniers jours. De tout sauf de Dane. Je ne lui ai pas dit qu'il m'avait quittée, je pense que c'est mieux comme ça. En plus, je ne l'ai plus vu depuis qu'il m'a emmenée au Canada. Plus de nouvelles, absolument rien.
Silence radio.
Et j'ai eu l'impression de me retrouver à l'époque où on avait dix ans avec Squall et qu'on se racontait absolument tout, lui et moi. Qu'il me parlait des filles qui voulaient sortir avec lui et que je lui expliquait comment j'avais décortiqué quelque insecte mort.
– Donc tu as une soeur et tu ne me l'as jamais dis ? il a semblé être franchement peiné et je me suis rendue compte que j'aurais dû le lui dire il y a longtemps.
– Oui... Je suis désolée ! j'ai baissé les yeux et Squall m'a serrée contre lui avant de chuchoter dans mon oreille.
– Moi aussi, j'ai un gros secret... puis il s'est détaché de moi avec un clin d'œil et est partit sous la pluie.
À présent, je suis assise sur le balcon et je regarde la rue en dessous. Il y a des vieilles dames qui discutent pendant que leurs caniches se reniflent l'arrière-train. Des grands-pères qui fument la pipe assis sur un banc. Les commerçants ont débarrassé les terrasses et ferment leurs boutiques tandis que des ados rigolent fort, protégés sous leurs parapluies aux couleurs vives. Moi, je m'en fiche de la pluie. Je ne l'aime pas mais ça ne me dérange pas d'être trempée par elle.
– Colombe ? Je peux entrer ?
– Hm ? Oui, viens ! Esther passe timidement la tête dans l'embrasure de la porte et se glisse lentement dans ma chambre à l'aide de ses béquilles. Je secoue mes cheveux pour les sécher puis ferme la porte fenêtre et me tourne à nouveau vers elle. Depuis sa sortie de l'hôpital, avant-hier, elle dort chez nous. Maman a décidé que c'était plus convenable que nous restions ici, ensemble, jusqu'à ce que la justice aie décidé de ce qu'il advenait de la bâtisse des beaux quartiers et de tout son mobilier cher et brillant.
– Tu vas bien ? sa voix est douce mais pas comme la mienne, elle n'est pas invisible. Quand elle parle, on sait ce qu'elle veut dire, on sait qui elle est.
– Moi ça va toujours mais toi ? elle baisse la tête vers sa jambe plâtrée et fixe ses bandages, elle caresse doucement les bleus sur sa joue puis secoue la tête.
– Je vais bien. En fait, je n'ai jamais été aussi bien depuis longtemps. elle me sourit mais je sens que quelque chose cloche.
– Tu n'es pas sincère, qu'est-ce qu'il se passe ?
– C'est juste que... J'ai l'impression de ne pas être à ma place ici. Enfin, je suis heureuse ! Ne crois pas le contraire. J'ai toujours rêvé d'avoir une mère et un chien et une sœur ! C'est juste que... Ma chambre me manque. Et mon jardin aussi. Et puis... elle ne finit pas sa phrase mais elle n'en a pas besoin. Son père lui manque. Et franchement, je ne la comprends pas.
– Explique moi juste, comment est-ce qu'il peut te manquer ? C'était un monstre ! je sais que je ne devrais pas la confronter comme ça mais ne pas savoir va me rendre folle et je ne pourrai pas dormir.
– Oh... Tu sais, je ne crois pas que papa eut été un homme fondamentalement méchant. Il avait juste peur, peut-être. Ou alors il avait besoin de quitter tout ce qui l'opprimait ? Je n'en sais rien, je n'étais pas dans sa tête ! Mais ce que je sais, c'est qu'il m'aimait. J'en suis profondément convaincue. Il m'aimait comme ma-maman t'aime. Je le sens, là. elle pointe son cœur et je ne peux m'empêcher de souffler.
– Tu souffres du syndrome de Stockholm, ma pauvre. Il ne t'aimait pas. Il avait juste besoin d'un punching-ball ! mon ton est sec et je vois qu'elle est blessée. Ce n'est pas ce que je voulais mais... elle doit comprendre !
– Et toi, tu penses tout savoir mais tu n'es qu'une pauvre adolescente ! Tu vis dans un appartement qui fait la taille de ma salle de bain et tu ne vas même plus à l'école ! Qu'est-ce que tu penses faire plus tard ? Tu sais, les filles comme toi, elles finissent dans la rue ! furieuse, Esther sort en claquant la porte. Je l'entends clopiner jusqu'à l'entrée et sortir de l'appartement.
– Donc c'est ça, avoir une sœur jumelle ? je soupire et me laisse tomber sur mon matelas. Tout craint.
J'ai voulu appeler Dane.
Lundi d'abord, deux jours après qu'Esther soit partie de chez nous; elle est allée vivre avec Rosalie et Jasper.
Et puis mardi ensuite, mais mes mains étaient trop moites et ma voix trop chevrotante alors j'ai repoussé à mercredi.
Mais le mercredi, j'ai fondu en larmes dès que j'ai composé les trois premiers chiffres alors j'ai abandonné, encore.
Et nous voilà: nous sommes jeudi. Depuis le pire week-end de toute ma vie il s'est écoulé trois semaines. Ça fait une semaine que ma sœur ne veut plus me voir. Et donc, pour en revenir à nos moutons, je suis dans ma chambre avec mon téléphone entre les mains. Je le tourne et le retourne sans savoir que faire. J'ai envie de l'appeler, pour entendre sa voix, pour m'excuser d'avoir pété un câble et pour lui dire que je le comprend mais... Je n'ai pas envie que tout soit terminé. Je n'ai pas envie de mettre le point final au téléphone. J'ai besoin de le voir, de le prendre une dernière fois dans mes bras et de respirer un grand coup. Parce que... là, j'ai juste l'impression d'être rentrée chez moi après notre voyage et c'est tout. Esther n'est pas là, Dane non plus et ma vie continue son cours. Je prend le métro, promène Selkie, aide Squall à la boutique et rebelote.
Mais j'en ai marre. Ça ne peut juste pas se passer comme ça; toute ma vie ne peut pas être chamboulée pour ensuite redevenir exactement pareille ! Alors n'attrape le téléphone vivement et compose son téléphone, les yeux fermés. Un flot de rage monte en moi: je vais lui apprendre moi, à jouer avec le cœur des gens comme ça ! Je colle le combiné contre mon oreille et attends. Les tonalités se succèdent puis j'entends le bruit qui signifie que quelqu'un a décroché.
– Dane ? C'est Colombe ! mon ton est sûr et affirmé. Je vais lui dire tout ce que je veux qu'il entende et tant pis si je ne peux pas voir son si beau visage une dernière fois. Je m'en fiche.
– Euh, bonjour ? mais la voix qui ne me répond n'est pas celle de Dane. C'est la voix d'une fille et rien qu'à sa voix je peux deviner qu'elle est très très très belle.
– Est-ce que je pourrais parler à Dane, s'il vous plaît ? soudainement, toute la confiance que j'avais acquise part en fumée. Ma main tremblote et je sens les larmes qui ne rêvent que d'une seule chose: quitter mes yeux. Je ferme mes paupières et tente de régler au mieux ma respiration pour que la super jolie fille majeure à l'autre bout du fil de ne m'entende pas.
– Hum, Dane est... Occupé pour le moment. Mais je lui dirai que tu as appelé, comment tu t'appelles déjà ?
– Co-Colombe... jamais je n'ai eu aussi honte de mon prénom. Parce que là, ma voix est toute cassée et quand je le prononce, il m'écorche la gorge.
Je me rappelle quand Blast m'appelait par mon prénom, ça ressemblait à du coton tellement c'était doux. Les mots jaillissaient de sa bouche comme des plumes. Et moi, je suis là, adolescente pathétique pendue à un téléphone au bout duquel une fille inconnue m'a répondue. Je suis ridicule.
– Cocolombe ? Okay, ça joue ! Bye, Cocolombe ! elle a l'audace de se moquer de moi... Si seulement Dane avait répondu...
D'ailleurs, pourquoi ne l'a-t-il pas fait ? Cette fille serait sa nouvelle petite amie ? Et il lui aurait demandé de me répondre pour me faire passer le message ? Non... Il n'est pas comme ça... Si ? Argh je ne sais plus. Mon cerveau tourne à cent à l'heure et si ça continue je vais surchauffer. Il faut que je sorte.
J'ai passé un pull en laine par dessus mon débardeur, ai enfilé une paire de chaussures et suis descendue dans la rue. Ensuite, j'ai fermé les yeux, respiré un bon coup puis je me suis mise à marcher d'un pas rapide et assuré. Et je suis arrivée à destination; une large bâtisse se tient devant moi. Je passe le portail, remonte l'allée, sors la clé que j'ai glissée au préalable dans ma poche et ouvre la porte.
– Bonjour ! j'hurle dans le hall d'entrée alors que la porte massive se referme derrière moi.
Je balance mes baskets dans un coin du vestibule, prend de l'élan, cours et me laisse glisser sur le marbre froid. J'ai toujours rêvé de faire ça mais chez nous il y a de la moquette presque partout et les seuls endroits qui en sont dénudés sont si étroits que c'est impossible de le faire sans se prendre trois meubles sur le chemin ! Alors je profite ! Je reprend mon élan et glisse encore plus loin et plus vite. Et alors que je me laisse déraper jusqu'à un meuble quelconque, les yeux fermés bien évidemment sinon ce ne serait pas drôle, j'entre en collision avec un vase qui se fracasse en percutant le sol. Techniquement, toute personne dans ma situation aurait vite ramassé les morceaux et tenté de le réparer mais moi, j'éclate de rire.
– Qu'est-ce que ce vase était moche ! je n'en peux plus, j'ai mal aux côtes tellement je rigole et des larmes s'échappent de mes yeux.
Voilà ce qu'il me fallait: saccager un peu la maison où ma sœur jumelle a toujours vécu. Ça m'aide à décompresser. Alors je cours jusque dans la cuisine, attrape des vers et les jette par terre le plus fort possible. Et puis je balance les assiettes contre les murs. Et je crie pour évacuer toute l'amertume qui pourrit en moi.
J'ai arrêté de tout casser dans la cuisine et je suis partie à l'étage mais à part des cadres photos vides, il n'y avait rien. Alors je me suis rendue dans la chambre d'Esther. Rien n'y a changé depuis la dernière fois. Tout est tellement blanc... Et là, une idée me vient en tête. Je cours à la salle de bain pour me démaquiller puis me rend devant la penderie d'Esther. Elle n'a presque que des vieilleries et des choses immondes mais, avec quelques petites magouilles, ses tenues pourraient presque devenir tendances ! Je m'empare d'un pull jaune moutarde en laine et d'une jupe droite et noire. J'extirpe ma paire de lunettes de lectures de la poche de mon jean et les mes sur mon nez. Je pouffe; on dirait presque elle. Si mes cheveux étaient plus longs, plus bruns et mes yeux moins sombres, je pourrais me faire passer pour elle. Ce serait drôle ! J'irais en cours à sa place, ferait des blagues à maman et à Jasper ! Sauf que ce n'est pas le cas, pas du tout. Alors j'enlève ses habits, les remets dans l'armoire et me rhabille.
En descendant les escaliers, j'ai une sensation étrange dans mon estomac. Et comme un vide dans mon cœur.
En remettant mes chaussures, ma bouche se tord vers le bas et mes yeux se ferment très forts, très serrés.
Et alors que je sors sur le perron, les larmes se mettent à couler. C'est un flot infini on dirait. Et ça me fout le cafard parce que, depuis trois semaines, je n'arrête pas de pleurer. Tout le temps, pour rien du tout. Moi qui voulait être forte pour tous les autres, c'est sacrément râpé. Je suis trop nulle !
Dix minutes plus tard, je pleure toujours. Mais je suis retournée à l'intérieur. Je préfère mourir plutôt que quelqu'un me voit pleurer. Ce serait trop honteux !
– Aller, il faut que je me bouge ! j'ai parlé à voix haute pour que la motivation m'atteigne mieux. La seule chose dont j'ai réellement envie en ce moment c'est de m'enrouler dans mon duvet et dormir. Sauf qu'il ne faut pas que je m'isole, il faut que je vois du monde sinon mon cas ne va qu'empirer. Alors je me lève, je respire longuement, remets mes chaussures, sort de la maison, referme la porte à clé et me rend chez le disquaire où travaille Narcisse.
Je tourne en rond quelques minutes jusqu'à trouver, enfin, l'entrée de la minuscule boutique. Cachée entre deux restaurants, la devanture ne paie pas de mine et pourtant, dès que j'entre, je me sens comme transportée dans un autre monde. Il y a une odeur de vieux mais pas le "vieux poussiéreux" d'un grenier ou d'une cave, le "vieux" qui embaume l'air des brocantes ou des marchés aux puces. Et j'adore cette odeur. Je remplis mes narines et observe ce qui m'entoure; la boutique est étroite mais très longue. Des deux côtés il y a des bacs remplis de vinyles en tout genre, de posters et de cd-roms. Quand j'ai passé le pas de la porte, une adorable petite clochette a retentit et ça a attiré l'attention de Narcisse qui m'a donc rejointe en deux grandes enjambées.
– Hey ! Colombe ! Ça fait si longtemps ! et même si presque aucune émotion n'apparaît sur son visage, je sais qu'il est aussi content que moi.
Il me fait visiter un peu la boutique puis m'apporte un soda et nous discutons, parfois interrompus par un client ou simplement une personne perdue.
– Alors attends, tu as une sœur ? ses si beaux yeux bleus se sont écarquillés.
– Oui, elle s'appelle Esther ! je lui ai parlé de ce qui s'est passé pendant les dernières semaines et de la raison pour laquelle on ne se croisait plus trop dans le métro. Alors je lui raconte notre interaction et le fait que je sois super faible.
– Non, tu es forte. La plupart des gens que je connais n'auraient pas tenus s'ils avaient été à ta place. Moi non plus d'ailleurs, j'aurais craqué il y a longtemps ! il tente un sourire maladroit et me serre contre sa poitrine. Et même si tout son corps est à l'image de son expression: froid, ça ne me dérange pas. J'écoute les battements réguliers de son cœur.
– Merci Narcisse, j'avais vraiment besoin d'un câlin... il me dit que c'est normal puis me propose de faire un petit tour des marchandises pendant qu'il va chercher quelque chose dans l'arrière-boutique. J'acquiesce donc.
Pendant que je fais l'inventaire d'un bac de vinyles, la clochette de la porte retentit et celle-ci s'ouvre sur deux garçons; le premier est plutôt grand, il a des cheveux sombres rasés courts et des yeux bleus. Ils ressemblent à la couleur d'un ciel d'été après l'orage et pourtant, ils sont très clairs. Il affiche un large sourire et une cigarette, éteinte, repose entre ses lèvres. Il porte un blouson de cuir alors qu'il fait très beau dehors; il doit mourir de chaud ! Le deuxième garçon est plus petit, il doit faire ma taille. Il a des cheveux blonds et yeux bleus comme l'autre mais en plus foncés; d'ailleurs les siens sont vissés sur son téléphone portable. Il ne les lèves pas une seule seconde.
– Eh bah Narss' t'es devenue super bonne pendant la nuit ! Un vrai canon ! s'exclame le fumeur en éclatant de rire.
– Je ne suis pas Nar–
– J'avais remarqué beauté, toi t'es dix fois plus jolie que cette cigogne ! il s'accoude au comptoir en m'adressant un clin d'œil et je continue de regarder les articles dans leur bac en les ignorant. Je ne sais pas qui il est mais son comportement a le mérite de m'irriter; il ne me parle que parce que je suis jolie ? Je ne suis pas un objet ! Je suis une femme !
– Craig, Jeff ! Ça gaz ? mon sauveur, Narcisse, revient enfin de l'arrière-boutique, les bras encombrés par un gros carton. Il semble bien connaître les deux clients d'ailleurs.
– Narss' la meuf qui range les vinyles tu l'a recrutée où ? J'savais même pas qu'une telle beauté pouvait exister ! je lui lance un regard mauvais auquel il répond encore par un clin d'œil.
