Le triste club des aspirants astronomes

one shot original


Espagne.

C'était l'été. Il faisait chaud, comme d'habitude. Pablo détestait les températures élevées. Il détestait se sentir poisseux à cause de la sueur et être contraint de se planquer à l'ombre au risque de se faire brûler la peau. Son visage, plutôt enfantin pour un garçon de son âge, laissait constamment paraître son ennui. Sa grand-mère lui proposa d'aller à la plage. Plus un ordre qu'une proposition d'ailleurs. L'adolescent, bien obligé d'obéir à la vieille femme emporta une serviette et descendit le village sur sa vieille bicyclette.

Les rues cabossées faillirent le faire tomber plus d'une fois mais il avait l'habitude et il parvint en bas de la colline sans encombres. À droite s'étendait la suite du village. Un encombrement de maisons étroites et de rues escarpées qui s'emmêlaient comme des cordages. Là-bas, que des vieux aussi tordus et usés que les pavés y menant. Une odeur singulière d'épices, de tabac et d'ancien. Pablo aimait bien observer la vie s'y dérouler. Tout allait au ralenti, ça l'apaisait.

Mais de l'autre côté, se trouvait la plage. Elle n'était pas large ni très impressionnante. Le sable blanc se mélangeait aux petits cailloux et deux énormes rochers l'encadraient, comme pour dire « c'est tout ce que vous aurez, contentez-vous en » ! Ce n'était pas vraiment agréable. Il n'y avait pas d'ombres et les rares autres adolescents des environs y passaient leurs journées. Ils s'amusaient tous entre eux. Ne lui offrant que des regards interrogateurs ou dédaigneux. Il ne leur avait jamais adressé la parole ; ce n'était pas son genre. Il connaissait leurs parents, leurs grands-parents. Il les voyait à l'église, se baladant dans les rues. Il connaissait leurs prénoms. Mais eux, savaient-ils seulement qu'il existait ?

Haletant à cause de la chaleur et de l'effort, Pablo poussa son vélo rouillé jusqu'au bout de la plage, là où le plus gros des rochers dominait la plage de toute sa hauteur et le laissa tomber dans le sable. Il étendit sa serviette puis soupira. Il passait l'été chez ses grands-parents depuis ses sept ans. Et depuis tout ce temps, personne n'avait pensé à lui en racheter une autre. C'est donc avec dépit qu'il s'installa sur la ridicule tête de tigre crachant des flammes. Il n'avait rien pris pour s'occuper et il n'avait rien prévu de faire. Il s'allongea donc sur le ventre contre le sable brûlant et ferma les yeux. S'il dormait, le temps passerait plus vite. Mais les éclats de voix l'en empêchait. Ils n'étaient même pas dix mais ils faisaient autant de bruit qu'une foule entière. Gianna, la fille de l'épicier et Adella, sa cousine, rigolaient côte-à-côte allongées sur des serviettes de plages assorties. Jouant au volley sans même avoir de filet, Rafael, Alejo et Marceau s'envoyaient la balle en faisant briller leurs biceps bien développés. Et dans l'eau, Soledad et Pacho se laissaient porter par le courant. La joyeuse bande passait aussi tous leurs étés ici depuis plus de dix ans. Mais aucun d'eux n'avait jamais pensé à inviter Pablo. Il ne comprenait pas. Il s'était posé la question plus d'un million de fois. « Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ? » Jamais la réponse n'était venue.

Quand il était plus jeune, les distractions se faisaient plus faciles. Il suffisait d'une seule découverte pour rendre son été passionnant. Mais maintenant, tout l'ennuyait. Les couchers de soleil n'avaient plus cet effet hypnotisant. Les remous de l'océan n'étaient plus si exaltants. Non. Il ne restait plus que lui, coincé dans son t-shirt rempli de sueur et ses cheveux noirs plaqués sur son front rempli de boutons disgracieux. Non, décidément il détestait l'été.

Alors qu'il réfléchissait à ce qu'il pourrait bien faire pour s'occuper durant la semaine qu'il lui restait, un bruit attira son attention. Il souleva une paupière mais fut incapable de trouver sa provenance. Il ouvrit alors les deux yeux et se redressa. Les adolescents, s'exclamaient au loin en pointant dans sa direction. Pris de panique, il déglutit et se redressa. C'est alors qu'il tomba. Pas lui, pas Pablo. Mais l'autre garçon.

C'était la première fois que Pablo le voyait. Il paraissait différent des autres. Avec ses grands yeux bruns cachés derrière de longs cils et sa peau claire, à peine bronzée, il n'était pas du coin. Et il venait de dégringoler du ciel. C'était étrange de se retrouver avec un garçon à ses pieds. Un garçon qui le fixait en souriant. Pourquoi souriait-il ? Il venait de tomber ! Il devait s'être fait mal ! Mais Pablo n'eut pas le temps de parler que déjà, la bande de jeunes accourait à la rescousse de l'inconnu. C'était rare qu'il puisse les voir de si près. Figé, il n'osait plus rien faire.

– Comment ça va ? demanda Gianna en replaçant délicatement une mèche rebelle derrière son oreille. Elle faisait des manières sans jamais s'en rendre compte.

– Aidez-le ! Il faut voir s'il n'a rien ! s'exclama Marceau dans son espagnol approximatif qui les faisait si souvent rire. Bien que son grand-père soit natif du village, lui vivait en France avec ses parents.

– Et toi ? Tu n'as rien ? pour la première fois de sa vie, Alejo lui adressait la parole. Pablo, surpris, acquiesça. L'adolescent lui sourit et tous s'accroupirent autour de l'étranger. Il avait des cheveux blonds lui arrivant au milieu du dos et portait un short de bain aux couleurs criardes. Pablo était certain de n'avoir jamais vu personne porte un maillot d'un vert si remarquable. Ses lunettes de soleil, rouges, en forme de triangles, s'étaient écrasées à côté de lui. Pablo les ramassa dans l'optique de les lui rendre. Mais voyant qu'il ne répondait pas à leurs questions, les autres décidèrent qu'il valait mieux l'emmener chez le père de Rafael qui faisait office de médecin dans la région.

L'adolescent les regarda partir, démuni, n'étant pas sûr d'être encore utile. Après tout, il ne faisait pas partie de leur bande. Il n'avait ni aidé à porter l'inconnu ni ne s'était inquiété pour lui. Il n'avait pas sa place chez Rafael avec les autres. Il décida de remballer sa serviette, enfourcha son vélo et reparti. Jusqu'à chez lui, il oublia la présence des lunettes rouges dans la poche de son short. A vrai dire, il ne se rendit compte de son vol que quand il se déshabilla pour aller se doucher. Honteux, Pablo passa vingt minutes à réfléchir au meilleur moyen de retrouver l'inconnu pour les lui rendre.

Finalement, il se dit que demander à sa grand-mère serait la meilleure des solutions.

– Abuelita ? s'asseyant sur une chaise à côté de la vieille femme il la regarda finir ce qu'elle faisait, une écharpe en tricot, avant de lui répondre.

– Oui Pablito ? elle releva ses sombres iris bleues, les mêmes que celles de son petit-fils, et les planta dans son regard.

– Tu ne saurais pas par hasard s'il y a de nouveaux résidents ?

– Mhhhh non, il ne me semble pas. Mais le petit-fils de madame de Soto est là pour les vacances. Pourquoi donc, mon cœur ?

– Euh pour rien ! Juste par curiosité.

– Curiosité ? Ce n'est pas habituel ça. Continue ! Intéresse-toi ! Tiens, prend ce crayon et ce carnet. Note tout ce qui te semble curieux. Tu verras, la journée passera plus vite ! l'adolescent aurait voulu rétorquer qu'il venait de se doucher et qu'il n'avait pas envie de retourner dehors, sous la chaleur écrasante, mais les yeux de sa grand-mère pétillaient trop pour refuser. Il attrapa donc ce qu'elle lui offrait et soupira en sortant de la maison.

Il ne savait pas dessiner et son écriture lui semblait affreuse. Que pourrait-il bien faire avec ça ? Il décida de se balader dans les ruelles tordues et de voir ce qu'il pourrait bien rapporter à son abuelita. Elle avait toujours trop d'espoirs pour lui. En même temps, il était tout ce qu'il lui restait avec son grand-père. Mais le vieillard était bougon et peu bavard. Pablo ignorait comment ils avaient fait pour se supporter pendant autant d'années tant ils étaient différents. Cela lui semblait irréel. Mais bon, la plupart des habitants de ce village n'avaient connu qu'un seul amour durant leur vie. Il y avait peu de nouvelles personnes. Rien que les mêmes visages travaillés par le temps.