– Craig, ne parle pas comme ça de mon amie ou je vais devoir te virer d'ici ! bien que ce soit dit sur le ton de la rigolade, le fait que Narcisse soit presque inexpressif rend sa remarque terrifiante.
– Oh oh calmos Narssos, tu sais que je rigole ! et effectivement il se marre à nouveau puis sort une pièce de sa poche.
– Bon, pile tu me choisis un disque, face c'est elle. il jette un regard vers moi puis lance sa pièce en l'air, la regarde virevolter avec un grand sourire et la réceptionne sur le dos de sa main droite.
– Vas-y Jeff, dis nous le verdict ! le petit blond lève les yeux de son portable durant une fraction de seconde avec de les rabaisser.
– Face.
– Bon alors, belle demoiselle je vous laisse l'honneur de décider quel sera mon achat du jour ! il imite maladroitement une courbette puis se relève et continue de me fixer. Ses yeux sont vissés dans les miens.
– Et si je refuse ? j'essaie tant bien que mal de ne pas dévier mon regard mais c'est difficile parce qu'il est intimidant et si grand. Il mesure sûrement plus qu'un mètre quatre-vingt-dix !
– Si tu refuses alors tu dois m'embrasser. il lâche ça avec tellement de désinvolture que j'en ai des frissons.
Je plisse le nez puis me détourne de lui et regarde vivement les vinyles qui se trouvent devant moi. Tout ce que j'ai à faire c'est de lui choisir un disque, c'est ça ? Alors je vais prendre le plus cher et le plus nul que je puisse trouver ! Il s'en mordra les doigts !
Pendant quinze minutes, je fouille et cherche la perle. Le vinyle idéal pour cet énergumène qui veut se faire passer pour un gros dur ! Vous allez voir, je m'en vais le fumer moi ce motard de pacotille !
– Elle est vraiment à fond. J'crois qu'elle m'aime bien. Elle se donne de la peine pour moi, c'est adorable ! je l'entends ricaner dans mon dos et redouble d'efforts.
Et enfin, je tombe sur le joyaux tant convoité: une compilation du meilleur du disco des années quatre-vingt ! Et en plus, il coûte 30 dollars ! Je jubile. M'emparant du trésor, je m'approche tout sourire des trois garçons et lui tends le saint graal. Craig le jauge, lance un regard vers Narcisse et son ami, Jeff je crois, et éclate de rire. Il n'en peut vraiment plus le pauvre.
– Toi, je t'adore ! T'es vraiment extra comme fille ! il s'approche de moi et me tape gentiment dans l'épaule.
– Merci p'tite tête. Je sais pas comment t'as fait pour le savoir mais... Je suis un fana de disco et... Encore une fois, je sais pas si c'est fait exprès, mais pour le prix c'était vraiment bien pensé. Sauf que j'paie pas moi ! il rigole encore tout en observant attentivement son nouveau vinyle.
– Comment ça tu paies pas ? je lance un regard affolé en direction de Narcisse que secoue la tête gravement.
– Je te présente Craig Padilla, sombre idiot et fils du patron ! il prononce ces mots en riant lui aussi et moi, je rage intérieurement d'avoir été aussi bête.
Donc, Craig Padilla, dix-neuf ans, est le fils du patron et un ami de Narcisse depuis la maternelle. Jeff Philips est leur ami aussi depuis ce temps-là mais il ne parle presque jamais apparement. Il est toujours penché sur son téléphone et tapote à toute vitesse. Les deux autres m'expliquent que c'est parce qu'il discute avec sa petite amie, Erika, qui habite de l'autre côté de la terre. Ils se sont rencontrés sur internet il y a quatre ans et depuis ils n'arrêtent pas de parler ensemble, à chaque instant de la journée. Ils se sont déjà vus en vrai plusieurs fois et s'aiment vraiment beaucoup. Je trouve ça mignon même si c'est un peu bizarre d'être constamment en contact. Enfin, même dans les vraies relations ça n'arrive pas ! Mais bon, je suis sûrement mal placée pour parler de vraies relations...
– Et donc vous vous êtes connus comment ? me demande Craig en pointant Narcisse qui s'occupe du rangement d'une étagère encombrée.
– Dans le métro.
– Ah, peu conventionnel ça ! il rigole, comme toujours.
– Ouais... ce garçon est marrant, je dois l'avouer.
Mais il a quelque chose d'énervant en lui. Avec son style, on dirait toujours qu'il vous prend de haut ! Et il possède même une répartie qui résiste à l'épreuve des balles. Mais le pire du pire c'est cet arrogant sourire qui resté collé à ses lèvres en permanence. Est-ce qu'il est né comme ça ? Peut-être qu'il sourit même quand il est énervé ? Est-ce qu'il a déjà pleuré ? Tant de questions qui tournent et retournent dans ma tête. Je vais devenir folle ! C'est terrible. Au lieu de rester plantée là je vais plutôt rentrer. Ce sera plus productif.
– J'y vais ! Tu seras là à mon anniversaire ? je m'adresse à Narcisse mais Craig croit que je lui parle toujours à lui.
– Oula, on ne se connaît pas assez tu sais ? Ça va un peu vite entre nous et...
– Oui, t'inquiète, je serai présent. il l'a coupé et je le remercie silencieusement puis acquiesce en souriant en quittant la boutique sans plus de cérémonie. Il faut encore que je fasse des courses et que je prépare le dîner avant que maman ne rentre du travail.
J'ai acheté des pommes de terre, du fromage et de la crème, dans l'optique de faire un bon gratin. J'ai aussi pris des brocolis et du saumon pour faire une tarte. Je sais que maman en raffole, ça va sûrement lui faire plaisir ! Je rentre donc dans l'appartement, me déchausse et pose mes sacs de commission sur la table de la cuisine. Tiens, la porte d'entrée était ouverte. Je n'ai pas eu besoin de mettre ma clé. J'hausse les épaules ; j'ai dû oublier de la fermer avant. Bref, je m'active devant les fourneaux. J'épluche les patates, les disposes dans le plat à gratin, râpe le fromage, renverse la crème, enfourne le tout et m'attaque à ma tarte. Mais alors que je vérifie la cuisson de mon gratin, un bruit étrange me parvient de ma chambre. N'ayant pas aperçu Selkie depuis que je suis rentrée, mon sens logique me fait dire que c'est elle. Je l'appelle donc en sifflant mais elle ne vient pas. C'est contraire à ses habitudes. Peut-être est-elle enfermée dans une pièce...
– La porte est fermée ? j'ai parlé à haute voix. Vu que la salle de bain et la chambre de maman sont ouvertes, je m'approche de la mienne pour aller libérer ma pauvre Selkie mais je me rend compte qu'elle est ouverte aussi et à l'intérieur il n'y a personne. Étrange, je jurerais pourtant avoir entendu quelqu'un... Je fais un pas dans la pièce et observe bien. C'est alors que je remarque une bosse inhabituelle sous mon duvet.
– Selkie ! Tu sais bien que tu n'as pas le droit de venir dans mon lit ! je fais deux pas et reste figée à la vue d'Esther, plate comme une planche, allongée là. Quand elle réalise qu'elle est à découvert, elle me jette un petit regard anxieux. Tiens, elle n'a plus son plâtre.
– Qu'est-ce que tu fiches ici ? Dans mon lit ? mon ton n'est pas accusateur ou énervé, juste plein d'incompréhension.
– Je... Je voulais te parler mais tu es rentrée et ça m'a prise au dépourvu et j'ai paniqué... elle se lève mais garde le regard fixé vers le sol. Je rigole.
– Je suis si terrifiante que ça ? Pourtant tu me dépasses d'au moins vingt bons centimètres ! Et tu fais du sport ! Si on venait à se battre tu me mettrais sûrement au tapis en moins de temps qu'il ne faut pour le dire ! elle lève les yeux et un sourire apparaît sur ses lèvres. Et je me rend compte à quel point elle m'a terriblement manquée. Alors je la prend dans mes bras et la serre fort parce que c'est ce que font les sœurs dans tous les films que j'ai vus.
– Qu'est-ce que tu fais ?
– Ça s'appelle un câlin. Tu ferais mieux de t'habituer parce que j'adore ça.
J'ai sortit mon gratin du four avant qu'il ne crame puis je me suis installée à la table de la cuisine avec Esther pour écouter ce dont elle voulait me parler. Elle a semblé chercher ses mots un petit moment avant de se mettre à parler.
– Je suis désolée tu sais ? Je ne voulais pas dire de choses méchantes comme ça mais sur le coup j'étais vraiment vraiment très exaspérée. Tu as l'air d'être une personne incroyable et en fait, j'ai juste eu peur. Je me suis dit qu'après avoir couru toute ma vie derrière le portrait d'une mère si parfaite, je devrais me mettre à courir derrière toi. Alors je t'ai repoussée. Et puis, je sais que tu n'aimes pas que je puisse penser que notre père n'était pas vraiment méchant au fond... Je suis désolée mais c'est difficile pour moi de penser autrement ! La psychologue qui m'a été assignée m'a informée que ça prendrait un certain temps pour que je m'adapte à cette nouvelle vie. Et j'espère que... J'espère que tu accepteras de m'aider ? elle souffle après avoir fini son monologue et me regarde par dessous, comme une enfant qui aurait avoué un lourd secret. Je ne savais pas qu'elle allait chez le psy... Mais quand on y pense, c'est logique. Elle a vécu pendant dix-sept ans avec un détraqué mental en n'ayant que quelques rares discussions extérieures.
– Bien sûr que j'accepte ! Avec plaisir même ! je lui souris et elle fait de même. Elle semble vraiment soulagée.
– Merci beaucoup Colombe. J'espère qu'on pourra devenir amies et puis... Finir comme des vraies sœurs. elle prononce ces derniers mots comme si ils lui brûlaient la langue. Comme si elle pensait qu'en les disant, son père débarquerait d'un coin sombre et la frapperait.
– Est-ce que je peux te poser une question ? elle acquiesce et je me lance.
– Quand... Quand il te frappait, est-ce que tu avais toujours mal ? elle semble déstabilisée mais se reprend rapidement.
– Au début, quand j'étais plus jeune, ça me terrorisait. J'avais vraiment très très peur. Et chaque coup me faisait mal pendant des jours, voire des semaines. Mais après en grandissant, je me suis endurcie et même si j'avais toujours mal, c'était bien plus supportable. Il y a juste quelques fois où il a dépassé les bornes mais sinon, ça allait. le fait qu'elle dise ça naturellement m'effraie. On dirait qu'elle parle d'un épisode de feuilleton ou d'une histoire lue dans le journal. Et alors une idée me vient à l'esprit.
– Esther ! Ce week-end c'est notre anniversaire ! J'ai invité quelques amis mais pourquoi ne pas le fêter avec toi ? Et Jasper ? Et toutes les personnes que tu veux ! Il y aura même de la bonne musique !
– Oh oui, c'est une bonne idée. Je n'aime pas tellement les fêtes d'habitude mais ce sera la premier fois que je fêterai vraiment mon anniversaire ! Et pourquoi ne pas organiser la fête chez moi ? Enfin, dans la maison où j'habitais avant ? Il y aura plus de place qu'ici ! je ne pensais pas qu'elle pouvait être si enthousiaste mais ça me réjouit ! Elle et moi, nous allons fêter nos dix-huit ans ensemble et je suis ravie.
Ce soir, on fait la bringue ! Maman est venue nous aider à décorer la maison d'Esther parce que oui, légalement elle lui appartient. Il y a des guirlandes, du punch et des ballons dans le salon. Des fûts de bière, une enceinte énorme et un bar dans le jardin. Jasper est là aussi, fidèle petit chien, il traîne à droite à gauche, grignote des chips et gonfle des ballons. Maman l'ignore mais il y a environ dix litres d'alcools de toutes sortes cachés à l'étage et pleins de petites choses qui font qu'une fête est une fête réussie avec.
J'ai invité toutes les personnes que je connais en leur disant qu'ils pouvaient venir accompagnés. Esther m'a confié qu'elle était un peu angoissée quand il y avait trop de gens autour d'elle mais je lui ai juré que si elle avait un seul soucis je renverrais tout le monde chez eux en un claquement de doigts. Et elle m'a crue parce que c'est ce que nous faisons désormais: on se confie nos inquiétudes et on se promet de les régler ensemble. Par contre, je ne lui ai rien dit à propos de Blast. Elle n'a pas besoin de savoir. Ni elle, ni personne d'ailleurs. Même Squall est persuadé que nous sommes encore ensemble. De toute façon, il me m'a jamais rappelée. Il doit être bien trop occupé avec sa nouvelle petite amie. Ça me rend triste un peu mais j'essaie d'y penser un minimum. Parce que c'est bien la seule chose que je peux faire pour nous deux: tout effacer.
– Bon les filles, passez une bonne soirée d'anniversaire ! Je vous aime très fort ! maman nous embrasse et nous fait un gros câlin, s'attardant un peu plus sur Esther, puis s'en va en trottinant, légère. J'aime la voir comme ça. Elle n'a plus d'inquiétudes à se faire pour sa deuxième fille ni pour l'argent ou le travail. Elle a pu prendre des vacances bien méritées grâce à tout ce que le procès lui a fait gagner. L'autre jour, elle m'a dit que nous étions presque milliardaires. Elle était toute excitée puis s'est reprise et à ajouté qu'elle ne toucherait cette argent « sale » qu'avec parcimonie. Et pour être sûre qu'elle tiendrait sa parole, elle m'a confiée la carte bancaire. Encore une fois j'ai été reléguée au rôle de mère mais ça ne me dérange pas plus que ça, je m'y suis faite !
Pour en revenir à la soirée, c'est une fête déguisée. Esther n'a jamais eu de vraie fête d'anniversaire ni de bal costumé alors avec Jasper on s'est dit que ça pourrait être sympa de faire deux en un ! J'ai donc trouvé un costume de Belle à Esther et Jasper est déguisé en Adam, de la Belle et la bête. Moi, je suis costumée en Peter Pan ! j'ai ramené mes cheveux blonds sous mon couvre-chef et je porte la célèbre tenue de l'enfant éternel. Jasper m'a même dit que je ressemblais vraiment à un garçon. Ça m'a rendue heureuse ! Et puis il faut dire qu'eux deux sont vraiment beaux dans leurs costumes tous brillants. Je suis presque jalouse ! Mais bon, arrêtons les jérémiades car la fête est sur le point de débuter !
Il y a beaucoup de musique, des gens partout et j'adore ça ! Les premiers à être arrivés ont été Squall, déguisé en capitaine crochet et Olive vêtue d'un costume de fée clochette. Je les ai serré dans mes bras puis leur ai présenté Esther et Jasper. Squall nous a dévisagées, ma sœur et moi, par intervalles comme s'il ne pouvait vraiment pas y croire. Olive quant à elle a juste paru ravie de rencontrer ma jumelle et lui pose des tas de questions depuis son arrivée. Ensuite, il y a eu tous pleins d'autres personnes rencontrées dans le métro, la rue ou les soirées. Je suis vraiment heureuse de les voir tous réunis ici, ça me fait tellement plaisir !
Enfin, Narcisse arrive. Il a de grandes ailes blanches dans le dos et a mit une sorte de soleil autour de la tête de Miroir.
– Tu es déguisé en ange ? je lui demande en rigolant alors qu'il arrive à ma hauteur.
– Mais non. Je suis costumée en Icare voyons ! il secoue la tête puis me prend dans ses bras. Un raclement de gorge nous détache l'un de l'autre et je me rends compte qu'il a emmené Craig et Jeff avec lui. Le premier, déguisé en rien me fixe, tout sourire.
– Qu'est censé représenter ton costume ? j'hausse un sourcil en posant ma question et, comme à son habitude, il pouffe avant de me réponde.
– Craig Tucker. South Park. il pointe son bonnet et sort un hamster de sa poche.
– Je ne connais pas. Je ne regarde pas South Park... et là, alors que je prononce ces mots, on dirait que la foudre vient de le toucher. Il hurle et me regarde avec des yeux si écarquillés qu'on dirait presque qu'ils vont tomber de leurs orbites.