– Pablito ! Viens là mon garçon ! Tu as tellement grandi ! la voix de crécelle de madame Torrez le fit sursauter, causant la chute de son crayon. Il le ramassa et se retourna vers la vieille dame qui le fixait de ses yeux globuleux, affichant un large sourire édenté. Elle n'était pas méchante mais Pablo n'aimait pas ses manières. Madame Torrez était la grande-tante de Soledad. Mais elle passait très peu de temps chez elle. Alors la vieille femme se retrouvait toute seule. Elle lui faisait un peu de peine.

– Bonjour, madame Torrez. Vous passez une bonne journée ? demanda poliment l'adolescent en s'approchant. Elle agita furieusement la tête avant de répondre.

– Belle journée pour jardiner ! Mais aïe, aïe, aïe, il fait si chaud ! Ne veux-tu pas m'aider ? elle pointa la lourde brouette en acier rouillé qui se tenait près du potager et lui offrit un autre de ses sourires troués. Pablo aurait bien voulu refuser, prétextant un rendez-vous ou une affaire pressante. Mais il n'avait rien de prévu. Pris de pitié, il acquiesça et passa le portique du jardin. La vieille dame lui expliqua alors qu'il devait vider le contenu en haut de la rue et la ramener. En attrapant les poignées, Pablo regretta immédiatement sa décision. La brouette devait être en plomb tellement elle pesait. Il n'avait jamais été très musclé mais là, c'en était presque ridicule. Néanmoins, il se força à sourire et sorti avec peine de l'enceinte du jardin.

Sentant le regard inquisiteur de la vieille femme braqué sur lui, il poussa du mieux qu'il pouvait. Mais la pente était abrupt et la sueur l'aveuglait presque. Il était à mi-chemin quand un bruit étrange retentit dans son corps. Une douleur lancinante l'attaqua au mollet. Une crampe. Il serra les dents et continua à pousser mais c'était vraiment trop compliqué pour lui. Il allait craquer. Littéralement.

– Eh ! Un coup de main ? devant lui, comme un inespéré messie, l'inconnu apparu. Ses cheveux formaient un halo aveuglant avec l'allure laiteuse de sa peau. Pablo se figea une nouvelle fois mais secoua timidement la tête. Sa voix était surprenamment grave. Elle jurait presque avec son physique. Mais il était fort. Et, avec un peu moins de peine qu'avant, ils réussirent à mener la brouette jusqu'au sommet.

A bout de souffle, Pablo se laissa tomber par terre tout en massant son mollet endolori.

– Esteban. s'exclama l'inconnu en se penchant vers lui.

– Quoi ? Non, moi c'est Pablo. répondit l'adolescent, bien trop intimidé pour lever les yeux. Mais l'autre éclata alors de rire. C'était quelque chose de vraiment doux. Étonnant.

– Je sais. C'est moi qui m'appelle Esteban ! On a pas été présentés ce matin. A la plage. il s'assit face à lui et sourit amicalement.

– Ah oui. Désolé. se redressant légèrement, Pablo croisa son regard et esquissa un sourire gêné. Il était toujours mal à l'aise avec les autres adolescents. Parce qu'il ignorait comment se comporter. Tout avait l'air si facile pour les autres. Alors que lui...

– Ah... Euh... J'ai ramassé ça, ce matin. Elles étaient tombées. Mais je n'ai pas eu l'occasion de te les rendre avant que vous ne partiez. il sortit maladroitement les lunettes de sa poche et les lui tendit. Sa voix était faible et timide. Il se détestait d'être aussi gêné.

– Mes lunettes ! Merci beaucoup ! sincèrement ravi, Esteban reprit sa propriété et posa la monture sur sa tête.

– Bon, redescendons cette brouette chez madame Torrez avant qu'elle oublie nous l'avoir confiée ! il sauta sur ses pieds et reprit le contrôle de la brouette. Mais Pablo avait trop mal au pied.

– A-attends... J'ai une crampe. Et puis elle ne t'a rien demandé à toi tu n'as pas besoin de m'aider...

– C'est vrai. Mais ça me fait plaisir. Aller, monte ! considérant la proposition du garçon, Pablo fronça les sourcils. Où voulait-il qu'il monte ? Dans la brouette ? C'était une folie ! Mais son visage rayonnait. Il y avait chez lui quelque chose d'inconnu, d'étrange, de tentant. Alors Pablo grimpa dans la brouette et s'agrippa aux bords. Pas qu'il ne faisait pas totalement confiance à Esteban. Mais... C'était le cas. Il le connaissait depuis moins de vingt minutes. Peut-être que les autres lui avaient demandé de l'approcher pour le faire monter dans la brouette puis le laisser glisser en bas de la rue et s'exploser le crâne sur les pavés. Peut-être que c'était la fin.

Mais Esteban ne lâcha rien. Il déposa délicatement Pablo devant chez madame Torrez et ils lui rendaient sa brouette ensemble. Puis, passant ses longs doigts fins dans ses boucles blondes, il se tourna vers lui et lui sourit à nouveau.

– Je vais te raccompagner chez toi si tu veux. Ta cheville semble enflée, c'est sûrement plus une entorse qu'une crampe si tu veux mon avis.

– C'est gentil mais... Ce n'est pas la peine ! Tu peux retourner faire ce que tu faisais...

– Le problème c'est que je n'ai rien à faire ! Laisse-moi au moins t'aider ! et sans même lui laisser le temps de répondre il attrapa son poignet et le tira gentiment en dehors de chez la vieille femme.

– Où est-ce que tu habites ?

– En haut de la colline, là-bas. il pointa la maison de ses grands-parents et Esteban acquiesça.

– Ça va ! Ce n'est pas très loin. sans lâcher sa prise autour du poignet bronzé de Pablo, le blondinet guida l'adolescent à travers les rues escarpées. Ici, tout était en bosses, en montées, en descentes. Le soleil tapait encore haut dans le ciel et quand ils arrivèrent devant la maison en pierres bleues, Pablo soupira. Sa grand-mère allait encore faire tout une histoire alors que la douleur s'était pratiquement estompée.

– Merci, c'était vraiment gentil de ta part de me raccompagner. Et de m'aider avec la brouette. il lui offrit un sourire un peu plus sincère et s'apprêtait à ouvrir la porte pour s'en aller quand l'autre garçon le retint par le col de son t-shirt.

– Attends ! Qu'est-ce que tu as prévu de faire demain ?

– Demain ? Rien... Pourquoi ?

– Alors sois prêt à huit heures ! Tu as un vélo, non ?

– Oui. Mais...

– À demain, Pablito ! sans lui laisser une seconde pour réfléchir, Esteban disparaissait déjà sur le chemin de terre, ses longs cheveux blonds se reflétant au soleil. C'était un drôle de phénomène ce garçon. Pablo n'avait pas l'habitude. Mais bon, il n'avait rien d'autre à faire alors pourquoi ne pas donner une chance à cet étrange garçon ?

Le lendemain, Pablo se réveilla à sept heures trente. Partiellement à cause du soleil qui filtrait à travers ses volets et aussi à cause de sa grand-mère qui avait entendu leur discussion de la veille et qui était franchement décidée à venir le sortir de son lit.

– Debout ! Une journée remplie d'aventures et de curiosités t'attends !

– Abuelita... Laisse-moi dormir cinq minutes s'il te plaît...

– Non ! Pas de ça avec moi, Pablito ! elle tira un coup sec sur son oreiller, emportant avec la tête de son petit-fils qui termina sur le parquet.

– Abuelita ! abandonnant la lutte, l'adolescent se redressa et embrassa sa grand-mère avant de se diriger vers la salle de bain. Il ignorait ce qu'Esteban voulait faire de cette journée. Mais ce serait toujours mieux que d'errer dans les rues avec un carnet aussi vide d'idées que sa tête.

Après avoir pris sa douche, il enfila le même short de plage bleu clair que la veille et un t-shirt blanc mais propre. Habituellement, il préférait les couleurs plus ternes mais sa grand-mère refusait qu'il porte du noir, prétextant qu'il aurait encore plus chaud ainsi. Elle lui avait confisqué la totalité de sa valise et l'avait traîné faire du shopping dans la ville voisine. Au moins, ça les avait occupés durant toute une journée.

Avant de sortir, il regarda le reflet fade que la glace lui renvoyait. Il n'aimait pas vraiment ce qu'il voyait. Il se trouvait trop. Ou pas assez. Il soupira et quitta finalement la salle de bain.

Dehors, le soleil n'était pas encore très haut dans le ciel mais cela suffisait amplement à rendre l'atmosphère étouffante. L'adolescent s'assit sur le perron et attacha ses lacets. Il grogna quand il se rendit compte que la semelle droite était toute déchiquetée. A son plus grand malheur, c'était la seule paire qu'il avait pensé à emmener avec lui. Il aurait pu emprunter des sandales à son grand-père mais il n'en avait pas vraiment l'envie et déjà Esteban apparaissait au bout du chemin de terre menant à leur portail.