– Il va falloir que toi et moi on se voit plus souvent pour régler ça, p'tite tête ! s'exclame-t-il alors en tapotant mon crâne. Je soupire d'exaspération mais ne peux m'empêcher de sourire. Ce garçon est marrant au fond quoiqu'un peu insultant parfois.
Le déguisement de Jeff est plus simple: il est tout simplement costumé en un téléphone géant. Oui. Mais je n'ai pas le temps de le complimenter sur ce judicieux choix qu'une voix attire mon attention à l'entrée. Une fille minuscule vêtue d'une robe scintillante sautille partout, suivie de trois mousquetaires. Bien évidemment, la fille c'est Némésis ou plutôt, Nemmie. Mais je n'ai jamais vu ses accompagnateurs. Le premier est grand, carré et sourit à outrance. Le second est plus petit mais reste tout autant imposant et il semble en grande discussion avec le troisième. Ce dernier est petit, il doit être à peine plus grand que moi, mais parle vivement en faisant de grands gestes avec ses mains.
Leur princesse s'approche de moi, fais une révérence puis se remet à sautiller et me les présentent vivement.
– Alors, le tout grand c'est Max ! Le blondinet aux cheveux longs c'est Edgard et le tout petit c'est Achille ! elle fait un geste dans leur direction mais ne me laisse même pas le temps de me présenter moi-même.
Elle m'attire déjà en direction de la fête, tout en me parlent de mille-et-une choses qui semblent très importantes rien qu'au ton qu'elle emploie. Je lance tout de même un dernière regard en direction des mousquetaires, qui nous précèdent, et je me rends compte que le dernier, Achille je crois, me semble étrangement familier. Mais d'où ?
Cela fait une heure que Nemmie m'a prise en otage. Elle me raconte tout ce qu'il lui passe par la tête, fait des remarques sur la qualité des costumes et bois du ponch. Beaucoup de ponch. Elle a presque vidé un saladier entier à elle seule ! Cette fille est tellement petite, je ne comprend même pas comment elle à la place de stocker autant dans son tout petit corps !
Elle ne m'a rien précisé de plus sur les mousquetaires mise à part que Max, le plus grand, est son petit ami. Et c'est très étrange de le savoir vu qu'il doit faire le double de sa taille. Genre vraiment.
Sinon, j'ai aperçu Narcisse et Squall qui semblaient être en grand conflit d'intérêt, Olive qui persécute toujours Esther et Jasper, Craig qui aborde toutes les filles de la soirée puis se prend des baffes et Jeff, assit dans son coin: un simple mec déguisé en téléphone qui passe sa vie au téléphone. Et je me rends compte à quel point c'est fabuleux de réunir autant de personnes différentes et qu'elles interagissent de cette manière !
– Nemmie, j'ai envie d'aller aux toilettes ! je suis obligée de la couper en plein milieu de sa phrase sinon je ne serai jamais délivrée.
– Pas d'problème ! Je vais me resservir du ponch en attendant ! elle me fait un grand sourire puis se lève et part en direction du bar. Comment fait-elle ? Elle ne tangue même pas !
Enfin bon, je me lève à mon tour et me dirige vers les toilettes quand une sorte de rocket sort de nulle part, me fonce dedans et me renverse de la bière dessus.
– Woah désolé mec c'était pas fait exprès ! le temps de constater les dégâts, le troisième mousquetaire est déjà devant moi, une serviette à la main et m'éponge.
– Mec ?
– Je suis navré j'avais pas vu que t'étais sur le chemin ! Ah mais c'est toi qui a son anniversaire ce soir ! il parle vraiment beaucoup je trouve ça drôle.
En plus il a une drôle d'accent. Je remarqué d'ailleurs que ses yeux ne sont pas de la même couleur et qu'il a une sorte de cicatrice qui part de son œil gauche pour traverser son nez et s'arrêter sous la caroncule lacrymale de son œil droit. Mais alors qu'il commence à éponger ma poitrine sans aucune gêne je le repousse.
– Eho, c'est gentil de ta part mais je vais éponger cette partie toute seule si tu le veux bien ! je prend le chiffon et essuie le reste de bière. Il ne dit plus rien. Il me regarde, comme s'il venait d'apercevoir la mort.
– Qu'est-ce qu'il y a ?
– R-rien. Absolument rien du to-tout. il bégaie. C'est drôle, lui qui parlait tellement il y a à peine une minute ! Qu'est-ce qu'il a pu lui arriver ? Son regard est soudainement vide et il est blême. Il s'éloigne de moi le plus rapidement possible j'ai l'impression.
Quand je parviens enfin aux toilettes, je tombe sur Craig qui est en pleines embrassades avec mon amie, Polly, dans le couloir. Elle laisse des traces de rouge à lèvres partout sur visage et sa nuque pendant que ses mains à lui se baladent sur son corps à elle. C'est gênant mais j'ai tellement besoin de faire pipi que mon cerveau en fait abstraction et je m'enferme dans les toilettes.
Après avoir fait mon affaire, je me rhabille et ressors. Les deux amoureux, je suppose que c'est ce qu'ils sont, ont quitté le couloir désormais désert. La fête bat son plein à l'étage. Je regarde l'heure sur mon portable, il est plus de vingt-deux heures. Je commence à être un peu fatiguée. Je me laisse glisser contre le mur et ferme les yeux. Juste deux minutes.
Quelque chose frappe mon tibia et j'entends un fracas. Mes yeux s'ouvrent d'un coup et c'est le garçon bizarre, Achille, qui s'est vautré par terre. Il a dû trébucher sur moi cet idiot.
– Ça va ? Tu survis ? il ne m'a pas vue à priori. Enfin, c'est ce que me laisse entendre la tête qu'il tire en me fixant. On dirait vraiment que je l'effraie.
Je m'accroupis à côté de lui et il s'éloigne. Alors je me rapproche un peu et il recule encore. Nous continuons pendant trois bonnes minutes avant de finir juste devant les escaliers. Là, il se lève et part en boitant mais je le rattrape. Il tressaille. Qu'est-ce que c'est étrange.
– T'es mal tombé on dirait, tu veux que je t'aide à descendre ? il fuit mon regard mais sa mâchoire se crispe et il serre les poings.
– Je n'ai pas besoin de ton aide. et il s'en va, descendant l'escalier tellement lentement que c'en est presque pathétique.
Après cette interlude, je descends à mon tour et rejoins mes amis. Je danse avec Squall, offre une valse à Narcisse et accepte même de faire une salsa avec Jasper. Puis vient l'heure du gâteau ! Et c'est moi qui l'ai cuisiné; une sorte de pièce montée au chocolat surmontée de deux petites figurines, une blonde aux cheveux courts et une brune aux cheveux longs. Quand Esther la voit, elle couvre son visage et me prend dans ses bras. J'ignorais qu'elle pouvait être aussi câline !
Nous soufflons ensemble sur les bougies et toutes s'éteignent d'un coup. Voilà, nous avons dix-huit ans ! Après ça, nous mangeons goulûment le gâteau puis retournons danser. C'est vraiment une super soirée ! Les musiques s'enchaînent et tout le monde s'amuse. J'ai accepté de danser un tango avec Craig après qu'il soit revenu de ses embrassades passionnées avec sa petite amie. Du coin de l'œil, j'aperçois Squall qui fait tournoyer Esther sous le regard attentif de Jasper.
– C'est une charmante soirée ! me dit mon partenaire dans l'oreille et j'acquiesce.
– Oui, je crois que c'est le meilleur anniversaire que j'aie jamais eu. il me sourit et de prêt je peux voir que ses dents ne sont pas toutes droites, ça lui donne un air de gamin, c'est drôle.
– Elle est où ? s'exclame quelqu'un plus loin. J'essaie de regarder mais Craig me fait tourner et tomber en arrière. Il me rattrape avec justesse et la chanson se termine.
– Où est Colombe ? répète la voix. Et mon coeur s'arrête de battre. Ou plutôt, il s'arrête avant de repartir plus frénétiquement. Il s'emballe. Mes mains sont moites, ma gorge est sèche. Et même si c'est physiquement impossible, je suis presque sûre que j'entends mon coeur qui se fêle.
Je me détache de Craig et m'avance vers la personne qui continue de crier dans le jardin. Je sais parfaitement de qui il s'agit mais j'espère me tromper.
– Où est-ce qu'elle est ? Colombe ! je me rapproche mais il ne peut toujours pas me voir. Je suis trop petite. Sa voix sent l'alcool, son ton est vibrant d'ivresse. La plupart des invités se sont arrêtés de danser, ils le regardent tous, intrigués. Quand j'arrive à le voir, je suis à côté de Squall, Narcisse et Craig. Il se débat avec les buissons, balance des gobelets et hurle.
– Putain Colombe, me laisse pas ici comme un con ! il tourne son regard vers la foule et croise le mien. Un sourire triste traverse son visage alors qu'il regarde son frère et mes amis.
– Les trois mousquetaires ? Tu te protèges ? Tu as besoin d'être surveillée ou alors c'est de moi qu'il s'agit ? j'ai envie de courir, de le prendre dans mes bras, de l'embrasser et d'oublier tout ce qu'il s'est passé mais je ne peux pas. Narcisse me fixe du coin de l'œil, il a deviné j'imagine.
– Dane. Qu'est-ce que tu fais là ? j'essaie de gérer ma voix mais elle tremble à outrance.
– Tu me manques, putain.
– Tu es saoul.
– Et toi t'es magnifique. il s'est rapproché et tends la main, il veut me caresser la joue.
C'est ce qu'il faisait avant. Quand on se chamaillait, il revenait et caressait tendrement ma joue pour me demander pardon. Mais alors que ses doigts frôlent ma peau, la main de Narcisse se pose sur son poignet. Squall semble perdu.
– Qu'est-ce que tu fous ici Blast ? Maman et Papa savent que t'es en ville ? son frère lui répond sèchement tout en retirant vivement sa main de l'emprise de l'homme-glaçon.
– Pourquoi ils le sauraient ? J'suis pas ici pour les voir. J'suis ici pour elle. il me pointe du menton. J'entends les gens murmurer dans mon dos. Je ne veux pas qu'ils le voient comme ça. J'attrape sa main et l'entraîne plus loin, dans la rue. Squall, Narcisse, Craig, Esther et Jasper sont regroupés juste derrière la grille.
– Vraiment, Dane, qu'est-ce que tu fabriques ici ?
– Bah, je suis juste venu souhaiter un joyeux anniversaire à ma délicieuse petite amie. il se penche et tente de m'embrasser. Si j'écoutais mon coeur, j'aurais déjà plongé vers ses lèvres mais je n'ai pas le droit alors je l'esquive.
– On sort plus ensemble. Tu m'as plaquée. Ça fait un moment maintenant.
– Je sais. Je regrette. Je t'aime.
– Dane, tu ne peux pas faire ça.
– Pas faire quoi ?
– Me briser le coeur puis revenir juste parce je te manque. Tu gâches ma soirée. Je te déteste. j'ai lâché ce dernier mot avec beaucoup de peine.
Mais désormais, j'ai l'impression de me sentir moins lourde. Je crois que je suis libérée de mes sentiments. Enfin c'est ce que je pense jusqu'à ce qu'il se penche une une nouvelle fois en avant, capture mon visage entre ses grandes mains et m'embrasse. C'est un baiser doux et chaud. Il est tendre. Mais je ne peux pas. Quand il aura dessoûlé il se rappèlera de sa superbe petite amie et repartira sans un mot. Je plaque mes mains sur son torse pour le repousser mais il attrape ma taille et me tient fermement contre lui. J'essaie de lui demander d'arrêter, de m'éloigner mais rien n'y fait. Il est trop grand, trop imposant. Et je suis ridiculement petite face à lui. Tandis que je me débat toujours, j'entends des chuchotements énervés, un bruit de grille rouillée, des pas énervés et je vois le visage de Dane s'arracher de mien pour finir sur le bitume. Le bruit qu'il fait en tombant est terrifiant.
– Quand une fille te dit t'arrêter, tu arrêtes. Espèce d'enfoiré ! c'est Craig. Il se tient là et lui hurle dessus. Narcisse, Squall et Esther sont sur ses talons. Jasper est resté en retrait. Je ne sais pas quoi faire.
– Colombe ? Tu vas bien ? Il ne t'a pas fait de mal ? Esther me regarde avec ses grands yeux et prend ma main dans la sienne. Elle la caresse délicatement en guise de réconfort. Et pendant ce temps, Craig braille toujours sur Dane qui ne se relève pas. Mais il n'a pas l'air mort. Je crois. Il est plié en deux et tient sa tête dans une main. Il me semble qu'il saigne.
– Si tu te relèves pas tout de suite et si tu t'excuse pas je te jure que t'auras l'éternité pour demander pardon !
– De quoi tu te mêles, tête de gland ? répond Dane en grognant. Il se relève avec peine et se tient face à Craig. Sauf qu'il mesure facilement deux voire trois têtes de plus que lui. Mais l'autre ne se laisse pas démonter et sourie de toutes ses dents.
– Je vais te défoncer sale enfoiré ! il s'apprête à se jeter sur lui mais Narcisse le retient.
Craig retourne donc sa rage contre son ami tandis que Squall semble complètement perdu. Je pense qu'il se demande s'il doit aller voir son frère ou moi. Quand il croise mon regard, je lui fait comprendre que c'est plus important qu'il s'occupe de son aîné. Puis je serre la main d'Esther et nous retournons à la fête, accompagnées des autres. Dont Craig qui n'arrête pas de gueuler. Je me demande pourquoi il est autant en rogne ? Sûrement l'alcool.
Je me réveille avec un mal de crâne qui me vrille le cerveau. Je mets un petit moment à me situer. Je suis dans une chambre, sur un matelas si moelleux qu'il risque de m'avaler si je reste couchée trop longtemps dessus, entourée de personnes. Je prends appuis sur mes coudes pour faire l'inventaire; il y a Olive, Narcisse, Jeff et Nemmie. Par terre se trouvent quelques-uns de mes autres amis et les trois mousquetaires. Nous devons être dans la chambre du père d'Esther j'imagine. En tout cas je ne suis jamais venue dans cette pièce auparavant.
Avec peine, j'enjambe tout le monde et me rends à la salle de bain; le couloir aussi est jonché de personnes qui dorment et de verres d'alcool. Je me débarbouille le visage et décide de me doucher pour enlever les odeurs d'alcool et de sueur qui collent à ma peau. L'eau un peu froide me réveille parfaitement et fait revenir les évènements de hier dans ma mémoire. Machinalement, je caresse mes lèvres pour tenter de sentir le baiser de Dane. Mais il a disparu de mon corps aussi vite qu'il a disparu de ma vie. C'est bizarre. Je ne comprends toujours pas ce qu'il faisait là. Ses propos étaient si désordonnés. Ils n'avaient aucun sens... Alors que je continue de réfléchir sous la douche, j'entends la porte qui s'ouvre. J'ai oublié de la verrouiller ! Je suis trop bête !
– Qui est là ?je bégaye. Et si c'était un tueur ?
– Oh pu-purée ! Désolé ! Je savais pas qu'il y avait quelqu'un ! J'ai pa-pas fait gaffe ! je reconnais cette voix. Je la remets maintenant. Le garçon dans le parc, l'autre fois, quand j'ai rencontré Nemmie, c'était Achille. Etrangement, il m'avait paru plus grand cette fois-là. Mais ça n'explique pas ce qu'il fait toujours là.
– Pourrais-tu sortir s'il te plaît ?j'ai fermé le robinet mais il ne semble pas vouloir bouger.
– Euh...
– Quoi ?
– La poignée...
– Qu'est-ce qu'elle a la poignée ?
– Elle est cassée...il bafouille et je manque de m'évanouir. Mais quel idiot.
– Achille, retourne-toi s'il te plaît. Contre la porte. Je vais sortir, me sécher et m'habiller. Je te jure que si tu te retournes tu ne sortiras pas vivant de cette pièce, pigé ?