– Salut ! Ta cheville a l'air d'aller mieux ! s'exclama-t-il en s'approchant. Ses cheveux étaient relevés en un chignon lâche et il portait une salopette noire. Et sur le bout de son nez pendaient les lunettes rouges de la veille. C'était la première fois que Pablo voyait un garçon de son âge aussi décomplexé. Il se sentait un peu décalé par rapport à lui. Mais il ignorait s'il s'agissait de quelque chose de mauvais ou pas.

– Salut, Esteban. Oui, mon abuelita l'a plongée dans la glace.

– Oh je vois, bon réflexe ! il lui offrit un large sourire et l'invita le suivre. Pablo s'exécuta, ne sachant toujours pas ce que l'autre avait prévu de faire. Il espérait juste qu'ils ne rejoindraient pas le reste des adolescents. Il se sentirait bien trop gêné pour pouvoir profiter. Mais à son soulagement, Esteban ne le guidait pas vers la plage. Ils s'éloignaient du village, avançant doucement sur les chemins rocailleux. Une clairière. La forêt qui s'étendait devant eux.

– Où est-ce qu'on va ? demanda finalement Pablo tandis qu'ils entraient dans le sous-bois. Sa grand-mère lui avait toujours formellement interdit de venir ici seul. Alors il connaissait mal la forêt. Et si les autres le savaient ? Si Esteban l'avait entraîné jusqu'ici pour le laisser seul ?

– Je vais te montrer mon coin préféré ! et comme la veille, il glissa sa main délicate autour de son poignet. C'était un geste étranger. Une chaleur satisfaisante. Elle lui donnait le courage qui lui manquait.

– Comment ça se fait que je ne t'aie jamais vu ? Le village est petit et je viens ici depuis que j'ai sept ans. sa voix n'était pas très assurée mais il avait engagé une conversation. C'était déjà mieux que rien.

– Ma mère n'aime pas trop me laisser sortir. Je passe la plupart de mon temps à l'intérieur. C'est pour ça.

– Vous n'allez pas à l'église ?

– Ma grand-mère oui. Mais mamá ne veux pas que j'y aille. Elle pense qu'il faut que je me fasse mes propres opinions.

– Et ton père ? Qu'est-ce qu'il en pense ?

– Il n'a jamais été intéressé par l'église. Ni par notre famille. sa voix s'était éclaircie. Et Pablo baissa la tête, se sentant coupable.

– Désolé.

– Ne t'excuses pas ! Ce n'est pas ta faute si mon père est un enfoiré ! il se tourna vers lui et hocha la tête avant de s'arrêter. Sans un mot, il lâcha son emprise et leva les deux bras en l'air. Trop concentré à trouver les mots pour parler, Pablo n'avait pas remarqué où il l'emmenait.

Autour d'eux, les arbres formaient une ronde. Élégants dans leurs costumes d'écorce et de feuilles, fièrement dressés dans de majestueuses postures. L'herbe sous leurs pieds dansait doucement, motivée par la légère bise. Pour la première fois de l'été, et peut-être même de sa vie, Pablo n'avait pas l'impression de suffoquer. C'était étrange.

– Alors ? demanda joyeusement Esteban en se laissant tomber au milieu des fleurs. Il avait un sourire d'enfant. Des yeux pétillants. S'installant à côté de lui avec plus de délicatesse, Pablo secoua la tête doucement.

– Je te l'accorde, cet endroit est incroyable.

– La nuit. On peut voir toutes les étoiles briller au milieu des branches. Comme une sorte d'océan. Ou une petite mare. Un étang rempli d'étoiles qui scintillent.

– Ça doit être encore plus beau alors... murmura Pablo en attrapant une fleur entre ses doigts. Esteban se redressa sur le côté et braqua son regard sur le visage pensif de l'autre adolescent. Sur un murmure de confidence, il ajouta:

– Et si on revenait demain soir ? On pourrait les observer toute la nuit ! il se pencha un peu plus vers lui et releva ses lunettes. Pablo, gêné par le peu de distance entre eux s'écarta un peu et haussa les épaules.

– Je ne te connais pas. Qui me dit que tu ne veux pas me tuer ? Ou me laisser pour mort ?

– Alors faisons un marché.

– Quoi comme marché ?

– Je pars dimanche. On a qu'à se voir tous les jours jusqu'à samedi. Là, tu décideras si tu veux bien observer les étoiles avec moi ou pas. jaugeant la proposition, Pablo s'étendit dans l'herbe et ferma les yeux. C'est vrai que ce n'était pas une mauvaise idée. Cela l'occuperait pour la semaine à venir et sa grand-mère serait ravie de voir qu'il n'était pas si solitaire qu'elle le croyait. Pourquoi pas. Il releva ses paupières et fut surpris de se trouver nez-à-nez avec Esteban. Littéralement. Il y avait si peu de distance entre leurs deux visage qu'une seule bouffée d'oxygène leur suffisait. Il s'écarta. Et dans les yeux chocolats d'Esteban brillait cette expression si particulière qui lui appartenait.

– Alors ? demanda-t-il, l'appréhension pointant dans sa voix.

– C'est d'accord. Mais j'ajoute une clause.

– Tout ce que tu veux !

– Pas de plage.

– Ça marche ! Pas de plage pour Pablito ! il poussa un petit cri de joie et lui tendit son poing. L'adolescent pressa le sien contre et ils laissèrent leurs jointures blanchies de toucher durant quelques secondes. Assez pour que le contact soit presque agréable.

Ils restèrent couchés dans cette prairie pour le reste de la matinée. Esteban parlait. Pas beaucoup plus que Pablo mais c'était suffisant. Leurs épaules se frôlaient et leurs genoux s'entrechoquaient à chaque éclat de rire. Chez lui, Pablo avait quelques amis. Ce n'était pas une bande énorme. Mais ça lui allait. Ils étaient trois. Et même s'il ne se parlaient pas des vacances, il savait qu'il pourrait compter sur eux à la rentrée. Esteban quant à lui, n'avait qu'une seule amie. Mais elle était partie. Un déménagement à l'autre bout du monde. Il ne sentait pas seul. Pas pour le moment. Mais cela n'allait pas tarder. Car contrairement aux apparences, il n'éprouvait pas de la facilité à être lui-même avec les autres.

– Pourtant tu sembles très détendu en ce moment... souligna Pablo et glissant ses doigts entre les brins d'herbe.

– C'est parce que c'est facile de l'être avec toi.

– Comment tu peux dire ça alors qu'on ne se connaît que depuis quelques heures ? il tira sur bout de verdure qui se déchira à la moitié.

– Je n'en sais rien. C'est une sensation. Là. le blondinet posa sa main sur la poitrine de Pablo. À gauche, à la place du cœur. Instantanément, ce dernier accéléra le rythme. Et un rire pur s'échappa des lèvres bien dessinée d'Esteban. Le rouge s'empara du visage de l'autre garçon qui détourna les yeux pour éviter d'être vu. Mais les doigts habiles du blond glissèrent contre son visage et l'obligèrent à pivoter la tête.

– Tu es tout rouge. Ça va ?

– O-oui. Sûrement la chaleur.

– On devrait retourner au village alors ! Tu veux venir déjeuner chez moi ? Ma grand-mère prépare les meilleures tortillas du coin.

– Je dois rentrer chez moi mais... Pourquoi pas un autre jour ? il s'efforça de sourire et se releva, obligeant Esteban à enlever sa main de son visage. Là où il l'avait touché, une certaine chaleur persistait. Décontenancé, Pablo le suivit jusqu'au village sans vraiment dire quoi que ce soit. Il prétexta avoir attrapé un coup de soleil et le salua poliment avant de courir jusque dans sa chambre. Trop de proximité. Son cœur battait la chamade. C'était inattendu. Cela faisait dix ans qu'il venait tous les étés et pour la première fois, il se passait vraiment quelque chose. Mais Pablo n'était pas certain d'être ravi. Il n'appréciait pas vraiment la nouveauté. Surtout quand elle se trouvait être aussi tactile et attachante. Attachante n'était pas le terme voulu. Mais il correspondait bien à Esteban. Il était comme ces enfants que l'on rencontre une fois au parc et qui s'autoproclament meilleur ami. Exactement ça. Attachant. Drôle. Étonnant. Charmant. Beau.

– Beau ? Mais qu'est-ce que tu racontes Pablo ? la question s'était posée au vide devant lui. Il n'attendait pas de réponse. Il n'avait pas l'habitude de se parler à lui-même. Trop de changements. Il était épuisé. Pour finir, il se déshabilla et s'endormit rapidement. L'après-midi passa à une vitesse folle et quand il se réveilla à nouveau, le soleil disparaissait timidement derrière les montagnes.

Au rez-de-chaussée, il trouva ses grands-parents assis à tables, apprêtés chiquement d'un air sinistre.

– J'ai raté quelque chose ? demanda-t-il en se servant un verre de jus. Il n'avait jamais vu son abuelita aussi silencieuse.

– Madame Torrez a eu un arrêt cardiaque hier soir. Emprunte une chemise à ton grand-père et mets donc ce pantalon noir que je t'ai confisqué, nous allons à l'église. choqué par la nouvelle, Pablo obéit. Il savait que sa grand-mère appréciait la vieille femme. Et il s'était toujours imaginé que tous les habitants du village étaient en quelque sorte immortels. Mais il avait tort. Même ici, dans ce coin perdu au fond d'une vallée espagnole les gens pouvaient se retrouver face à la mort.

Quelques minutes plus tard, il rejoignait sa famille dans l'entrée et ensemble ils quittaient la maison pour l'église. Tout paraissait plus silencieux et vide. Le village entier se retrouva devant l'église. Ce qui constituait une trentaine de personnes à l'air morose et aux yeux gonflés. Dans un coin, Pablo aperçu Soledad. Elle portait une longue robe noir et sanglotait dans les bras de ses amis. Tout le monde offrait ses condoléances à la famille. Ils se retrouvaient tous ensemble dans leur peine. Et l'adolescent ne savait pas trop quoi faire. Alors il se retira dans un coin et observa cette foule compact de tristesse et de larmes sans s'en sentir vraiment inclus.

– Très jolie ta chemise. souffla quelqu'un dans son oreille. La voix d'Esteban résonnait harmonieusement dans sa tête. Ses iris rencontrèrent les siennes et il le salua timidement.

– Merci. Ça te va bien. La tresse. en effet, le blond avait troqué son chignon brouillon pour une tresse soignée.

– C'est ma grand-mère qui me l'a faite ! Elle a dit que si je voulais avoir l'air d'une fille alors autant en profiter... il eut un rire léger, discret. Quiconque aurait pu paraître malpoli dans la même situation. Mais il gardait sur lui cet air de condoléances qui lui allait bien. Il se fondait dans la masse. Où qu'il aille, il était à sa place.

Après que chacun ait transmis ses sentiments à la famille de madame Torrez, tout le monde s'assit et un homme d'église fit un discours. Esteban avait entraîné Pablo un peu à l'écart, derrière tout le monde. Et l'adolescent l'avait suivi. Il se sentait mal à l'aise face à la tristesse. Incapable de savoir comment réagir. Qu'était-il censé dire qui ne sonne pas faux ?

– Tu devrais te détendre, t'as l'air encore plus crispé que monsieur Romero ! souffla le blond en se penchant contre lui. Mais Pablo n'y parvenait pas. La dernière fois qu'il avait assisté à un enterrement, cela ne s'était pas bien terminé. Il avait été la dernière personne à voir madame Torrez. Et si on l'accusait de l'avoir tuée ? Et s'ils avaient raison ? Et si c'était sa faute ? Il ne pourrait pas vivre avec ça sur la conscience. Il n'avait rien fait. Il n'avait fait que prendre cette brouette et l'aider. Il l'avait aidée. Oui, il avait été gentil avec elle même s'il ne le voulait pas. Peut-être était-ce son hypocrisie qui avait tué cette pauvre femme ?

– Hey, respire Pablito ! une piquée d'inquiétude apparu dans la voix d'Esteban. Mais l'adolescent n'arrivait pas à se calmer. Il avait peur. Peut-être que tout cela n'était qu'un coup monté pour se débarrasser de lui ?

La fraîcheur de la peau d'Esteban contre la sienne lui parvint. Comme un rappel. Ses doigts glissaient entre les siens. Il ne le connaissait pas. Alors pourquoi ce garçon arrivait-il à le calmer aussi aisément ?

– Voilà, doucement. Ça va aller. Tout va bien. Il ne va rien arriver de mal. la voix agréable du blond l'englobait. Il n'entendait plus que lui. Il n'y avait plus que lui. Les battements de son cœur s'apaisèrent. Tout comme les tremblements qui secouaient son corps. Sa tête, encore embrumée, lui faisait mal. Il avait oublié cette sensation plus que désagréable de perdre pied. Celle de ne plus rien contrôler. Discrètement, Esteban l'emmena à l'extérieur. L'air s'était radicalement rafraîchi. La lune célébrait ce funeste événement en brillant de tout son soûl. Et les étoiles, de concert, rayonnaient toutes plus les unes que les autres.

– Je sais que tu n'as aucune raison de me faire confiance parce qu'on ne se connaît pas si bien. Mais si tu veux, tu peux me dire ce qu'il ne va pas. assis sur le perron, ses doigts toujours entrelacés avec les siens, Esteban lui offrit un regard compatissant et compréhensif. Pablo déglutit. Il ne savait pas quoi lui dire. Ni comment le lui dire. Comment expliquer à un inconnu qu'on pense toujours beaucoup trop ? Qu'on croit que tout le monde nous déteste ? Que la plupart des gens veulent notre mort ? Il était même incapable d'en parler à ses amis !

Mais Esteban était différent. Alors il prit une inspiration et tenta de mettre des mots sur ses sensations. C'était bien plus compliqué que tout ce qu'il avait jamais dû faire. Parce qu'il n'était pas doué avec les mots. Esteban l'écouta avec attention. Et quand il termina, il n'ajouta rien. Il serra juste délicatement ses doigts et posa sa tête sur son épaule. Cette proximité fit naître quelque chose d'inconnu en lui. Un sentiment de confort. De protection.

– Retournons à l'intérieur, d'accord ? ils reprirent leurs places dans l'église et assistèrent à la fin du discours. La tempête s'était calmée. Pour la première fois, quelqu'un avait été là pour lui. Il n'était pas sûr d'être compris mais la seule présence d'Esteban avait suffit à le réconforter. Même son abuelita n'y parvenait pas. C'était si étrange. Il ne comprenait pas. Mais Pablo décida d'arrêter de se poser des questions. Parce que c'est ce qui lui avait toujours gâché la vie.

La veille se termina et tout le monde se rejoignit à l'extérieur de l'église. La grand-mère de Pablo avait invité tout le village chez eux pour manger du gaspacho en l'honneur de madame Torrez. La plupart déclinèrent mais quelques amis proches les suivirent jusqu'à leur maison sur la colline. La famille d'Esteban en faisait partie. Ainsi que celles de Rafael, Gianna et d'Alejo.

Pablo n'était pas très rassuré à l'idée de tous les voir dans sa maison. Mais il ne pouvait pas non plus s'y opposer. Alors il prit place dans le jardin, sous un des arbres du verger et observa la scène de loin. Esteban passant ses bras autour des épaules de Rafael, lui glissant une blague dans l'oreille. Gianna attrapant sa main et la posant sur sa joue à elle. Il n'avait jamais remarqué à quel point les autres pouvaient être tactiles. C'était lui le problème. A ne pas supporter la promiscuité.

– Pablito ! sa grand-mère l'avait repéré. Il se redressa rapidement mais déjà, elle venait dans sa direction. Elle allait encore le sermonner. Lui reprocher de s'isoler. Il était prêt à encaisser les brimades. Mais avant même que la vieille femme ait pu émettre quelque son, la voix puissante de Rafael résonna dans le jardin.

– Pablo ! Viens par ici, reste pas tout seul !

Il existait. Lui et ses cheveux en pagaille, ses mains moites à cause de l'anxiété et sa tête remplie d'idées vides de sens. Il existait à leurs yeux. Ils le voyaient. Il faisait soudainement partie du même univers qu'eux. De la même planète. Esteban ne devait pas être étranger à ce phénomène.

Son corps se mit à avancer de lui-même vers les adolescents qui lui souriaient. Il n'était pas sûrs que ces sourires étaient sincères. Ou même qu'ils aient envie de les lui offrir. Mais pour le moment ça importait peu. Car ils lui étaient dirigés.

– Comme ça ta grand-mère n'aura rien à te reprocher ! s'exclama Esteban en entourant ses épaules avec son bras. Il l'avait ainsi inclus dans leur petit cercle. Gianna le dévisagea avant d'afficher une moue pensive.

– Tu as changé depuis l'année dernière.

– A-ah bon ? l'adolescent était étonné. Qu'ils aient fait attention à lui. Que Gianna, sûrement la plus jolie fille du groupe, ait remarqué ça. C'est vrai qu'il avait assez grandi et que son visage s'était affiné. Et même s'il ne faisait toujours pas son âge, il paraissait moins enfantin qu'avant. Un tout petit peu moins.