– Ou-oui... je respire un grand coup, attrape une serviette et me sèche à l'intérieur de la douche puis je sors, la serviette enroulée autour de moi, et prend les premiers vêtements que je vois. Je passe mes sous-vêtements par en dessous et souffle un grand coup. Je porte un t-shirt gris dans lequel on pourrait passer deux filles comme moi et le bas de mon costume. Cela pourrait être pire.
– C'est bon, tu peux regarder. il se retourne lentement mais ne lève pas le regard vers moi. Quelque chose cloche vraiment chez ce garçon mais je n'ai pas le temps pour ses âneries. Il me tend la poignée de porte sans que j'aie à le demander et je secoue la tête en m'approchant de la serrure. Je veux devenir cuisinière, pas serrurier, il est drôle lui.
– Tu aurais l'heure par hasard ?
– Six heure vingt-trois.
– On doit sûrement être les seuls réveillés et vu l'état de la maison, je pense qu'ils sont tous autant morts. Soit on trouve une solution, soit on reste coincés ici ensemble pendant au moins six heures. rapidement, il se rapproche de moi, attrape la poignée et l'enfonce de toutes ses forces dans le trou où elle se trouvait auparavant.
Mais ça ne fait rien, mademoiselle est capricieuse et ne veut pas rester à sa place. Tandis qu'il continue de forcer comme un dingue, je cherche une autre option. Hors, à part la fenêtre, on a rien. Et nous sommes au deuxième étage donc ce serait plutôt périlleux d'envisager cette alternative... Curieuse, je l'ouvre tout de même et me penche pour observer. D'ici, on voit le pont. Il y a de la rosée et une légère brume. Le soleil se réveille et la ville avec. C'est un dimanche matin banal à San Francisco et pourtant je suis enfermée dans une salle de bain avec un garçon qui semble être effrayé par ma personne. Soupirant, je continue de regarder dehors. C'est un horizon neuf. Jamais je ne me suis levée avec cette vue. Le silence se trouve seulement troublé par quelques piaillements vifs et gais des oiseaux. Derrière moi, Achille se débat toujours avec la porte.
Je me suis assise sur la cuvette des toilettes, les jambes repliées sous mon menton. L'autre idiot est couché dans la baignoire. Les bras croisés sur le torse et les yeux fermés, on pourrait presque croire qu'il est mort. Mais ce serait trop beau pour être vrai. Je le détaille en silence; il a un visage fin et de longs cils. On pourrait presque croire que c'est une fille si on capture seulement ses yeux. Sa peau est si pâle que ses veines sont visibles, les tous petits vaisseaux bleus parsèment son visage comme les tâches de rousseurs couvrent le mien. Son nez est étrange, pas vraiment tordu ni moche mais ça se voit qu'il a été cassé. Il a une forme bizarre et surtout, cette étrange sorte de cicatrice qui parcourt presque son visage de droite à gauche. Ou de gauche à droite. Je me demande comment il l'a eue, et si il a souffert ? Ses cheveux sont plus courts sur les côtés qu'au milieu et son mi-bouclés, mi-ondulés. Je ne sais pas vraiment. Mais une partie d'entre eux retombent sur son visage et couvrent son œil gauche. Si je me rappelle bien, c'est celui qui est vert. Et l'autre est bleu. Je connais des tas de personnes mais il est la première que je rencontrer qui possède des yeux vairons. Cela m'a toujours fascinée. Et puis la question me brûle la langue et je me sens obligée de la poser au risque d'imploser.
– Dis, comment tu l'as eue ta cicatrice ? Sur ton nez ? il ouvre brutalement les yeux mais ne me regarde pas, il fixe le plafond.
– Je... C'ét-t-tait un accident. il ferme les yeux très fort, comme s'il essayait de refouler les mauvais souvenirs et les vilaines images qui s'insinuent dans sa mémoire. Tels des serpents aux crochets brillants.
– Désolée, c'était une mauvaise question. Mais c'est juste que je m'ennuie terriblement... il opine du chef mais n'ajoute rien.
Il a l'air vraiment mal à l'aise avec moi. C'est drôle, personne ne me trouve aussi intimidante d'habitude. Et puis, la dernière fois dans le parc, avec Nemmie, on aurait dit totalement une autre personne ! Je ferme les yeux à mon tour et essaie de chercher comment il aurait pu se retrouver avec une telle coupure —je suppose que c'en est une.
Cela doit faire trois heures que nous sommes ici. J'ai déduis ça grâce à la position du soleil dans le ciel et la montre qu'Achille porte au poignet droit. C'est une marque coûteuse et je jurerais avoir reconnu l'éclat d'un diamant dans le cadran. Il est sûrement riche. Je suis sûre que c'est le cas. Il est si propre sur lui même après une soirée. Rien que là, il porte un polo noir et un jean repassé. Il n'y a que les gens aisés qui repassent leurs jeans. Et les personnes âgées. Mais ces dernières portent rarement des jeans à vrai dire donc ils n'entrent pas en compte dans l'addition. Mais bon. J'ai essayé de lancer plusieurs fois la discussion mais on aboutissait toujours à la même chose: moi qui engage, lui qui répond de façon évasive en bégayant, moi qui abandonne. C'est comme parler à un mur.
– Tu sais quoi ? il ouvre les yeux mais ne répond pas. Je décide de continuer tout de même.
– Tu t'appelles Achille, ce qui est déjà atypique comme prénom mais moi j'ai mieux ! il hausse un sourcil et tourne imperceptiblement —ou c'est ce qu'il croit— son regard vers moi.
– Je m'appelle Colombe.
– Sérieux ? cette fois il se tourne complètement vers moi, sûrement sous le coup de la surprise. Très vite il se reprend et baisse le regard.
– Je pense que nous étions destinés à être enfermés ici ensemble dans cette salle de bain. Nos parents l'ont décidé pour nous le jour où ils ont choisi nos prénoms ! je lui souris puis me lève et lui tends la main. Il la considère comme une sorte d'objet farfelu et étrange qu'il ne verrait pas tous les jours mais fini tout de même par se lever à son tour et l'attraper timidement.
– Achille, soyons amis !
– Je-je ne suis pas sûr que ça soit une bo-bonne idée...
– Mais si ! Tu verras ! et d'un geste plus brusque que je ne l'aurais voulu je l'attire à moi de le prend dans mes bras. Au même moment, la porte de la salle de bain s'ouvre doucement sur Narcisse et Craig qui nous fixent sans trop comprendre.
– Eh bah, tu l'as vite oublié ton petit ami ! s'exclame Craig en ricanant. Mais ça ne me fais pas rire.
Heureusement que c'est aussi le cas pour Narcisse qui lui assène un coup de poing dans l'épaule tout en lui faisant les gros yeux. Achille s'est détaché de moi dès qu'il a pu et maintenant regarde les deux autres d'une manière tout à fait normale. Sa timidité maladive ne toucherait-elle que les filles ?
– Achille, tu es gay ? la question à glissé toute seule de ma bouche, je le jure, je n'ai pas fait exprès.
Le concerné pique un fard et baisse légèrement la tête mais tout en gardant le menton levé. C'est une position étrange pour une personne outragée.
– N-non ! s'exclame-t-il en devant cramoisi.
– Alors pourquoi tu ne parles pas aux filles ? Pourquoi eux tu les regardes normalement mais dès que je te parles tu m'évites ? encore une fois, il baisse les yeux.
Ses doigts se tordent les uns dans les autres et il déglutit difficilement. Il ouvre la bouche comme pour répondre mais la referme. Dans l'encadrement de la porte, Craig et Narcisse le regardent. Eux aussi semblent attendre sa réponse. C'est là que Nemmie intervient. Tout sautillante, elle entre dans la pièce en laissant des paillettes sur son chemin.
– Achille a toujours eu un blocage avec les filles mais ça ne veut pas dire qu'il est gay ! Il a juste peur de les offenser ou de dire un mot de travers, prenez ça pour de la timidité pas pour du dégoût ! elle monte sur le bord de la baignoire et caresse affectueusement les bouclettes du garçon qui ne semble pas broncher.
– Mais pourquoi il bloque pas avec toi alors ? demande Craig en se grattant le menton.
– Bah, c'est parce qu'on est cousins bien sûr ! je lance un regard à Narcisse et Craig mais pour eux aussi apparement ce n'est pas si sûr.
Mais maintenant qu'elle le dit, je saisi la ressemblance; tous les deux ont les mêmes cheveux mi-bruns, mi-roux, légèrement bouclés et les yeux —enfin un seul pour Achille— d'un bleu océan. Et ils devaient aussi posséder le même nez dans un passé incertain où cette mystérieuse cicatrice ne venait pas gâcher le tableau qu'est le visage d'Achille. Parce qu'il faut se l'avouer, Achille est beau garçon. Petit et presque féminin certes, mais il en reste tout de même beau. Son visage, et son corps dans son entier, dégage une douceur et une confiance étouffante. Je ne l'avais pas remarqué auparavant mais il n'avait pas l'air du genre à ne pas croire en lui. Il n'est comme ça que parce que je suis là. Et cela me fait une impression étrange. Comme une sorte de déjà-vu.
– Bon, partez maintenant je dois absolument faire pipi ! s'exclame Nemmie en levant les bras en l'air tout en nous poussant à l'extérieur de la pièce.
Nous fixons tous les quatre la porte qui vient de se refermer sur nous dans un claquement avant de se tourner, comme un seul homme, vers le couloir. Il a l'air encore plus pitoyable dans la lumière claire du jour.
– Nous devrions... commence Craig en se grattant le menton.
– Ranger ça... reprend Narcisse en soupirant.
– Oui... marmonne Achille en baissant les yeux.
– Sans moi ! j'ai lancé ma réponse tout en dévalant l'escalier.
Et l'étage inférieur est encore pire que le précédent ! Je prend mes jambes à mon cou et court jusque dans le jardin où je tombe nez-à-nez avec Jeff qui est couché en plein milieu du chemin. Il a sûrement dû dormir dans l'herbe parce qu'il est couvert de rosée et de verdure. Mais je n'ai pas le temps d'y réfléchir plus longtemps car j'entends déjà les cris des garçons et leurs pas qui arrivent. Je fais une roulade et me glisse dans un buisson avec la grâce d'une corneille sans ailes.
Craig arrive le premier dans le jardin. Il a des flammes dans le regard et se craque les poings. Narcisse est sur ses talons; son visage reste impassible mais il est tout décoiffé. Et enfin débarque Achille. Il a l'air un peu perdu mais sourit, comme si ça l'amusait. Ils lancent un regard circulaire au jardin puis Craig donne un léger coup de pied dans Jeff qui lève subitement le bras et le le tends dans ma direction. Je pensais qu'il dormait ! J'essaie de me glisser hors de ma cachette mais du côté de la rue sauf qu'il y a un mur; je suis donc piégée. Je ravale ma salive et croise les doigts tout en me décalant le plus discrètement possible sur le côté.
– On arrive p'tite tête, t'as intérêt à avoir préparé ton sac poubelle et tes gants pour nous aider à ranger ! je jurerais alors voir le sourire carnassier de Craig étinceler au soleil, comme dans les dessins animés.
Ils m'ont arrachée de ma cachette en me déboîtant une épaule et désormais je me retrouve perchée en sac à patate sur l'épaule de Craig. De leur côté, Achille, Narcisse, Nemmie et Jeff, qui nous ont rejoints, sont partis chercher des balais et de quoi nettoyer. Vu qu'Esther et Jasper, les deux seuls qui savent vraiment où se trouvent les affaires, dorment encore, nous sommes obligés de nous débrouiller comme des grands. Et de là où je me trouve, je vous assure que Craig est grand.
– Ah, j'ai oublié de te remercier ! je m'exclame alors, toujours perchée sur son épaule.
– Me remercier ?
– Oui, pour hier soir. Pour mon... Mh pour mon copain.
– Parce que ce mec c'était ton copain ? il me lâche si soudainement que je ne peux rien faire d'autre que de m'écraser par terre brutalement.
– Oh pardon ! Mais... Ton copain, sérieusement ? Ça avait l'air d'être un vrai déchet. Je pensais que dire une blague avant, dans la salle de bain. J'croyais que c'était juste un gros lourd... je lui frappe le tibia et il me lance un regard mi-interrogé, mi-outré.
– Dane n'est pas un déchet. Il est juste... Dans une mauvaise passe. C'est tout. j'hoche la tête, tant pour convaincre Craig que moi-même. Mais il me regarde soucieusement.
– J'aime pas le truc qu'il avait dans le regard. Y'avait quelque chose de mauvais.
– Eh t'es pas dans un film, redescend sur terre !
– C'est sûr. Dans un film, tu m'aurais déjà embrassé pour me remercier ! il m'offre son fameux cocktail sourire éclatant et clin d'oeil puis m'aide à me relever.
– On a trouvé tout ce qu'il nous fallait ! s'exclament en coeur les autres qui reviennent, les bras chargés de sacs poubelles, de gants, de pulvérisateurs, de chiffons et de balais. Nous nous emparons donc chacun d'un ustensile (je me suis emparée du pschit-pschit) et commençons notre mission ménage.
Nous avons ramassé tous les déchets, frotté toute la saleté et nettoyé toutes les dernières petites traces de la fête d'hier soir. On dirait une sorte de maison témoin ou comme dans les magasines. Tout est blanc, brillant et à sa place. D'ailleurs, nous détonons parfaitement avec le feng shui des lieux. Suants, nous sommes posés là, au milieu du hall, comme des objets encombrants qu'on va apporter à la décharge.
– Je crève la dalle ! s'exclame Craig en se tournant vers nous.
– C'est vrai que... commence alors Narcisse.
– Moi aussi... continue Jeff.
– J'ai un peu faim. achève Nemmie. Et tous me fixent. Ils ont trop d'attentes de ma part, je ne suis qu'une pauvre jeune fille fatiguée. Je n'ai pas la force de faire à manger ! Mais avant que je puise émettre ne serait-ce qu'une seule opposition, ils m'attrapent par les bras et m'entraînent vers la cuisine.
– Par pitié, fais nous à manger ! leurs yeux de cocker et leur ton unanime et suppliant font fondre mon coeur et j'accepte, bien malgré moi. J'adore cuisiner ! C'est vrai ! Mais là, j'aimerais juste me coucher dans un lit confortable et décuver de la veille.
Vu qu'il n'y avait rien à manger, j'ai envoyé Achille, Nemmie, Narcisse et Jeff faire des commissions. Pendant ce temps, Craig fait le tour de la maison pour réveiller les derniers dormeurs et les faire partir et moi je m'occupe de trouver une recette décente tout en fouillant la cuisine.
– Ta soeur et son copain, ils sont nulle part ! s'exclame Craig en rentrant dans la pièce. Il attrape une pomme et croque dedans avant de tout recracher.
– Oh bordel c'est quoi ça ? il me la tend et j'ai le plaisir de voir le petit ver qui tend sa tête et bouge dans tous les sens.
– Arf, dégoûtant. Débarrasse-toi de ça ! je pointe la baie vitrée et le jardin en positionnant ma main gauche sur ma bouche. Pas besoin de lui demander deux fois, il balance la pomme pourrie le plus loin possible et se retourne en me lançant un regard désespéré. Bien sûr qu'on pense à la même chose. Il y a au moins six autres pommes dans le plat, devrons-nous toutes les jeter ? Je soupire.
– Donne-moi un couteau. il s'exécute en arquant un sourcil. Je déglutis, attrape une pomme et la coupe en deux puis en quatre. Aucune trace d'un quelconque insecte qui s'y serait perdu. Je suis soulagée. Mais je réitère tout de même l'expérience pour toutes les autres, histoire d'être sûre.
– Bon, ce sera sûrement une tarte aux pommes pour le dessert...
Tandis que je prépare les ingrédients pour ladite tarte, quelqu'un sonne à la porte. J'envoie donc Craig ouvrir, pensait qu'il s'agit des autres qui reviennent des commissions. Mais à ma grande surprise, il réapparaît dans la cuisine suivit de Dane. Mon emprise se resserre sur le couteau que j'ai dans ma main droite. Et je fronce les sourcils. Je refuse de le voir. Mais il a dû avoir une bonne excuse pour que Craig le laisse rentrer jusque ici.
– Hey... il se gratte la joue, signe qu'il est mal à l'aise.