– Oui ! elle lui sourit et la main d'Esteban sur son épaule se pressa un peu contre sa peau. C'était une situation déconcertante. Mais il parvenait à garder sa panique enfermée. Elle était là, elle ne le quitterait jamais, mais il l'avait repoussée au plus profond de lui.

Le groupe reprit alors sa discussion là où il l'avait laissée, parlant de madame Torrez et de Soledad. Pablo ne parla pas, il n'en ressentait pas le besoin. Il ne voulait pas intervenir et se rendre ridicule ou simplement qu'ils regrettent de l'avoir invité parmi eux.

Quand sa grand-mère l'interpella pour venir l'aider à mettre la table, l'adolescent se hâta. Il ne s'attendait pas à ce que les autres le suivent pour mettre la main à la pâte. Il y avait autour d'eux cette aura étrange remplie de sourires et d'accolades. Ils riaient en cœur et il leur suffisait d'un coup d'œil pour se faire comprendre. Pablo n'était pas vraiment envieux de cette relation. Plutôt curieux. Il se demandait comment, au fil du temps, avait pu naître ce lien unique qui les reliait.

– Oh je suis désolée ! s'exclama soudainement Gianna, le sortant de son état de contemplation. Il tourna la tête et vit que la chemise d'Esteban était remplie de vin. La jeune fille avait sûrement dû en reverser sans le faire exprès.

– Ce n'est rien. Ne t'en fais pas ! il lui offrit un sourire rassurant avant de se tourner vers l'abuelita de Pablo pour lui demander où se trouvait la salle de bain.

– Tu ne peux pas rester comme ça, mon garçon ! Pablo va te prêter un t-shirt, n'est-ce pas Pablito ? elle poussa gentiment le blondinet en direction de son petit-fils avec un sourire complice. Pablo souffla mais acquiesça et fit signe à Esteban de le suivre à l'étage.

Partout autour d'eux, une douce odeur de fleurs séchées et d'océan régnait dans l'air. L'air frais la nuit les englobait doucement dans son voile, c'était agréable.

– Tu préfères un t-shirt blanc ou noir ? demanda Pablo en fouillant dans sa penderie à la recherche d'un vêtement propre.

– Mhhhh blanc ? répondit doucement le blond en passant ses doigts délicats sur les tranches de livres posés là. La bibliothèque de Pablo était remplie d'ouvrages qu'il n'avait jamais lus. Il y avait de tout ; des romans, des pièces de théâtre, quelques encyclopédies, des magazines. Mais rien qui n'ait éveillé son intérêt. Il préférait largement observer les reliures soignées et les trier par tailles ou par couleurs.

– Tiens, celui-ci devrait t'aller. il lui tendit un t-shirt blanc légèrement trop grand pour lui. Esteban le prit avec un sourire et commença à déboutonner sa chemise. Ne sachant pas trop s'il devait quitter la pièce ou pas, Pablo se retourna vivement.

– Pourquoi tu n'as pas lu ces livres ? demanda Esteban quelque part derrière lui. Haussant les épaules Pablo répondit doucement.

– Ils m'ennuient. Je n'arrive pas à me concentrer dessus... Et puis qui voudrait lire une encyclopédie entière sur les joies de la pêche ?

– Moi ! s'exclama le blond avant de pouffer, entraînant Pablo avec lui. Ce dernier se retourna pour ajouter quelque chose et se figea quand il vit que l'autre adolescent était encore à moitié nu.

– Désolé ! il pivota rapidement, la visage rouge.

– Pourquoi tu t'excuses ? C'est rien ! il rit à nouveau et Pablo tenta de calmer son cœur qui s'affolait inutilement.

Le silence engloba la pièce. A l'étage, les bruits de couverts et des conversations s'échappaient doucement mais ne les atteignaient pas. Pablo déglutit, qu'était-il censé dire ? La situation n'était-elle pas devenue bizarre par sa faute ? Peut-être qu'Esteban allait le trouver étrange et partir. Peut-être qu'il ne voudrait plus jamais le revoir.

– C'est bon ! Tu peux te retourner ! il lui tapota gentiment sur l'épaule et Pablo sursauta. En lui faisant face, il aperçut un petit sourire timide. Le bout de ses oreilles était rouge aussi. Après tout, il n'avait pas été le seul à être gêné.

– Tu peux me donner ta chemise, je vais la mettre avec le linge sale. Si tu veux je pourrai te la rendre demain. offrit gentiment l'adolescent en tendant la main.

– Non, c'est bon ! Je ne veux pas rajouter du travail à ta grand-mère !

– Ce n'est pas elle qui fait la lessive ne t'en fais pas.

– Je veux encore moins te rajouter quelque chose à toi ! Après ça fera moins de temps pour se voir. il esquissa une petite moue et garda sa chemise tachée. Pablo fronça les sourcils et ne put réprimer un rire.

– D'accord, d'accord. Mais promets-moi de la nettoyer dès que tu rentres sinon la tâche ne partira jamais !

– Promis, mamá ! se moqua gentiment Esteban en riant. Pablo rougit à nouveau avant de souffler et de lui indiquer le lit.

– Tu peux la laisser là. Tu n'auras qu'à venir la récupérer avant de partir.

– Merci ! Pour le t-shirt. Et ça. il pointa la chemise qu'il venait de soigneusement plier avant de la poser sur les draps encore défaits.

– Je t'en prie, c'est normal ! Bon, on devrait redescendre ou mon abuelita va se demander ce qu'on fait. il fit un pas vers la porte mais Esteban glissa ses doigts autour de son poignet et le retint. Il se retourna vers lui en haussant un sourcil, posant une question silencieuse.

– Je ne me sens pas très bien. Ça ne te dérange pas qu'on reste là encore un moment ?

– Non, bien sûr ! Tu aurais dû me dire que ça n'allait pas. il secoua la tête et lui proposa de s'asseoir sur le tapis. Le blond avait lâché le poignet de Pablo mais quand ils s'installèrent, dos contre le lit, il posa sa tête sur son épaule. L'adolescent peinait encore à comprendre pourquoi il appréciait autant les contacts physiques. Mais il se dit que si ça lui permettait de se sentir bien, il n'allait pas le lui refuser.

– Est-ce qu'on se connaît assez maintenant ? Pour aller regarder les étoiles ensemble ? demanda doucement Esteban après quelques minutes d'un silence profond. Les étoiles. Même s'il se sentait mieux en sa présence, ils avaient convenu de samedi. Et il décida de ne pas revenir sur sa décision.

– Samedi.

– Et pas de plage.

– Exactement. il sourit doucement et posa sa tête contre celle d'Esteban. Il sentait le shampoing, le sapin et les épices. Un mélange étrange mais pas désagréable.

Un frisson lui parcouru l'échine quand la paume du blondinet glissa sur la sienne. Il ne savait pas quoi faire. Il n'était pas habitué. Alors il laissa l'autre adolescent faire ce qu'il voulait avec ses doigts. Il les entrelaça d'abord avec les siens. Doucement, il caressait de le dos de sa main avec le bout de son pouce. C'était délicat, légèrement rassurant. Il ignorait pour quelle raison mais son estomac se tordait bizarrement. Pas de manière douloureuse. Juste... Étrange. Tout son corps se réchauffait. La cadence de son cœur avait accéléré, comme s'il courait un marathon ou montait la colline à vélo sous le soleil de midi. Mais il n'était pas essoufflé ou en sueur. Il brûlait d'affection. Il ignorait si c'était quelque chose de normal. Si c'était à cause d'Esteban. Il ne se sentait pas vide ou seul ou triste comme la plupart du temps. Ce simple contact lui donnait l'impression d'avoir sa place. D'être au bon endroit. Au bon moment. Pour une fois, il ne ratait pas son timing.

– Ferme les yeux. souffla le blond. Sans un mot, aucune objection, Pablo obéit.

– Maintenant, imagine un millier d'étoile. Non, plutôt un million. Voire un milliard. Visualise autant d'étoiles que tu en es capable. tentant de se concentrer sur l'exercice plutôt que sur la voix d'Esteban ou ses doigts contre les siens, il parvint à imaginer un ciel étoilé.

– Et maintenant ? demanda-t-il sur le même ton de confessions. Le blondinet s'écarta doucement de lui, gardant tout de même sa main dans la sienne et se plaça face à lui.

– Comment tu te sens ?

– Mhhh ? Relaxé ?

– Parfait. Alors tu peux ouvrir les yeux. obéissant, il se rendit compte qu'ils étaient bien plus proche qu'il ne le pensait. Comme dans la prairie, la veille. Esteban aimait se trouver près des autres apparemment.

– A quoi ça a servit ? demanda l'adolescent en se grattant la nuque de sa main libre.

– Tu n'avais pas l'air dans ton assiette. Mais maintenant tu es relaxé. Ça va mieux, non ? il sourit doucement et Pablo le fixa. Comment avait-il pu se rendre compte de ça ? Il aurait voulu lui dire que c'était plus le contraire. Que pour une fois, il se sentait vraiment bien. Grâce à lui. Mais il n'avait pas envie de rendre à nouveau la situation gênante pour eux deux.

– Merci. Tu es attentionné pour un inconnu.

– Un inconnu ? Je vais t'en donner des inconnus moi ! il éclata de rire et retira sa main de la sienne pour l'attaquer gentiment, lui ébouriffant les cheveux. Pablo rit avec lui, tentant de se défendre tant qu'il le pouvait. Mais rapidement, Esteban avait prit le dessus et il se retrouva plaqué au sol. A bout de souffle, il abdiqua en pouffant. Comme un enfant.

– J'ai gagné ! s'exclama fièrement le blond dont la tresses s'était défaite. Ses cheveux formaient comme un rideau entre eux et le monde et tombaient en cascade sur le visage de Pablo. Le blond les retira délicatement, frôlant au passage le visage de son vis-à-vis. Une nouvelle fois, celui-ci rougit légèrement. Au rez-de-chaussée, à des centaines d'années lumières des deux adolescents, quelqu'un s'était mis à chanter. Les odeurs de nourriture et la bonne ambiance se glissaient sous la porte.

– Tes yeux ont la même couleur que le ciel avant un orage. murmura Esteban, ne voulant pas déranger le silence.

– Ah bon ? On ne me l'a jamais dit... ils étaient si proches que les chuchotements se glissaient facilement entre eux.

– C'est la première chose à laquelle j'ai pensé. Hier. Tu sais, quand je suis tombé devant toi.

– Qu'est-ce que tu faisais sur ce rocher en fait ? On a pas idée de grimper là-haut ! il pouffa doucement et Esteban plissa le nez.

– Je voulais voir le monde de plus loin.

– C'est une idée bête, il faut que je te le dise.

– Pas tellement. Parce qu'au final, j'ai fait tomber mes lunettes. Et tu les as ramassées. Et après tu as poussé cette brouette, je t'ai aidé. Tu me les as rendues et aujourd'hui on a passé un bon moment, non ?

– C'est vrai... Mais tu aurais pu les faire tomber d'une autre manière... timidement, il attrapa une mèche blonde et l'enroula délicatement autour de ses doigts avant de sourire.

– J'ai le spectaculaire dans le sang !

– Je vois ça. ils rirent à nouveau en concert, toujours l'un perché sur l'autre. Pablo jouait avec habilité avec les cheveux d'Esteban, les lissant du bout des doigts. Le blond glissa légèrement de sa position et finalement, il se laissa tomber en douceur sur le torse de l'autre adolescent qui retint sa respiration.

Ils auraient pu rester comme ça toute la nuit. Cela n'aurait dérangé aucun des deux. La gêne de Pablo disparaissait rapidement quand il se trouvait à proximité d'Esteban. Et celui-ci aimait tellement être proche des gens ! La main de Pablo jouait vaguement dans la masse blonde des cheveux d'Esteban. Ils glissaient avec aisance sur son crâne, le massant presque avec tendresse. Le blond aurait voulu rester là toute la nuit. Même tout une vie. Cela ne l'aurait pas dérangé. Mais sa mère s'inquiéterait trop. Et il ne pouvait pas imposer sa présence à Pablo.

– Samedi ? sa voix était bien plus timide que d'habitude.

– Promis. souffla-t-il en réponse avant de se redresser lentement, obligeant le blondinet à bouger avec lui. Ils devaient retourner en bas. Alors ils se détachèrent l'un de l'autre. Un dernier sourire fut échangé et ils rejoignirent les autres comme si de rien n'était. Parce que s'était-il réellement passé quelque chose ? Pablo ne pouvait même pas en être sûr. Peut-être que pour Esteban, c'étaient des choses qui se faisaient tout le temps. Se prendre la main, se caresser les cheveux. Il n'y connaissait rien. Mais il ne pouvait ignorer la sensation étrange qui avait prit naissance en lui. Il ne voulait pas.

La soirée se termina bien. Pablo était encore engourdi par ce qui s'était passé avant. Sa main portait les traces invisibles de celle d'Esteban. Et ça lui convenait. Mais finalement, les invités durent partir. Alors les deux adolescents retournèrent à l'étage pour que le blondinet récupère sa chemise et il en profita pour le serrer dans ses bras. Comme il ne s'y attendait pas, Pablo se figea. Puis il comprit. Il glissa timidement ses mains dans le dos musclé du garçon face à lui et ils restèrent comme ça quelque minutes avant de s'écarter. Esteban lui ébouriffa les cheveux et lui souhaita une bonne nuit avant de s'échapper par la porte entrouverte. Le regardant partir, les bruits de pas dans l'escalier, les salutations à l'entrée, la porte qui se ferme, Pablo souffla et se laissa tomber sur son lit. Il était épuisé. Il n'avait pas l'habitude qu'autant de choses se passent en si peu de temps. Il se sentait vidé. Pas vraiment triste comme le reste du temps. Juste fatigué. Vraiment, vraiment, fatigué.

Alors il se déshabilla, pliant soigneusement la chemise de son grand-père et laissant son jean noir joncher sur le sol et se coucha. Quand il dormi cette nuit-là, l'univers était rempli d'étoiles. Il y en avait de toutes les tailles, de toutes les formes. Mais la plus jolie, celle qui brillait le plus fortement, celle-ci ressemblait étrangement à Esteban. Elle l'entraîna avec elle. C'était doux. Comme les nuages en coton sur lesquels ils se reposèrent. Comme la sensation de sa main dans la sienne. Comme les boucles de ses cheveux.Comme l'odeur qui émanait de lui.

Mais quand il se réveilla, c'était un jour sans. Plus que les autres jours, il n'avait rien envie de faire. La magie du rêve, la douceur de la veille s'étaient évaporées. Le soleil brillait tendrement derrière les volets, réchauffant doucement la pièce. Son duvet agissait comme un cocon autour de son corps triste. Il enfonça la tête dans les draps qui sentaient encore le sommeil et la nuit et tenta de se calmer. Sa grand-mère allait encore s'inquiéter inutilement pour lui. Elle ne pouvait pas comprendre que tout ce qu'il demandait, c'était du calme et de la solitude. Pour elle, jamais rien ne se réglait de cette manière. Et puis Esteban allait sûrement lui en vouloir de leur gâcher une journée. Peut-être qu'il allait le raconter aux autres qui se mettraient à le détester à leur tour.

Il interdit aux larmes de couleur mais il ne pouvait pas empêcher son estomac de se creuser. Il ne voulait pas être triste. Il ne voulait pas être seul. Mais c'était de sa faute. Sa mère le lui avait déjà reproché des centaines de fois. Elle lui répétait sans cesse de ne pas faire d'efforts. Son père posait rarement son regard sur lui. Et quand il le faisait, la déception dans ses yeux lui brûlait le cœur. Quant à ses amis, ils le trouvaient égoïste et pensaient que c'était un menteur. Ils n'avaient pas tort. Mais ça faisait toujours mal d'y penser. Il aurait voulu que tout cela cesse. Mais il n'y avait pas de solution miracle. Et aujourd'hui, il était triste.

– Pablito ? On se lève, marmota ! s'exclama soudainement sa grand-mère en entrant dans la pièce, faisant autant de bruit que toute une bande d'éléphants.

– Pas aujourd'hui, abuelita... souffla l'adolescent. Sa voix tremblotait furieusement à cause des émotions. Mais la vieille femme ne sembla pas le remarquer car elle ouvrit pleinement la fenêtre et fit plusieurs allers-retours pour ramasser les vêtements qui traînaient.

– Vamos ! Il fait beau aujourd'hui et pas trop chaud, tu pourras bien profiter de cette journée ! elle s'exclama tout en sortant, les bras chargés de linge sale. Pablo espéra durant une minuscule seconde qu'elle ne reviendrait pas mais elle n'était pas comme ça.

– Bon. Pablito ! Debout ! elle tira un coup sec sur son duvet. Le garçon n'avait pas assez de force ni d'ambition pour le retenir et il se retrouva donc complètement découvert.

Elle le dévisagea un instant avant de glisser son regard sur l'état de sa peau. Il s'était encore abîmé. Sans s'en rendre compte. Sous le coup de la panique, de la tristesse. Sûrement aussi de la fatigue. Le duvet retomba doucement sur le sol et elle soupira un coup. Ce n'était pas contre lui. Elle s'en voulait de ne pas réussir à prendre complètement soin de son petit-fils. Mais l'adolescent ne comprenait pas. Il se dit qu'elle était encore énervée. Par sa faute.