– Qu'est-ce que tu veux ? j'essaie d'avoir le ton le plus froid et sec possible. Et ça a l'air de marcher. Mais bon, il me connaît et ne se laisse pas abuser. Tournant son regard vers Craig, il essaie de lui faire comprendre qu'il veut qu'il parte. Alors à son tour, l'intrus me demande l'autorisation silencieuse. Que je lui donne. Il quitte la cuisine et Dane se retourne vers moi. Il a d'énormes cernes et un coquard en plus d'autres traces de bagarre. Il a dû « s'expliquer » avec Squall hier soir. C'est leur manière à eux de discuter ; leurs poings font passer le message.
– Je suis désolé. Ce que j'ai fait est tout bonnement pathétique et vraiment, vraiment dégueulasse. Et je sais que tu ne pourras pas me pardonner même avec toute la bonne volonté du monde. il fixe les pommes, le carrelage, le jardin. Ses yeux m'évitent.
– Tu me connais bien.
– Et c'est là tout le problème ! il soupire et enfin braque ses yeux déroutants sur moi. Leur forme fait qu'ils ont toujours quelque chose de triste en temps normal. Mais là, ça frôle carrément le désespoir.
– Le seul problème que je vois ici, Dane, c'est toi. Parce que tu m'as plaquée au pire moment de ma vie et que tu ne m'as jamais vraiment donné d'explications réelles. Et tu ne m'as jamais rappelée ! J'espère au moins que ta nouvelle petite amie t'as passé le message ! j'essaie de me contenir mais c'est si difficile. Il y a tant de choses que je me suis imaginée lui dire et là, tout se bouscule dans mon esprit.
– Ma nouvelle petite amie ? De quoi est-ce que tu parles ? il semble réellement surprit.
– De la fille qui m'a répondu quand je t'ai appelé, l'autre fois ! il ferme les yeux et se pince l'arrête du nez. Il réfléchit.
– Ma cousine. C'est Angie. Ma cousine ! Une vraie peste, normal qu'elle ne m'ait rien dit ! il lève les yeux aux ciel et expulse de l'air avec ses narines. Il fait ça quand il est contrarié.
– D'accord, je veux bien te croire. Mais dis-moi juste pourquoi tu es parti ? Tu devais bien avoir d'autres raisons ? Non ?
– Tout ce que je t'ai dit est vrai... Mais...
– Mais ?
– Il y a quelque chose d'autre. Je ne sais pas si je peux t'en parler...
– Vas-y. Ne me fais pas attendre plus longtemps.
– C'est Chop. il a dit ça comme si les mots lui brûlaient la langue. Chop ? Je le regarde, interloquée.
– Comment ça ? Explique ! il baisse à nouveau les yeux et tortille ses mains avant de les poser sur sa nuque.
– Il savait pour nous, depuis presque le début. Il avait deviné en fait. Il a toujours trouvé ça un peu malsain. Et moi, je savais qu'il était au courant. Mais il m'avait demandé de ne rien te dire. Au départ, il n'en parlait jamais avec moi. Mais petit à petit, il a commencé à me poser des questions. Il me demandait si je savais que ce que je faisais était mal. Il m'a mit tout un tas d'idées dans la tête. Mais j'étais vraiment amoureux de toi alors je ne l'écoutais pas. De toute façon, ce n'est que mon petit frère, je ne vois pas pourquoi je l'écouterais ! Le truc c'est que... Au bout d'un moment, je me suis posé des questions. Je savais que c'était pas vraiment bien mais te voir si heureuse faisait s'envoler tous mes doutes ! Une semaine avant qu'on parte chez moi, il a vraiment forcé. Il arrêtait pas de me dire que je devais te quitter sinon il dirait tout aux parents, que j'étais qu'un idiot, que je te faisais du mal. Et je me suis rendu compte qu'il n'avait pas tort ; en sortant avec toi, je t'empêchais de t'intéresser aux garçons de ton âge. Je te conférais plus une figure paternelle qu'une réelle relation.
– Mais je m'en fiche ! Je t'aimais moi ! je crie et brandis le couteau devant moi, à quelques centimètres de sa poitrine.
– Moi aussi. N'en doute jamais. Mais c'est juste que... Squall avait raison. Et même si ça me tue à chaque instant, je ne regrette pas ma décision. mon coeur se serre.
J'ai envie de pleurer mais je ne dois pas. Je ravale mes larmes et baisse les yeux. J'ouvre la bouche mais aucun son ne sort. Oui. Il a raison. Et rien que de savoir ça, me fait mal. Je m'apprête à parler quand la porte d'entrée s'ouvre et que tous les autres rentrent dans la maison en chahutant. Ils débarquent dans la cuisine avant même que Craig ai pu leur dire quelque chose.
– Eh ! On a trouvé ta soeur, son copain et Chop sur le chemin ! s'extasie Nemmie en sautillant au centre de la pièce. Puis elle de stoppe quand elle voit Dane et le couteau que je tiens toujours fermement.
Nous sommes tous entassés dans la cuisine. Dane me lance un regard, tente de me dissuader. Il sait déjà ce que je vais faire. Après tout, il est celui qui me connaît le mieux parmi tous. Et pourtant.
– Squall, viens par ici.
– Qu'est-ce qu'il se passe ? il pose ses sacs de courses et s'approche de moi.
Tout sourire. Je pose mon couteau sur le plan de cuisine et grimpe sur un tabouret. Une fois que je suis bien à sa hauteur, je lui sourie en retour. Et ma main s'envoie d'elle-même contre sa joue. La claque est partie si soudainement, personne ne s'y attendait. Mais avant que l'effet de surprise ne soit retombé, je me déplace jusqu'à Blast, le force à se baisser en tirant sur son t-shirt et lui aussi a droit à sa baffe. Et c'est comme s'il me tendait sa joue cet idiot.
– Qu'est-ce que... commence Narcisse mais je n'entends pas la fin de ce qu'il dit parce que je suis déjà loin de la cuisine.
J'ai mal à ma paume. Elle est rougie. Comme mes yeux. Je n'arrive pas à croire que Squall, mon meilleur copain depuis toujours, ai osé me faire ça. D'accord, sortir avec son frère de sept ans notre aîné n'était pas vraiment la meilleure des choses à faire. Mais est-ce que j'aurais pu changer un truc ? Non. Je n'ai pas choisi de tomber amoureuse de lui. Je suis vraiment vraiment vraiment énervée. Ce n'était pas à Chop de prendre cette décision. Rien que maintenant, pendant une fraction de secondes, je le déteste plus que tout. Je comprend bien qu'il a fait ça dans le but « m'aider » mais il n'y a rien que je déteste plus que les personnes qui veulent aider les autres quand ils n'en ont pas besoin. Ce n'étaient pas ses affaires.
– Hmhm... un raclement de gorge me fait sortir de mes pensées. Je lance un petit regard méchant vers la personne et voit qu'il ne s'agit que de Craig. Que fait-il là d'ailleurs ?
– Dans la cuisine, j'ai tout entendu. Je me suis dit que tu aurais besoin de... D'une épaule pour... Pleurer ? il me répond comme s'il avait été capable de lire dans ma tête. Il s'assoit à côté de moi sur le trottoir et étends ses longues jambes sur la chaussée. Les miennes sont repliées contre mon torse.
– Je sais qu'on ne se connaît pas mais si t'as besoin de parler, de crier, de frapper, alors je suis là. il me dit ça d'un ton très sérieux. Je le regarde en biais et quand il capte mon regard, il me sourit tendrement. Comme un père avec sa fille. Et soudain, les larmes se mettent à dévaler mes joues sans que je ne puisse rien y faire.
– Je l'aimais tu sais ? J'ai jamais aimé quelqu'un comme ça. Et je sais que c'était réciproque. Mais il a fallu qu'il gâche tout. Chop. Je ne veux plus le voir ! Il m'a fait tellement de mal sans même s'en rendre compte. Je le déteste. Ce n'étaient pas ses affaires ! je cache mon visage dans le creux de mes genoux et continue à sangloter bruyamment. Craig doit me trouver pitoyable mais c'est ce que je suis, non ? Pathétique. C'est le mot. Ce n'est pas Squall que je déteste. C'est moi. Clairement.
Craig a d'abord passé son bras autour de mes épaules puis, voyant que je ne me calmais pas, il m'a carrément serrée contre son torse. Les larmes se sont atténuées et son t-shirt est trempé. Ma tête repose désormais sur ses genoux et lui, est étalé en travers du trottoir. Les quelques personnes qui sont passées —des vieilles dames avec leurs chiens et un garçon de notre âge— nous ont dévisagés comme si on faisait des choses bizarres en plein milieu de la rue.
– On s'connait peu toi et moi mais... J'ai pas pu m'empêcher ce que vous vous disiez dans la cuisine... Et j'pense que tu devrais parler avec Squall. J'le connaît pas non plus mais Narcisse arrête pas d'm'en parler. Il dit que c'est un bon gars même si il a l'air dur dehors et j'suis sûr que tu vois de quoi je parle ! je secoue la tête; il a raison. Je n'aurai pas dû fuir. Mais là, il y a une autre chose qui occupe mon esprit.
– Comment ça Narcisse n'arrête pas de parler de Squall ? je me redresse sur mes coudes et plante mon regard dans celui de Craig. Il baisse les yeux et se gratte le menton, l'air embêté.
– Je crois que j'ai merdé... souffle-t-il en tirant un paquet de cigarette de sa poche et d'en glisser une entre ses lèvres.
– Développe !
– Je crois pas que je puisse t'en parler... il allume le cancer entre ses lèvres, fais habilement tourner le briquet entre ses doigts et le remet dans sa poche.
– Tu ne peux pas me teaser comme ça et me laisser sans réponse ! Ça ne se fait tout simplement pas ! je me rapproche de lui et fronce les sourcils.
– Alors promets moi de le dire à personne, je peux compter sur toi ? il souffle la fumée en l'air puis me tends son petit doigt. Je noue le mien avec puis dépose mes lèvres dessus. Il fait de même.
– Croix d'bois, croix d'fer, si je mens je vais en enfer !
– Okay alors... il se racle la gorge, tire une latte, puis une autre. Se gratte le menton, regarde les nuages. Puis il revient sur moi. Ses yeux se ferment. Se rouvrent. Il se craque les doigts. Il soupire.
– Narcisse en pince pour Squall. il a parlé très vite. Si vite que je ne suis pas sûre de tout avoir bien saisi.
– Narcisse est amoureux de Squall ?
– Je ne dirais pas que c'est de l'amour, plus un crush. Mais c'est puissant en effet... il plaque une main sur son visage comme pour se cacher. Et moi je me laisse tomber à nouveau sur ces genoux. Ça alors. Je ne m'y attendais pas. C'est soudain. Il m'avait pourtant assuré qu'il n'était pas gay...
– Il n'est pas gay à proprement parlé. Plutôt pansexuel. Il ne tombe pas amoureux d'une personne d'après son genre sexuel mais d'après sa personnalité.
– Oh... Je vois... Et est-ce que...
– Squall est au courant ? Je ne crois pas. En tout cas il ne m'a rien dit à ce sujet. il tire une taffe de ça cigarette et me la tends. Je refuse. Il opine du chef.
– Je ne crois pas qu'il soit gay. Il stagne sur la même fille depuis un milliard d'années... M'enfin, s'il pouvait l'oublier pour Narcisse, ça ne me dérangerait pas !
– Ce serait drôle... Aucun des deux n'a l'air vraiment gay. j'acquiesce. Mais au fond, cela ne veut rien dire.
– Le noir corbeau et la blanche colombe ! je pense tout haut. Et Craig penche son visage, outré, sur moi. Nous sommes à quelques centimètres l'un de l'autre.
– Ah non, le titre nous est déjà réservé. il me sourit, comme d'habitude mais j'ai l'impression qu'il y a autre chose. Déconcertée, je me relève et lui assène un coup dans l'épaule en fronçant les sourcils.
– Tu es là pour me consoler de ma rupture, n'en profite pas pour me draguer !
– Oh, là n'était pas mon attention, p'tite tête ! il tapote le haut de mon crâne affectueusement et je rigole.
Nous restons comme ça un moment puis Narcisse arrive. Je le détaille, plus que d'habitude. Il est vraiment, vraiment beau. Et dans sa beauté, il y a quelque chose de fragile qu'on a envie de protéger. Comme un flocon de neige. Et il est suivi de Squall. C'est un aussi un beau garçon mais dans un autre genre. Tout est dans sa force. Sa beauté est violente. Quand vous le voyez pour la première fois, elle vous frappe si fort que vous tombez au tapis sans plus jamais vous en relever. Il y a des étincelles dans ses yeux. Et sous un certain angle, on peut déceler le petit garçon maladroit et gaffeur qui sommeille encore en lui. Et soudainement, j'ai l'impression que des années lumières nous séparent. Qu'il y a des siècles entre nous. Et je me lève. Et je cours vers lui pour le prendre dans mes bras. Je suis accrochée à sa taille et le serre si fort. Si fort car j'ai peur de le perdre encore. Et si fort car, malgré tout, j'ai envie de le blesser comme il l'a fait avec moi.
– Co-Colombe ?
– Je te déteste tellement ! je sanglote et me rapproche encore plus désespérément de lui. La surprise passée, il me serre aussi contre lui.
– Je suis désolé, le piaf. J'voulais t'éviter de souffrir. Mais je savais pas que ce serait moi qui le ferait. Je te jure, j'voulais pas que ça se termine comme ça ! Squall ne pleure jamais mais je sais quand il retient ses larmes. C'est un garçon comme tous les autres après tout. Gonflé par la fierté et l'orgueil. Et c'est comme ça que je l'aime.
Ma sœur aussi est très belle. Délicate comme une fleur et douce comme du coton. Mais elle possède en elle un côté combatif aussi. Jasper aussi est quelqu'un de beau. Même si je le trouve agaçant, il a cette aura de bienveillance qui l'enrobe. C'est un ange. Il a une beauté si pure que même un nouveau-né en serait jaloux ! C'est un couple de belles personnes.
Dans son genre, Nemmie est plus adorable qu'autre chose. Bien qu'elle n'ait qu'un an de moins que moi, on dirait une vraie petite fille. Elle a de grosses joues toutes douces et il y a tellement de candeur qui brille dans son regard. Ses cheveux sont très volumineux et soyeux, on pourrait presque croire qu'elle porte une perruque tellement ils sont parfais.
Ensuite, il y a Achille. Son style à lui, c'est plutôt la beauté froide. Attirante, intrigante et glaçante. Toucher son visage reviendrait à toucher une statue dans un musée je pense. En plus, il sourit rarement. Mais quand il le fait, c'est comme s'il venait d'allumer un soleil dans la pièce, c'est une expérience étrange.
Jeff fait dans le basique. Il n'est pas banal, loin de là. Il a une tête ronde et des yeux vifs et magnifiques. Mais ce n'est pas le genre de personne sur lequel on se retourne dans la rue pour être sûr de ne pas avoir rêvé.
Et pour finir, il y a Craig. Lui, c'est quelque chose. Quand on le croise dans la rue, on ne se dit pas qu'il est beau. On voit son blouson, ses cigarettes, ses ecchymoses. On pense alors que ce n'est qu'une petite frappe. Mais si on prend le temps de regarder de plus près, on voit ses grands yeux brillants et son sourire imparfait mais si charmant. Et on voit toute la bonté qui se trouve dans son coeur et qui en déborde.
J'ai toujours su apprécier la vraie beauté. C'est ce qu'on m'a souvent dit en tout cas. « Tu as l'âme d'une artiste » me susurraient-ils. Il paraît que je sais déceler la beauté humaine de celle physique. Voir la perfection dans les échecs.
Nous sommes tous rassemblés sur le trottoir, assis les uns à côté des autres. Je suppose que Blast est partit comme un voleur vu qu'il n'a pas suivi les autres. D'ailleurs Squall est un peu en retrait. J'espère que le reste de la bande ne l'a pas blâmé. Parce que ce n'est pas leur rôle, mais le mien !
Rien qu'une bande de jeunes rêveurs, observant le couché du soleil dans une ville de grandeur. Entassés sur un trottoir étroit et inquiets à s'en mordre les doigts. C'est nous. Mes meilleurs amis, ma sœur, son copain et moi. Et je me demande vraiment de quoi demain sera fait. Parce que c'est la question que je me pose toujours dès que la nuit applique son grand manteau sur San Francisco.
– Oh merde ! brusquement je me relève, brisant ce moment magique. Je savais bien que j'avais oublié quelque chose !
Après une longue discussion avec Esther et maman, nous avons décidé d'un commun accord de venir emménager dans la maison d'Esther plutôt que de rester dans notre tout petit appartement. Enfin, quand je dis ça, entendez qu'elles m'ont forcée à accepter. Un jour je suis rentrée de la librairie et pouf toutes nos affaires étaient emballées. Bien sûr, ça m'a mise en rogne. Mais j'ai pensé comment ce serait beaucoup plus simple pour maman et son travail et pour Esther et son lycée. Alors j'ai piteusement dit au revoir à mon petit nid douillet pour atterrir dans ce palace. Et à vrai dire, je crois que je ne m'y ferai jamais réellement.
Je suis enchantée mais, j'aimais l'impression de cocon que notre minuscule appartement me donnait. Je me sentais comme un renard dans son terrier ; à l'abri du monde entier. Alors que là, dans cette immense maison, je suis plus comme une petite souris. Une vraie lilliputienne. Mais si Esther et maman peuvent être plus heureuses comme ça, alors je peux endurer.
- Colombe ? Ta sœur est partie à l'école mais elle a oublié son déjeuner, est-ce que tu pourrais le lui apporter ? je viens à peine de me réveiller que maman m'assaille déjà. Je n'ai pas l'habitude. Normalement, on ne se croise que le soir, pour le dîner. Mais ça ne me déplaît pas ! J'acquiesce et monte m'habiller. J'ai hérité de l'ancienne chambre paternelle ; glauque mais spacieuse. Il y a une épaisse moquette et de grandes fenêtres. Un lit double, un immense dressing et même ma propre salle de bain ! Je suis une femme comblée.
L'unique problème c'est que je me sens affreusement seule. Pendant la journée, Esther est en cours et maman travaille alors je m'ennuie beaucoup trop. Bien sûr, je rend visite à Squall à la librairie et à Narcisse au disquaire mais la rame de métro est loin et souvent j'ai tout simplement la flemme d'y aller. Bien sûr, Esther m'a déjà proposé d'emprunter son vélo mais il brille tellement, on dirait qu'il est en or ! J'aurais bien trop peur de l'abîmer. Alors c'est en marchant que je me rend à son école.
D'ailleurs elle est immense. C'est un bâtiment gigantesque et étincelant. Il y a une grille en fer forgé et tous les élèves sont brillants. On dirait que leurs uniformes sur mesures et impeccables ont été repassés sur eux, c'est étrange. Je me sens tellement minable avec mon vieux jean déchiré rempli de paillettes et mon t-shirt bien trop grand.
Je déambule dans les couloirs. Quelques personnes me jettent des regards inquisiteurs mais personne ne m'accoste. Je baisse les yeux sur mes chaussures et me rend compte que le sol est si propre qu'il me renvoie mon reflet. L'image flou d'un vrai bazar. Mes cheveux sont emmêlés et mon maquillage est totalement saccagé alors que je n'ai rien fait de spécial pour.
– Excusez-moi mademoiselle ? Vous n'êtes pas une élève, n'est-ce pas ? Que faites-vous donc ici ? un petit homme plutôt âgé aux cheveux grisonnants et à la voix grave m'interpelle. Et malgré sa voix inquiétante, il est tout sourire.
– Oh, je suis désolée. Vous avez raison, en fait je cherche ma...
– Esther Patterson ! Te voilà ! Enfin ! Excuse-moi grand-père mais j'en ai terriblement besoin ! je n'ai même pas le temps de voir le visage de la personne qui vient de me kidnapper que déjà elle me pousse à travers les couloirs, s'agrippant férocement à mes épaules. Est-ce qu'elle vient de m'appeler Esther ? Je crois bien que c'est la première fois que quelqu'un nous confond. Ça me fait tout drôle !
– Regardez qui j'ai trouvé ! scande la fille en me faisant entrer dans un immense amphithéâtre. Sur la scène, se trouvent une dizaine de personnes parmi lesquelles je reconnais Nemmie, Max et Achille. Je ne savais pas qu'ils étaient dans ce lycée. Le monde est petit.
– Colombe ? s'exclame la petite rousse en lâchant le morceau de tissu qu'elle tient dans ses bras pour courir à ma rencontre.
– Une colombe ? Non pas du tout. Esther ! Voilà qui j'ai trouvé ! Tu ne la vois pas ? Pourtant elle est là ! Juste devant ton nez ! cette fille a un débit de parole assez impressionnant je dois l'avouer.
Croisant les bras devant sa poitrine, elle se place face à moi. C'est la première fois que je la vois. Elle est fine et grande. Plus grande que moi. À son visage je dirais qu'elle est asiatique mais dans sa voix je peux deviner un accent plutôt français. Sa peau est blanche, ce qui fait ressortir ses yeux couleur charbons remplis de veines et injectés de sang. Son nez est busqué mais joli. Durant l'espace d'un instant, je jurerais avoir devant moi une version jeune et asiatique de Morticia Addams. Surtout que ses longs cheveux noirs bouclés et sa longue robe de la même couleur ne font rien pour aller contre cette idée.
– J'aurais juré qu'il s'agissait d'Esther. Plus bronzée et plus blonde mais Esther... maugrée-t-elle en me dévisageant.
– Chef, je vous présente Colombe Bowman. La sœur jumelle d'Esther ! explique Nemmie en esquissant un geste de présentatrice télé en me montrant. Mais l'autre ne bronche pas. Elle ne dit rien. Pendant plusieurs minutes durant lesquelles personne n'ose prononcer un seul mot.
– Le lac des cygnes. finit-elle par s'exclamer.
– Le lac des cygnes ? marmonne un garçon, sur scène.
– Esther serait Odile et cette Esther numéro deux ferait une parfaite Odette.
– Je m'appelle Colombe... le sosie de Morticia balaye l'air devant moi pour me dire de me taire.
– Une colombe, un cygne. C'est du pareil au même !
– Mais elle n'est pas élève ici... tente Nemmie.
– J'en toucherai deux mots à grand-père.
– Mais de quoi tu parles ? je tente encore une fois de demander mais déjà elle s'éloigne en direction de la scène. Et c'est drôle mais avec sa robe, on dirait qu'elle flotte. Elle me fait penser aux Détraqueurs dans Harry Potter ! Elle est vraiment mince.
– Imaginez ! Une version théâtrale du lac des cygnes ! Deux jumelles dans les premiers rôles. Achille fera le prince Siegfried et... Edgard sera idéal pour le rôle de Rothbart !
– Attends. Du théâtre ? Je suis nulle pour le théâtre !
– Ce n'est pas toi qui décide. C'est moi la chef ici. Et si je pense que tu es taillée pour ce rôle alors tu l'es.
– Et si je refuse ? devant mes mots, elle se retourne brusquement et se rue sur moi. Elle plante des yeux veineux dans les mieux et j'ai la bizarre impression que la température de la pièce a baissé.
– Je te défie de le faire. sa voix est si froide qu'elle me donne des frissons.
– Je refuse. malgré ma peur, je maîtrise le tremblement de ma voix et répond à son regard glaçant.
– Chef ! Si elle ne veut pas c'est son droit ! s'exclament en coeur Nemmie et Max. La sorcière les foudroie du regard et tourne le dos à tout le monde. Et subitement, elle fond en larmes.
Démunie, je lance un regard à Nemmie qui soupire et enlève sa chaussure. Qu'est-ce qu'elle va faire ? Elle la prend dans sa main droite, lève le bras et... La lui lance dessus ? Cette enfant est suicidaire ? Elle va se faire tuer, j'en suis certaine ! La Chef, comme ils l'appellent, se retourne lentement vers elle. Et explose de rire ? Oui. Elle est morte de rire. Je ne comprend décidément plus rien du tout. Elle fait une courbette pendant que tout le monde applaudit. Puis, essuyant ses fausses larmes, elle me tend sa main en m'adressant un grand sourire.
– Je me présente, Apolline Fujiwara. Présidente du club de théâtre. Enchantée de faire ta connaissance, copie-blonde-et-bronzée-d'Esther-Patterson. okay, désormais j'en suis sûre, les riches sont fous.
Et moi qui croyait connaître des gens étranges, il est clair que je n'avais pas encore rencontré Apolline et son petit ami, David. C'est un garçon assez banal excepté une chose: il ne parle qu'en rimes. Et c'est assez déstabilisant la première fois que l'on s'en rend compte.
– Enchanté, beauté. David, c'est ainsi que l'on m'a prénommé. Je porte ce nom depuis que je suis né ! il a enchaîné sur une courbette puis s'est relevé pour embrasser Apolline. Ces deux-là vont très bien ensemble d'ailleurs. Tout est dans leur finesse et leur légèreté.
Je suis restée pour regarder leur répétition de théâtre et j'ai été époustouflée. Leur jeu d'acteur frôle celui de professionnels ! S'il ne s'agissait que de moi, je leur donnerai directement un Oscar. Pourtant, Apolline semble très difficile à satisfaire. Elle trouve toujours un défaut au texte ou à la mise en scène et s'énerve. Mais cela ne semble pas vraiment embêter les autres qui s'y sont habitués.
– Apolline, elle est toujours comme ça. Elle me rend gaga mais c'est... Mon aubergine ? quand il ne trouve pas de rime, David improvise. Ce qui est souvent assez rigolo, il faut le dire. Et pendant qu'on rigole dans notre coin, sa petite amie continue de s'exciter sur la scène.
– Non ! Achille ! Tu ne danses pas bien ! elle s'évertue à vouloir lui apprendre la valse mais dès qu'il entre en contact avec elle, il se met à trembler et ça la met hors d'elle. Malheureusement, Nemmie et Esther sont retournées en cours et aucune des autres personnes présente ne savent danser la valse.
– Ah, moi je sais ! je murmure à David mais apparement ce n'est pas assez doucement car la sorcière se tourne d'un coup vers moi et me souris.
– Alors comme ça, tu sais danser la valse ? cette fille est beaucoup trop rapide et terrifiante. Avant même que je n'aie eu le temps de réagir, je me retrouvée poussée dans les bras du balafré et la musique se lance. Mon partenaire qui rougit à vue d'œil et se met à trembler tandis qu'Apolline tapote du pied derrière moi.
– On a pas tout notre temps ! L'oiseau, apprend-lui à danser ! sa voix est autoritaire et me fait frissonner.
Je sens que si je ne commence pas à bouger, je ne quitterai jamais cette pièce. Alors je me mets à danser, entraînant tant bien que mal ce pauvre Achille avec moi. Je vois qu'il n'est malheureusement pas du tout à l'aise avec tout ça mais je refuse de passer plus de temps qu'il ne le faut ici ! Je voulais aller voir Narcisse, Craig et Jeff cet après-midi ! Je me penche en avant, près de l'oreille du pauvre garçon tremblant.
– Écoute, tu vas essayer de suivre ce que je fais en retenant les pas, d'accord ? Plus vite tu y arriveras, plus vite cette situation gênante cessera ! il acquiesce vivement et je le vois se concentrer à fond.
Finalement, ce n'est que deux heures après que j'ai pu m'enfuir. D'une part parce qu'Achille n'arrêtait pas de me marcher sur les pieds et n'était pas en rythme et de l'autre parce que... J'ai trouvé ça drôle. En effet, quand nos paumes ont été assez moites pour créer un micro-climat, le balafré s'est détendu. Il tremblait moins et sa peau est redevenue toute pâle. Et puis, surtout, il comprenait enfin comment combiner les pas avec le rythme et ça rendait tout bien plus amusant. Et quand il a assimilé la valse à la perfection, Andrew, celui qui se charge de la musique, nous a fait danser la macarena, le charleston, le tango et on a même pu essayer le rock ! C'était si marrant que je suis restée avec eux jusqu'à la pause de l'après-midi !
– Reviens quand tu veux ! m'a assurée Apolline sur un ton qui sous-entendait plus l'ordre que la proposition tandis que je quittais la scène en les saluant. J'ai acquiescé puis suis sortie, reprenant les mêmes couloirs scintillants mais déserts.
– Ah bah alors p'tite tête ! On ne t'attendais plus ! s'exclame Craig quand je passe devant la porte du disquaire.
Il est là, adossé contre le mur, en train de fumer. Sa grosse paluche vient tapoter mon crâne pour ponctuer sa phrase. Je rigole et rejoins Jeff et Narcisse qui semblent être en grande discussion dans la boutique. À ma grande surprise, ils s'arrêtent net en me voyant approcher du comptoir.
– Bah alors, on fait des messes basses les copains ?
– Pas du tout ! s'exclame Narcisse très fort en se retournant pour fouiller dans une caisse. Je me demande ce qu'ils trafiquent mais bon, ce ne sont pas mes histoires.
– Bon, sinon, les mecs. On est vendredi soir, ça vous dit qu'on sorte ? demande le fumeur en s'approchant de nous. Il passe son bras autour de mon épaule tout en rangeant son paquet de cigarettes.
– J'ai bien besoin de me bourrer la gueule, dites oui ! ses grands yeux bleus se plissent et il forme une moue étrangement adorable avec sa bouche.
– Non, j'ai rendez-vous sur skype avec Erika ce soir. lâche Jeff en sortant son téléphone de sa poche.
– Et moi je vais au cinéma.
– Mais Narcisse ! Pourquoi tu m'as pas prévenu ! J'serai venu avec toi !
– Mhh non Craig. Je vais déjà avec quelqu'un...
– Avec qui ?
– Tu... Tu connais pas.
– Oh aller mec, je connais tous tes potes !
– Mais c'est pas un pote, Craig. le regard déjà bien froid de Narcisse se glace encore plus et même si ça n'en est pas une, j'ai l'impression d'assister à une dispute.
– Bon, et toi p'tite tête, tu sors avec moi ce soir ?
– Je ne sais pas. Sûrement pas, non. Et pourquoi tu m'appelles comme ça en fait ? il enlève son bras de mon épaule pour attraper mes joues. Il les coince tout délicatement entre ses pouces et ses index.
– Parce que t'es vraiment toute petite ! Mais t'es intelligente quand même alors t'es une p'tite tête, p'tite tête ! je dégage ses mains et pouffe.
– T'es fatiguant, Padilla.
– Allez, sors avec moi ce soir !
– Est-ce une invitation ? je le taquine et il me sourit.
– Il se pourrait bien.
– Tu sais, je suis une fille compliquée. Je n'accepte pas les rendez-vous comme ça !
– C'est bien ce que je pensais, alors, que dois-je faire pour satisfaire sa majesté ?
– Mhhh, un défi ?
– Pourquoi pas !
– N'importe lequel ?
– Fais-lui deviner ton deuxième prénom ! ricane Narcisse en s'accoudant au comptoir.
– Oh, quelle excellente idée !
– Donc, si j'arrive à trouver ton deuxième prénom tu sortiras ce soir avec moi ?
– Marché conclu ! On va dire que tu as deux heures ! il acquiesce et on se serre la main en guise de pacte.
– Donne-moi juste un indice pour commencer au moins, une piste ?
– Turbulence. je lui souris et j'entends Narcisse qui pouffe dans mon dos.
C'est clair, il ne trouvera jamais.
Je me tourne vers le roi des glaces pour lui demander comment il va et pour discuter avec lui. Il me dit que ça va. Il pense s'inscrire à la fac l'année prochaine mais seulement s'il trouve un emploi du temps assez satisfaisant pour pouvoir continuer à travailler ici. C'est compréhensible, il adore cet endroit. Ça se voit !
– Colombe Anatarāxeis Bowman ?
– Anataquoi ? C'est quoi ça ?
– C'est du grec ! Mais c'est vrai que ça ne sonne pas bien. En plus tu n'as pas l'air grecque.
– Qu'est-ce que les grecs viennent faire dans cette histoire ?