– Désolé, abuelita. Je vais me lever. il baissa la tête et esquissa un mouvement mais son corps était encore complètement engourdi par les sanglots qu'il avait retenus.

– Mi corazón... commença la vieille femme. Elle cherchait ses mots, elle ne savait pas comment prendre la chose. Sa fille et son gendre ne s'occupaient pas de leur enfant. Le pauvre garçon n'avait pas toujours eu ces grands yeux mélancoliques. Mais quand le vide s'y était installé, elle s'en était immédiatement rendue compte. Sauf que personne ne pouvait lui apprendre comment gérer tout ça. Alors elle s'était convaincue qu'il fallait l'occuper. Qu'il ait toujours quelque chose à faire, quelque chose à découvrir pour que les autres pensées se tiennent éloignées de son trésor. Mais elle n'était pas assez forte, pas assez attentionné. Et son Pablito restait si mélancolique...

L'adolescent s'était enfermé dans la salle de bain, dernière barrière avant le monde extérieur. Il savait bien qu'il ne pourrait pas y rester toute la journée. Mais quelques minutes suffiraient pour qu'il se reconstruise un peu.

En soufflant, il s'étira d'abord avant de constater les dégâts. Il s'était sûrement gratté. Ses ongles étaient longs et les cicatrices voyantes. Elles brûlaient aussi. Il se déshabilla complètement et plongea sous l'eau froide. La douleur, endolorie, fut reléguée au second plan. Il devait se concentrer sur ce qu'il allait faire. Mentir à sa grand-mère. Fuir dans les rues. Il pourrait tenir la journée à l'extérieur. Il lui suffirait de cueillir des fruits dans les vergers et acheter une bouteille d'eau à la minuscule boutique du village, tout au bout du bout du monde, juste avant la montagne. Mais son plus gros problème serait probablement Esteban. Il voulait le voir mais il n'avait pas envie qu'il le voit. Pas comme ça. En sortant, son reflet lui renvoya une image effroyable. Il avait envie de se jeter sur cet autre lui et de le défigurer. Mais il ne pouvait pas.

D'après la pendule, sa grand-mère l'avait laissé dormir jusqu'à neuf heures. Vraisemblablement, Esteban devait déjà être réveillé à cette heure-ci. Ils n'avaient rien prévu de faire aujourd'hui mais il ne faisait aucun doute qu'il allait venir le chercher. Ou alors peut-être qu'il se faisait des idées. Que le blondinet n'avait plus du tout envie de le revoir. Il secoua sa tête, éparpillant des gouttes un peu partout autour de lui et lâcha un soupir.

Il attrapa un t-shirt propre et un short de bain et enfila une jaquette par dessus. Il risquait de mourir de chaud mais au moins personne ne pourrait voir qu'il avait pété un plomb. Ses cheveux étaient encore humides quand il quitta la salle de bain pour se glisser jusqu'en bas. Son grand-père était là, assis sur un fauteuil. Il ignorait pourquoi il ne parlait plus trop. Sa grand-mère lui avait un jour raconté que c'était parce que, dans leur jeunesse, il parlait beaucoup. Il racontait tout un tas d'histoires, riait beaucoup. Mais il avait tout épuisé trop vite. Alors maintenant, il ne parlait plus. Il demandait le sel, échangeait des banalités. C'était tout ce qu'il pouvait dire. Tout ce qu'il lui restait.

– Bonne journée, papi ! le salua doucement l'adolescent en attrapant une pomme avant de s'enfuir par la porte de la cuisine. Il avait laissé son vélo devant la maison et sa grand-mère se trouvait sûrement là, à étendre le linge ou partager des potins avec une quelconque voisine. Peut-être qu'elle s'occupait de ses fleurs ou nourrissait les poules. Il ne pouvait pas s'y risquer. Plutôt, il se dirigea vers le fond du jardin et escalada le muret avant de se laisser tomber avec légèreté dans la pente. Une chèvre qui broutait là le dévisagea avec dédain avant de bêler bruyamment. Il fit une grimace et continua sa route en direction des habitations en contrebas.

Il ne savait pas encore où aller. Tout ce qu'il voulait, c'était un endroit loin du monde. Mais est-ce que cela existait vraiment dans ce tout petit village ? La plage était hors de question. Les ruelles étaient pleines d'animaux, de bruits et d'odeurs. La plupart des gens allaient rester chez eux aujourd'hui, pour la mémoire de cette pauvre madame Torrez. Seule la famille proche serait autorisée à la voir une dernière fois avant son enterrement, dans la semaine.

Sa gorge se serra et son pied de prit dans une racine, le faisant tomber en avant. Il dévala la pente en se heurtant aux mauvaises plantes et aux rochers. Écorché de partout, il termina sa chute dans un buisson de roses. Les cigales chantaient avec passion tout autour de lui et les criquets s'échappaient des débris qu'il avait attirés avec lui.

– Putain. souffla-t-il en regardant ses genoux et ses mains tâchés de sang. Une goutte glissa sur sa joue. Il se tâta le visage, sentant sous ses doigts quelques plaies ouvertes. Mais il ignorait si tout ce sang venait de sa tête ou de ses paumes. Il essuya vaguement la poisse sur ses joues et rabattit sa capuche malgré la chaleur déjà étouffante.

Il se releva en grognant à cause de la douleur. Sur sa jambe gauche, une large bande de peau s'était arrachée. Il grimaça en s'en rendant compte. Il ne pouvait pas rester comme ça. Ça risquait de s'infecter. Peut-être même qu'il y perdrait sa jambe. Mais il ne pouvait pas aller voir sa grand-mère. Elle penserait qu'il l'a fait exprès. Elle en parlerait forcément à ses parents. Et elle s'inquiéterait encore, comme toujours. Il ne voulait pas lui causer du soucis. Il décida de se rendre à l'unique boutique du village pour trouver de quoi désinfecter la plaie et peut-être quelques sparadraps.

Le soleil tapait à répétition sur sa blessure, amplifiant la douleur. Les rues étaient vides de tout. Les habitants endeuillés se reposant en familles dans leurs jolies maisons usées, à leur image. Des chats lézardaient au soleil, ne prenant même pas la peine de pourchasser les reptiles qui se déplaçaient à toute vitesses sous leurs pattes fatiguées. Dans le ciel, pas un seul nuage. Juste quelques oiseaux courageux qui glissaient sur l'air avec aisance. Une ville fantôme. Tout un tas d'odeurs différentes se battaient autour de lui, voulant décider de qui prendrait le dessus. Le linge propre aux fenêtres, les oranges dans les vergers, les embruns de la mer transportés par le vent léger, la chaleur qui les surplombaient tous. Du shampoing, du sapin et des épices. Un sourire et un regard inquiet.

– Je t'ai cherché toute la matinée ! s'exclama le blond en accourant à ses côtés. Vêtu d'un simple short de maillot de bain, il avait laissé ses cheveux détachés. La sueur dégoulinait sur son front, planquant quelques mèches contre son visage. Celui-ci, rougit par l'effort et la chaleur affichait une mine troublée. L'expression se mua en surprise quand il arriva à sa hauteur, essoufflé.

– Oh Dios mio ! il attrapa le visage meurtri de Pablo et dégagea la capuche pour mieux observer les blessures. Le concerné tenta de reculer et repoussa Esteban un peu brusquement.

– D-désolé. C'est juste que... commença-t-il, ne sachant même pas ce qu'il voulait dire. Mais le blond posa son index sur ses lèvres et attrapa son poignet avec tendresse. Il replaça le capuchon sur le crâne de Pablo et l'entraîna derrière lui.

Ils marchèrent en silence jusqu'à la toute petite boutique qui se trouvait tout au bout de la route principale -plus un chemin qu'une route d'ailleurs. Avec sa façade orange complètement délavée, ses volets cassés et sa marquise bancale aux couleurs patriotiques elle ne payait pas de mine. Mais monsieur Andres, le propriétaire depuis plus de trente ans, possédait un cœur énorme et n'hésitait jamais à aider ses voisins.

Quand il vit les deux adolescents débarquer dans sa boutique et qu'il considéra l'état de Pablo, il fonça immédiatement dans les allées étroites pour leur apporter du désinfectant et des bandages.

– Besoin d'aide les enfants ? demanda-t-il aimablement en leur tendant le matériel.

– Non ça ira, merci beaucoup monsieur Andres ! le blond répondit poliment en posant la somme exacte sur le comptoir avant de ressortir du magasin. Pablo l'attendait là, assis à l'ombre sur le perron.

– J'ai tout ! Tends ta jambe ! il s'installa à côté de lui et prit délicatement sa peau. Quand il vaporisa le produit, Pablo fit une grimace et Esteban sourit doucement devant sa tête.