– Je suis en train de traduire « Turbulence » en toutes les langues pour voir ce que ça donne ! Genre, Nemir ?
– Pas du tout.
– Okay, alors tu n'es pas bosniaque. je le regarde, abasourdie. Ce garçon est un pur génie. Je ferais mieux de me préparer déjà mentalement à ce rendez-vous.
– Comment tu sais si ça fonctionne ou pas ? lui demande Narcisse, une pointe de curiosité dans la voix.
– Bah, pour commencer, j'exclue tous ceux qui ressemblent trop au mot turbulence. Et je teste les autres avec son nom entier ! Colombe Duuldoo Bowman ? j'ignorais que Craig était aussi intelligent et réfléchi ; pour moi c'était juste une petite racaille avec un grand cœur qui aime sortir ! Et puis je rigole.
– Alors, j'adorerais m'appeler Duuldoo mais non, je n'ai pas eu cette chance ! les deux garçons s'esclaffent aussi puis Craig redevient très sérieux.
– Dumpis ? Omawala ? Pergokalan ? Tormilisus ?
– Désolée de te décevoir mais non, non, non et non ! il prend une moue boudeuse puis se gratte le menton et fixe son téléphone.
– Alors pourquoi pas Lite ?
– Lite ?
– Okay, c'est pas ça. Et qu'est-ce que tu dis d'Ókyrró ?
– Super joli mais pas pour moi, navrée !
– Bon et Tyrfedd ? je lance un regard amusé vers Narcisse qui semble mourir de rire à l'intérieur de lui.
– Tyrfedd ?
– Ouais, Colombe Tyrfedd Bowman. C'est plutôt joli. J'aime bien ! Par pitié dis-moi que c'est ça ! je n'y crois pas.
Il a réussi à trouver mon deuxième prénom grâce à Google Traduction alors que cela fait des années que personne ne le trouve jamais ! Finalement, j'hoche mollement la tête et je vois des yeux s'allumer.
– Attendez ! J'ai trouvé ? il éclate de rire et sautille sur place. C'est un enfant piégé dans le corps d'un homme, je ne vois pas d'autre explication.
– Colombe Tyrfedd Bowman ! C'est celui qui sonne le mieux ! J'ai toujours su que t'étais galloise, p'tite tête ! il effectue une petite danse puis donne des coups de poings et de pieds dans le vide tout en poussant des petits cris de joie. On dirait un vrai gamin.
– Eh bah... C'est la première fois que je le vois si heureux de gagner un simple défi ! s'exclame Narcisse, désormais hilare.
– Il est bête ! je rigole à mon tour en me couchant sur le comptoir quand Jeff revient, son portable pressé contre sa poitrine.
– Eh, faites moins de bruit ! J'entends mal Erika ! il grogne et retourne dans l'arrière-boutique tandis que nous essayons de nous calmer.
– Bon, alors on sort ce soir, p'tite tête ? me demande Craig en se tournant vers moi, tout sourire. J'hausse les épaules.
– Aller, pourquoi pas. Mais. Je veux savoir avec qui Narcisse va au cinéma ! je lance un regard au concerné qui fait mine de n'avoir rien entendu. Est-ce qu'il sort avec Squall ?
– Eh Narcoss ! La p'tite tête t'as posé une question ! Tu oserais l'ignorer ? Craig profite de la situation en ricanant.
– Pourquoi vous tenez tant à le savoir ? grogne le roi des glaces en triant des CDs.
– Parce qu'on est curieux ? répond le corbeau en m'adressant un clin d'œil alors j'enchéris.
– Oui ! Surtout que tu ne nous parles jamais de ta vie sentimentale ! sous le comptoir, mon acolyte tape son poing contre le mien quand notre victime capitule.
– D'accord. Si je vous le dit vous irez faire les gamins ailleurs ? je lance un regard vers Craig qui acquiesce.
– Aller, accouche !
– Je vais au cinéma avec Squall.
– Oh ! j'avais raison. Je suis un peu choquée mais très contente.
– C'est un rendez-vous amoureux ? je ne peux pas m'empêcher de demander. Un pincement sur ma main gauche me rappelle que je ne suis pas censée savoir ça. Je place ma main devant ma bouche tout en lançant un petit regard désolé vers Craig qui soupire. Narcisse aussi regarde son ami mais je peux lire une pointe d'agacement dans son regard.
– Tu lui a tout dit ?
– Juste un peu ?
– Craig !
– Eh ! C'est notre amie !
– Si je voulais le lui dire, je l'aurais fait ! s'énerva le concerné avant d'attraper un carton et de l'emmener dans l'arrière-boutique. Deux secondes plus tard, ce fut un Jeff mécontent qui passa en nous fusillant du regard.
– Bah bravo p'tite tête !
– Comment ça ? Tu crois que c'est de ma faute ? je pose mes mains sur mes hanches et fronce les sourcils. Il ne manque pas de toupet celui-là !
– Tu m'as carrément supplié de tout t'avouer ! se défend-il.
– Et alors ? Ce n'est pas une raison ? Tu racontes toujours tout si on te supplie ?
– Non. Ça ne m'arrive qu'avec les filles vraiment très jolies... répond le corbeau avant de m'adresser un clin d'œil. Il m'a énervée aussi ! Je quitte la boutique d'un pas pressé mais je l'entend crier dans mon dos.
– Je passe te chercher à vingt heures ! Sois prête p'tite tête !
Je déambule dans les rues. Vingt heures hein ? Je regarde mon portable : il est déjà dix-huit heures. Je vais rentrer et me doucher, j'aviserai plus tard. Quelle idée d'aller à un rendez-vous avec Craig ! Ou alors ce n'est qu'une simple sortie et c'est moi qui me fait des idées ? J'en sais rien. Mon seul et unique petit ami a été Dane et il était plus vieux. Je n'ai donc aucune connaissance sur ce que font les gens de mon âge. Et zéro expérience à mon compteur. Une vraie novice. Mais en même temps, je n'avais jamais envisagé de me séparer de Blast. Je pensais qu'on vivrait heureux ensemble jusqu'à la fin des temps et plus encore. J'étais sûrement un peu trop jeune et naïve ? Enfin, je suis toujours jeune mais moins naïve. Je crois.
À dix-neuf heures cinquante je suis prête ! J'ai mis une simple jupe noire avec un t-shirt rouge et une paire de chaussures rouges elles aussi.
– Tu sors ? me demande Esther en me regardant descendre l'escalier. J'hoche la tête.
– Où ça ?
– En ville. avec Craig ! voyant qu'elle ne comprend pas de qui je parle j'imite une cigarette.
– Celui au crâne rasé ? Et à l'air mauvais ? je rigole.
– Oui, exactement lui.
– Je n'aime pas ce garçon... je la regarde en haussant un sourcil. Comment peut-elle ne pas aimer Craig alors que c'est l'une des personnes les plus gentilles de cette planète ?
– C'est parce que tu ne le connais pas !
– Même sans le connaître, il a une tête qui ne me revient pas. En plus il est grossier... À notre fête d'anniversaire il n'arrêtait pas de coller plein de filles et de les embrasser.
– C'est son genre ouais mais il ne ferait pas de mal à une mouche. Tu veux sortir avec nous ? Pour le voir par toi-même ?
– Sortir ? Non. J'ai des devoirs à faire ! elle me regarde en fronçant les sourcils et je lui souris.
– Aller quoi ! On ne rentrera pas tard, promis ! au moment où elle ouvre la bouche pour me répondre, on sonne à la porte. Ça doit être Craig. Je souris à Esther et sautille jusqu'à la porte.
– Hey p'tite tête ! s'exclame-t-il en ébouriffant mes cheveux.
– Arrête ça ! Je me suis coiffée ! on se tape dans la paume puis je l'invite à entrer le temps de chercher Esther.
Je n'ai pas réussi à la faire venir avec nous. Elle m'a dit qu'elle devait vraiment réviser et que Jasper passerait sûrement la voir alors j'ai abdiqué.
– On va où ? je demande à Craig en regardant le ciel. Il fume une cigarette et hausse les épaules.
– J'avais une idée mais je suis pas sûr que ça te plaise vraiment...
– Dis toujours ?
– Tu voudrais pas qu'on... Espionne un peu Narcisse et ton pote, Chop ? il baisse ses grands yeux bleus dans les miens et me fixa un long moment, attendant ma réponse. J'éclate de rire malgré moi.
– Sérieusement ?
– J'ai envie de savoir comment ils se conduisent quand ils sont ensemble ! J'veux voir si ton pote est gentil avec Narssos !
– Quoi ? Bien sûr qu'il... Oh attends... c'est vrai que Squall n'est pas du genre à être gentil en fait. Il est surtout très maladroit dans le genre sentimental. Même avec moi, il a souvent de la peine à être gentil. Vraiment, il n'est pas très fort. Alors avec Narcisse ? Il faut que je vois ça !
– Okay ! Ça marche ! Tu sais où ils vont ?
– T'inquiète ! me répond-t-il simplement en souriant. Je sens que cette soirée va être plus fun que je ne l'imaginais.
– Cours ! Mais putain, cours ! s'énerve Craig en détalant devant moi. Il est drôle lui, mes jambes sont plus courtes ! Et je n'ai pas l'habitude de tant d'exercice ! Tout d'un coup, il se retourne brusquement et m'attrape par la taille.
– Eh ! Tu fais quoi ?
– Si tu te dépêches pas, ils vont nous rattraper ! s'exclame-t-il en me portant contre lui comme une princesse. Il avance vite mais je me sens balancée contre son torse, je mentirais si je disais que je n'ai pas peur de tomber.
Tout allait bien, on avait réussi à suivre Squall et Narcisse au cinéma. Ils avaient choisit un film d'action avec des voitures. Ils rigolaient ensemble, ce qui est assez rare chez eux deux pour que ce soit souligné, et partageaient même leur pop-corn ! Narcisse le regardait beaucoup alors que Chop était très concentré sur le film. C'était plutôt mignon à voir.
Mais notre plan a merdé quand on est sortis du cinéma. Ils nous ont repérés alors qu'on était camouflés derrière des poubelles. Craig m'a reproché que c'était à cause de mon t-shirt rouge. Je lui ai rétorqué que c'est parce qu'il était trop grand. Et là Squall nous a dit « si je vous attrape, vous êtes morts. » et Narcisse a acquiescé alors on s'est enfuis en courant. J'aurais peut-être dû éviter de leur lancer des pop-corn dessus durant le film...
– C'est bon ! Y'a plus personne derrière ! je m'exclame en regardant par dessus l'épaule de Craig après dix bonnes minutes de course. On est arrivés sur la plage. Il me laisse tomber dans le sable avant de s'étaler à côté de moi, complètement essoufflé et en sueur.
– Tu cours vite.
– J'aurais pu courir encore plus vite si je ne portais pas une veste en cuir et un boulet ! je lui lance une poignée de sable dessus.
– C'est moi que tu traites de boulet ? il ricane et se lève d'un coup, m'enlevant mes chaussures.
– Qu'est-ce que tu fais ? je m'exclame en le voyant tirer mes chaussettes.
– Ce serait bête que t'attrapes un rhume ! il me fait un clin d'œil puis, sans m'avertir, m'attrape une nouvelle fois par la taille avant de me balancer dans l'eau glacée. Je ne peux m'empêcher de lâcher un hurlement sonore qui fait s'envoler des mouettes. Craig est sec et hilare.
– Oh tu vas voir ! je me relève et fonce sur lui en essayant de lui enlever son blouson et ses chaussures mais elles sont hautes et à lacets ce qui est beaucoup plus compliqué.
– Alors p'tite tête, tu veux retourner jouer avec les poissons ? il rigole à gorge déployée avant d'enlever de lui-même ses vêtements et de courir jusqu'à l'eau, n'ayant gardé que son boxer. Il est fou.
– Bah, tu viens ? Elle est pas si froide si tu bouges ! je le vois disparaître sous les vagues et décide de me déshabiller à mon tour pour le rejoindre.
Si ce matin on m'avait dit que j'espionnerai mes meilleurs amis et que ça finirait en bain de minuit dans l'océan, je n'aurais jamais pu le croire.
J'éternue tout en séchant piteusement mes cheveux et Craig est étalé dans le sable juste à côté de moi.
– Pourquoi tu fumes ? je demande en le voyant sortir une cigarette de son paquet. Il me regarde un moment puis hausse les épaules.
– A la base c'était pour mourir, je crois. Maintenant, je sais plus trop. Peut-être que c'est une façon de me prouver que je suis toujours en vie ?
– Mourir ? il me sourie mais je vois bien dans son regard qu'il est triste. J'ouvre la bouche pour lui dire de ne pas se forcer à en parler mais il me coupe dans mon élan.
– J'avais quinze ans et j'étais vraiment très triste. J'ressentais aussi un profond dégoût de moi-même. Mais j'ai été trop lâche alors j'ai décidé de... Me tuer à petit feu ? il fixe les vagues.
Sa main droite joue avec le sable tandis que la gauche tiens sa cigarette allumée. Un léger filet de fumée s'échappe de ses lèvres et je me demande si à chaque expiration il sent une partie de son âme qui s'envole. Le dégoût de soi hein ? Je l'ai aussi goûté. Cette envie qu'on a de se faire du mal. On se déteste mais on arrive pas à changer. Et même si on y arrive, les autres sont là pour nous remettre en mémoire ce qu'on était auparavant.
Je n'avais jamais pensé que Craig puisse ressentir ça. Lui qui semble toujours de tellement bonne humeur, prêt à aider tout le monde. Je l'imagine recroquevillé sur lui-même dans sa chambre. Est-ce qu'il pleurait souvent ?
– Et maintenant ? ma main gauche joue avec le sable. La droite aussi.
– Maintenant ? Je me sens mieux. Y'a des jours où je replonge mais... En général je me sens bien. nos doigts se rencontrent sous le sable, il les emmêle.
– Si jamais... Tu te sens à nouveau... Comme ça. T'es pas tout seul. J'suis là pour toi, Craig. il plonge ses yeux dans les miens et serre doucement ma main sous le sable.
– Merci p'tite tête. Vraiment. je vois bien qu'il veut rajouter quelque chose mais qu'il n'y arrive pas.
– C'est normal, j'ai connu ça aussi. Et je sais ce que ça fait de se sentir incroyablement seul. Comme si on se noyait dans notre propre désespoir, hein ? il acquiesce et je sors nos mains du sable.
– Colombe ? mon visage se tourne vers lui et j'arque un sourcil.
– Je te promet de faire en sorte que plus jamais tu ne ressentes ça.
– Craig...
– Et si j'échoue, tu auras le droit de me jeter dans l'eau froide ! il rigole et me fait un clin d'œil.
Voilà le Craig que je connais. C'est ce que je me dis. Pourtant je sais que, tout au fond de lui, se cache encore l'adolescent qui se déteste. Les étoiles brillent au dessus de nos corps mouillés et le sable qui se refroidit lentement. Sa cigarette rougit dans la nuit et, silencieusement, sa main me raconte une histoire. Celle d'un enfant qui n'a pas eu de chance. Et je l'écoute.
– Colombe ! Je me suis inquiétée ! Tu avais dit que tu ne rentrerais pas tard ! Et toi, tu n'es pas rentrée du tout ! cela fait seulement quinze minutes que je suis revenue à la maison mais Esther me crie déjà dessus. Il est midi et je sais bien que j'aurais dû lui dire que je ne rentrerai pas mais je n'y ai pas pensé. Comme on était fatigués et que Craig habitait plus près, on est allés chez lui.
– Mes parents et mes sœurs sont chez des amis, ils vont sûrement rentrer demain matin. m'a-t-il expliqué avant de m'emmener dans sa chambre pour me prêter un pyjama. J'ai été très étonnée en la découvrant ; je l'imaginais très sombre mais en réalité c'est une grande pièce lumineuse meublée d'un grand lit double, d'un bureau, d'une penderie et de tes d'instruments. Et quand je dis un tas c'est qu'il y en a beaucoup. Batterie, guitare, basse, clavier, ukulélé, trompette, j'en passe et des meilleurs.
– Je ne savais pas que tu jouais de tout ça ! je me suis exclamée et il a sourit.
– Oh tu sais, je suis un peu touche-à-tout ! et tout en disant ça, il m'a passé un t-shirt à lui, à l'effigie d'un vieux groupe de disco, et un short à sa sœur. J'ai appris qu'il en avait deux, des jumelles ayant quinze ans: Liz et Bea. Il m'a montré des photos de sa famille puis on est retournés dans sa chambre.
– Joue-moi un truc ! lui ai-je demandé en faisant ma mine de chien battu.
– Euh... hésita-t-il en se grattant la nuque.
– Aller ! Je vais sûrement mourir d'une pneumonie par ta faute ! C'est au moins la moindre des choses ! il a finalement capitulé et a attrapé sa basse. Je me rappelle m'être endormie sur Nothing Else Matters.
– Esther, je suis désolée. J'aurais dû te prévenir mais j'étais vraiment claquée alors j'y ai pas pensé. Ça te va ? elle fronce les sourcils puis soupire. Pourquoi est-ce qu'on dirait ma mère alors qu'elle n'est que ma sœur ?
– Oui mais... Penses-y la prochaine fois !
– T'inquiète pas ! elle me lance le regard de la sœur inquiète puis me sourit. Je suis contente que nous nous entendions mieux même si parfois elle m'énerve toujours un peu. Je sais qu'elle fait des efforts et qu'après tout ce qu'elle a enduré c'est difficile pour elle. Mais je suis heureuse de voir qu'elle va bien.
Avec l'argent que maman a gagné, elle lui paye un psy. Je n'ai jamais été convaincue par leur efficacité mais je pense que cela peut aider Esther de se confier à quelqu'un.
Aujourd'hui, ma mission est d'éviter Narcisse et Squall. Je crois qu'ils ont découvert que c'est moi qui leur a lancé des pop-corn dessus pendant le film et puis ils avaient l'air fâchés qu'on les aie espionnes hier soir donc... Vaux mieux les laisser se calmer ! Je crois que je vais aller rendre visite au club de théâtre, ils sont plutôt marrants et je préfère passer du temps avec eux plutôt que de m'ennuyer dans cette grande maison.
J'accompagne Esther au lycée pour l'après-midi. Normalement, je n'aurais pas le droit d'entrer dans un établissement privé comme ça mais j'ai obtenu une dérogation spéciale de la part d'Apolline qui est en fait la petite fille du directeur. Ça m'arrange bien moi, ça me permet de m'occuper quand je m'ennuie. La plupart du temps, ils me demandent de les aider avec les décors ou servir de mannequin pour les costumes de Nemmie. Sinon, je m'assieds dans la salle et les observe. J'aime bien faire ça.
Je m'installe au fond de l'auditorium aujourd'hui et observe le club de théâtre qui travaille. Nemmie saute partout, faisant bouger ses couettes bouclées dans tous les sens. De l'autre côté de la scène, Achille reste droit, la tête bien haute. Il a le rôle du prince. Nemmie... Je ne sais pas trop quel rôle elle joue mise à part être la costumière. Esther quant à elle a été affublée d'une robe avec un milliard de jupons. Elle se déplace avec aisance sur la scène, des livres posés sur le crâne. Jasper est assis au premier rang avec David et Apolline. Ils rigolent ensemble.
Enfin, pas le führer du club. Je ne suis pas sûre qu'elle sache sourire. Elle me fait peur en fait. C'est une gentille personne mais son regard a quelque chose de transcendant, j'ai toujours l'impression qu'elle sonde mon âme ! Alors j'évite de m'approcher d'elle. Je préfère traîner avec les autres en fait.
David est plutôt sympa aussi dans son genre. Mais celui qui m'intrigue le plus, c'est Achille.
Quand il discute avec Jasper, David ou tout autre garçon il est rayonnant. Il rigole fort et sourit à tout va. Mais quand il s'agit de parler à une fille, on dirait une autre personne.
Alors que je continue de les observer en silence, mon téléphone se met à vibrer dans ma poche. C'est un message de Squall.
« On a déjà retrouvé Craig, t'es la prochaine sur la liste le piaf. On arrive pour toi. »
Je pouffe. On dirait une menace de mort. Tout ça pour quelques pop-corn ! Il abuse ! Mais je l'imagine très bien avec son air sévère en train de taper ce message sur son portable, ses narines écartées et ses sourcils froncés. Tout à fait son style.
J'hausse les épaules et me faufile entre les sièges jusqu'à la sortie. Personne ne m'a repérée sauf Achille qui me fait un petit signe de la main. Je souris et y répond en posant un index sur ma bouche. Puis je quitte la salle. Les couloirs sont déserts vu que les cours ont encore lieu. Il est seulement quatorze heure après tout, le jour est encore jeune.
Je me suis un peu baladée dans le bâtiment et dans la cour avant de sortir de l'enceinte de l'école. Squall a dit qu'ils allaient venir me chercher alors je vais les attendre ! Je m'assieds sur un banc, les jambes touchant à peine le sol et patiente. Quelques minutes à peine plus tard, je les vois. Squall en tête, ses sourcils froncés. Suivit d'un Narcisse très nonchalant comme d'habitude mais qui a pourtant l'air de s'amuser. Et enfin Craig, les mains dans les poches et l'air bougon. Quel curieux cortège.
– Le pop-corn était bon ? je demande en m'approchant d'eux, ne pouvant m'empêcher de sourire.
– Ça te fait rire, hein ? Oiseau de malheur ! grogne Squall, ébouriffant rudement mes cheveux.
– Vous nous avez tous les deux, qu'est-ce vous allez nous faire maintenant ? mon ami d'enfance lance un regard entendu à Narcisse et il m'attrape d'un coup avant de me balancer sur son épaule, en sac à patate.
– On a une surprise pour vous ! je rigole tandis qu'il me ballote ainsi.
– Salut Craig, ça gaz ? il est juste en face de moi dans cette position.
– Hey, Colombe. Ça va ouais. il a l'air moins boudeur qu'avant mais ne parle toujours pas beaucoup. Ils l'ont torturé ou quoi ? Tout ça est louche.
On arrive sur la plage et Squall me laisse enfin descendre. Quoique le terme tomber serait plus approprié. J'essuie mes fesses pleines de sable et me relève.
– Bah alors ? Elle est où notre surprise ? les trois garçons me regardent puis se jettent sur moi en même temps. Ils m'enlèvent mes chaussures et me jettent dans l'eau sans concessions.
– Craig ! Espèce de traitre ! je m'époumone en tentant de me relever mais les vagues sont trop fortes et je rigole tellement que je n'ai plus aucune force en moi.
– Je t'ai sacrifiée pour la bande ! Vois ça comme un grand acte ! me réplique le corbeau depuis la bande de sable. Je tape du poing contre l'eau.
– Quelle bande ? On travaille en duo, espèce de con !
– Et bien considère que tu m'as sauvé la peau, beauté ! il est tellement hilare qu'il doit se plier en deux et prendre appui sur ses genoux. Narcisse aussi pouffe, la tête penchée sur le côté et l'air désolé. Quant à Squall, il a son téléphone sortit et s'amuse à me filmer pendant que je tente de me dépatouiller. Voilà une belle brochette de crétins !
J'ai rampé hors de l'eau et Narcisse, ce bon Narcisse, m'a rendu une serviette sèche. Il m'a même enroulée dedans. Maintenant, on est assis tous les deux sur le sable. Craig et Squall se courent après dans l'eau et s'amusent à construire des châteaux de sable. Deux grands enfants.
– Et alors ? Avec Chop ? je me tourne vers le glaçon à côté de moi et sourit.
– Q-quoi avec Chop ? Il n'y a rien avec Chop. il lance un regard pas vraiment discret en direction des deux garçons.
– Craig m'a dit... Et vous êtes allés au cinéma ensemble ! Il dit bien y avoir quelque chose, non ? je le taquine en donnant des petits coups dans ses côtes. Il baisse finalement la tête en soupirant mais un tout petit, voire minuscule, sourire prend place sur ses lèvres.
– C'est juste que... Je lui ai demandé de m'accompagner parce qu'à priori vous étiez tous occupés. Enfin, c'était mon excuse. Et je lui ai expliqué que je voulais qu'on fasse la paix, un peu. Il a accepté et...
– Hey ! Mister Freeze, le piaf, vous venez ? nous lance Squall depuis l'eau, coupant Narcisse dans son histoire. Pendant ce temps, Craig est en train de marcher sur les mains quand une vague le heurte et le fait tomber. Je rigole et regarde le blanc-bec qui se trouve à côté de moi. Je jurerais que ses joues ont rosit !
Je secoue la tête en riant.
– Non, on vous rejoint après ! le métisse hausse les épaules et court jusqu'à Craig qui est toujours à terre.
– Bon, allez, explique la suite ! je me retourne vers Narcisse qui se gratte le front timidement.
– Y'a pas vraiment de suite, tu sais...
– Il t'aime bien ?
– Je sais pas... il baisse la tête regardant son index qui trace des cercles dans le sable avant de la relever et de me regarder.
– Et toi alors, avec Craig ?
– De quoi tu parles ?
– Vous êtes sortis ensemble hier soir, non ? Et puis il arrête pas de te regarder. fronçant les sourcils, je me retourne vers les deux idiots qui se courent après sur la plage. Il ne me regarde pas. Et même, ça ne veut rien dire ! C'est dans sa nature d'être dragueur.
– Craig regarde plein de gens. je le pointe du doigt: ils se sont arrêtés de courir et le corbeau s'est accroupi à côté d'une petite fille qui pleure. Toujours la même étincelle dans le regard. Elle ne change pas.
– Non, Colombe. Quand il parle de toi alors que t'es pas là, il scintille. Je suis content que t'aies cet effet-là sur lui, tu sais ? Sa vie est pas facile. je sens mes joues qui chauffent et souffle; il scintille ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Craig est quelqu'un d'éclatant, c'est sûr. Quand il entre dans une pièce, ça s'illumine. Toujours là pour embellir une ambiance morose. Mais je ne comprends pas comment il pourrait être scintillant en parlant de moi ?
– Je pige pas, Narcisse.
– Il t'aime plutôt bien. Tu le rends heureux. attendez, quoi ?
– Mais... je ne sais pas quoi dire. Alors comme ça le rendez-vous de la veille était un vrai rendez-vous ? Et comment ça « il m'aime plutôt bien » ? Non, impossible. Impensable ! Le visage chaud, je me lève et me tourne vers Narcisse.
– Je-j'ai oublié mais Esther a besoin de moi à la maison. Je dois y aller, salue Squall et C-Craig pour moi ! je lui fais un petit signe de la main et pars en courant, mes chaussures dans une main et mes chaussettes dans l'autre.
J'ai paniqué, je l'avoue. Mais Craig n'est que mon ami ! J'aime encore Dane, moi. Enfin, non. J'ai réussi à l'oublier un peu mais tout de même. C'est... nouveau pour moi, tout ça. Et je ne veux pas gâcher une amitié à cause de sentiments ! Mais comment le lui dire ? Je ne suis même pas censée être au courant... J'aime passer du temps avec lui, c'est incontestable. J'aime bien tenir sa main, être sur la place et l'écouter jouer de la basse.
– Reprends-toi, Colombe Tyrfedd Bowman ! je frappe gentiment mes joues et pousse un gros soupir avant de remettre mes chaussettes et mes chaussures. Je regarde où mes jambes m'ont conduite : un simple quartier résidentiel. Et bien sûr... J'ai oublié mon téléphone sur la plage. Soufflant, je continue alors d'avancer dans cette allée espérant déboucher sur une rue ou une avenue mais j'ai beau tourner en rond, il n'y a rien. Seulement le chemin par où je suis arrivée et... Je ne me rappelle plus lequel c'était. Ce quartier est pire qu'un labyrinthe ! Il y a des tas de petites rues mais aucune ne mène à l'extérieur ! Je vais mourir ici !
J'ai enfin trouvé une allée pour sortir de là. Ça devait bien faire trois heures au moins que je tournais là quand je suis tombée nez-à-nez avec vieille dame. Je lui ai expliqué mon problème, elle a rit puis m'a conduite en dehors de ce quartier infernal. Je l'ai remerciée et me suis directement rendue à la station de métro la plus proche. Ça faisait longtemps que je n'avais plus fais le tour d'une ligne alors je me suis juste assise en observant les gens. Comme avant. Avant Esther, avant tous ces bouleversements, avant Dane, avant Narcisse et Craig aussi. Ça me fait bizarre de me dire que tout change. Enfin ! Il y a six mois si on m'avait prédit tout ce qui allait m'arriver je n'y aurais pas cru une seule seconde.
Des gens descendent du wagon et une bande de jeunes y montent. Il n'y a que des garçons qui rigolent grossièrement. Comme s'ils étaient seuls au monde. À côté d'eux se trouve une fille qui doit être à peine plus vieille que moi. Ils la taquinent et je vois bien qu'elle n'est pas à l'aise avec ça. Elle tente de les repousser mais ils insistent. Alors pour combler mon besoin de justice et mon ennui je me lève et m'approche d'eux.
– Eh laissez-la tranquille ! je lance, pleine d'assurance. Un peu trop d'ailleurs parce que l'un d'entre eux se tourne vers moi et ricane.
– Qu'est-ce que tu veux, blondie ?
– Cette fille a pas l'air de s'amuser avec vous, elle vous a déjà dit non alors laissez-la. la jeune femme me remercie silencieusement.
– Sinon quoi ? il s'abaisse à mon niveau et me sourit. Et je dois dire qu'il me fait peur. Je suis prête à rétorquer quand une tête que je connais sort de nulle part, un sourire maladroit aux lèvres et une main posée sur la nuque.
– Hey, laisse Mac, j'la connais.
– T'es sûr, Ach' ?
– Ouais. C'est mon amie... Salut Colombe !
– Attends Achille tu harcèles des filles dans le métro maintenant ? il lance un regard paniqué vers ses amis et à ce moment le métro s'arrête et ils sortent.
– A demain, Ach' !
– A-à demain, Mac...
– Alors ? il passe ses doigts fins sur la cicatrice qui parcoure son visage et s'apprête à me répondre mais le wagon se remet en route et il me chavire littéralement dessus. Nous tombons tous les deux, ma tête heurtant un coin de siège. Les gens nous regardent en riant et lui, à cheval sur moi, se met à devenir aussi rouge qu'une tomate. Non, même une tomate ne serait pas autant rouge ! Il est cramoisi et tente de se relever mais à chaque fois une nouvelle secousse nous ramène à terre.
– Oh mon dieu ! C-Colombe tu saignes ! s'exclame Achille après une énième tentative. Je le regarde sans comprendre. Tremblotant, il attrape ma main et la pose sur l'arrière de mon crâne. C'est humide et chaud et...
– Oh mon dieu je saigne ! malgré moi, j'ai hurlé.
Achille et moi sommes descendus du métro dès l'arrêt suivant. On était autant paniqués l'un que l'autre. Il a enlevé sa chemise pour me faire un bandage. Heureusement qu'il portait un t-shirt en dessous !
– M-ma maison est à quelques pâtés d'ici... a-t-il bredouillé.
J'ai acquiescé et l'ai suivi et nous voilà chez lui. Il m'a fait un super bandage avec des compresses. Ses mains tremblaient mais ses gestes étaient dignes d'un expert.
– T'es un pro ! dis-je en rigolant, observant ma tête enrubannée dans le miroir. Il me sourit timidement.
– Mon oncle est m-m-médecin donc... J'ai quelques notions en matière de bandage de tête.
– Oh je vois ! Et tes parents ils font quoi ? il se gratte la tête et détourne le regard avant de passer brièvement ses doigts sur la cicatrice qui traverse son visage.
– Ils sont en voyage. il soupire avant de secouer la tête et de reprendre.
– En fait n-non. Ils sont morts il y a trois ans. ses paupières se ferment me cachant ses beaux yeux vairons. Je fais une moue. Le pauvre.
– Donc tu habites avec ton oncle et ta tante ?
– Ex-xact. Et Némésis aussi. j'opine du chef et lui sourit. Nous sommes face à face et je vois que son teint rougit légèrement.