– Alors, tu veux me dire ce qu'il t'es arrivé ?

– Je suis tombé... Dans la pente derrière chez moi.

– Et c'est tout ? il passa délicatement ses doigts en aplatissant une bande rafraîchissante sur la plaie.

– Qu'est-ce que tu veux qu'il y ait de plus ?

– J'en sais rien, à toi de me le dire ! il planta ses iris brunes dans le bleu des siennes et sourit affectueusement tout en continuant ses soins.

– Je ne me sentais pas très bien et je voulais pas inquiéter ma grand-mère... J'ai voulu sortir par derrière mais j'ai glissé.

– Et maintenant ?

– Maintenant ? il fronça les sourcils.

– Est-ce que tu te sens mieux ? il acquiesça doucement en baissant la tête, le regard braqué sur sa paire de chaussures à la semelle déchirée.

– J'ai cru que tu m'ignorais... souffla doucement Esteban en prenant sa main pour en soigner les éraflures.

– Pourquoi est-ce que je ferais une chose pareille ?

– Je ne sais pas... Parfois les gens trouvent que je suis trop tactile... Si je te mets mal à l'aise, il faut que tu me le dises ! il se mordit doucement la lèvre inférieure et appliqua un pansement sur l'une des blessures.

– Non... C'est bon ! J'aime bien. Enfin, ça ne me dérange pas ! il bégaya et sentit son visage s'échauffer.

– Alors ça va ! il rit doucement et effleura sa joue, là où le rouge s'était étalé. Relevant le regard, Pablo tomba dans les profondeurs chocolat de ses iris. Autour d'eux, le temps s'écoulait paresseusement. Dans un coin, au dessus de la limite du ciel, un oiseau poussa un cri. Rejoins par d'autres roucoulements.

– Tu rougis facilement, c'est mignon. Il t'en faut peu. remarqua Esteban en riant.

– Il n'y a rien de mignon... rétorqua Pablo, ne sachant pas quoi dire d'autre en soufflant. Mais il ne pu s'empêcher de sourire doucement.

– Bon, normalement ça devrait aller. Mais il faudra faire attention à bien désinfecter les plaies, d'accord ?

– Je prends note docteur.

– Si tu veux... Je pourrais te le faire... Mais seulement si tu veux ! il tritura la boîte de pansements entre ses doigts et Pablo posa sa main dessus.

– Je veux bien. Je sais pas m'occuper de ce genre de trucs... Et si ma grand-mère les voit elle va vraiment paniquer.

– Marché conclu alors ! il rit et les cigales s'ajoutèrent aux étoiles dans sa voix. Une symphonie, un duo.

Ils restèrent assis simplement sur les marches pendant une bonne partie de l'après-midi, à l'abri du soleil et des regards curieux. Ils ne parlèrent pas de leurs problèmes cette fois. Esteban lui parla de l'avenir. Il voulait devenir médecin, pour aider les plus démunis. Soigner ceux qui n'avaient pas la possibilité de l'être. Pablo n'avait pas de projets. Il ne savait même pas ce dont il avait envie. A part garder ses doigts entrelacés avec ceux du blond pour l'équivalent d'une éternité.

– Tu veux venir dîner chez moi ce soir ? Ma mère va faire des crêpes !

– Des crêpes ? J'aimerais bien...

– Mais tu dois rentrer chez toi ?

– Oui. Abuelita va sûrement s'énerver si je ne rentre pas tôt... il souffla et Esteban caressa sa joue avec tendresse. Voyant ses yeux s'écarter légèrement, il se dépêcha d'ajouter:

– Tu avais un cil ! Désolé.

– Pas grave. Vraiment. il lui sourit et le blond aussi. Avec lui, pas besoin de réfléchir. Il suffisait de sourire, de dire ce qu'il pensait et de rougir inutilement. De toute manière, Esteban ne le jugeait pas. Il était toujours si gentil avec lui. Cela faisait à peine trois jours qu'ils se connaissaient. Mais Pablo avait l'impression de partager sa vie depuis des siècles. Comme s'ils s'étaient déjà rencontrés dans une autre vie. Dans un autre univers.

Peut-être que, par-delà les étoiles, deux garçons comme eux se rencontraient aussi. Apprenaient à se connaître, à se sentir plus libres. Plus heureux aussi. Tout le vide dans leurs cœurs s'échappait alors pour tourner, tourner, tourner jusqu'à créer un trou noir. Mais les garçons n'avaient pas peur. Parce que dans le creux de leurs mains, une étoile était née. Et de cette étoile, une galaxie. Un enchevêtrement de planètes, de soleils et de lunes. Et là-bas, tout le monde avait sa place. Les garçons comme Pablo. Ceux comme Esteban. Les vieilles femmes comme madame Torrez. Les jolies filles comme Gianna. Celles tristes et mystérieuses comme Soledad. Et même les hommes comme son père. Ou alors peut-être que leur étoile n'avait jamais quitté leurs paumes parce qu'ils ne s'étaient jamais lâchés. Depuis des années lumières, ils se tenaient par la main. Ils étaient seuls mais heureux. C'était peut-être ça le bonheur.

– À quoi est-ce que tu penses ? demanda doucement Esteban et glissant son menton sur son épaule, ses lèvres tout prêt de son oreille.

– Pas grand chose d'important... murmura Pablo en tournant légèrement la tête. Ils étaient proches. Si proches.

– Tout ce qu'il y a dans ta tête est important, Pablito. Tu es important. il le sentit sourire tout doucement contre la peau de son cou. Un frisson le parcouru tout entier. La surprise et l'affection.

– Toi aussi. répondit l'adolescent sur le même ton, souriant à son tour.

Ils partirent de la boutique à l'heure de la sieste. Celle-là même où tout le pays s'endort alors que le soleil brille furieusement dans un ciel bleu aquarelle. Ils passèrent devant la plage et furent surpris de la trouver déserte. Mais Esteban émit l'hypothèse que les autres adolescents s'étaient sûrement regroupés chez Soledad pour la réconforter. Car, même si elle n'était pas spécialement proche de la vieille femme, elle l'appréciait. Ils errèrent avec paresse dans les rues fatiguées. Les volets étaient fermés, les rideaux tirés. Un chien aboya dans un jardin, un chat grogna non-loin. Quelques lézards aventureux glissaient sous les portes des maisons, sur les murs aux couleurs effacées. Ils aperçurent même un petit serpent. Les pavés faisaient résonner leurs pas. Esteban pouffa sans aucune raison et Pablo le dévisagea en fronçant les sourcils.

– Une fois, quand j'étais plus petit, je suis tombé dans cette rue. J'avais peur que ma mère ne me gronde. Mais au lieu de ça, elle s'est énervée contre le sol ! C'était tellement ridicule et improbable qu'on en rit encore avec mon abuelita ! il rit à nouveau et Pablo secoua la tête en souriant.

– Je trouve ça quand même incroyable de ne t'avoir jamais vu dans le coin.

– C'est parce qu'on venait hors-saison. Maman n'aime pas la foule. Ni les autres gens... Je crois qu'elle a peur que je m'en aille, comme mon père. il tira nerveusement sur une boucle rebelle avant de la replacer derrière son oreille.

– Je vois... Je crois que ma mère préférait que mon père soit parti. C'est pas qu'ils se détestent ou quoi que ce soit. Juste qu'ils ne s'aiment pas. Ou plus, je sais pas trop. Mais le divorce les ennuient. Alors ils restent ensemble, par habitude. Mon père a une maîtresse.

– Tu n'as pas eu de chance, je suis désolé...

– Pourquoi tu t'excuses ? Ce n'est pas ta faute. Et puis, si mes parents n'étaient pas comme ça je ne serais pas là pour l'été. On aurait pas pu se rencontrer... les derniers mots sortirent timidement de la bouche de l'adolescent. S'arrêtant au milieu du chemin, Esteban sourit. Les commissures de ses lèvres s'élevaient pour rejoindre le coin de ses yeux, dévoilant deux rangées de jolies dents. Pablo continua d'avancer quelques secondes avant de se retourner pour voir ce qu'il faisait.

– Q-quoi ?

– Tu es content qu'on se soit rencontrés ?

– Bien évidement... Quelle question.

– Moi aussi ! Je suis tellement heureux de te connaître ! s'exclama-t-il si soudainement que Pablo sursauta légèrement. Le blond couru pour le rejoindre et attrapa ses deux mains, entrelaçant une nouvelle fois ses doigts aux siens.

– Je sais que tu dois me trouver bizarre parce qu'on ne se connaît pas depuis très longtemps mais j'ai l'impression qu'avec toi, je peux vraiment être moi. Tu vois ce que je veux dire ? Avant, je me posais tout un tas de questions. J'agissais en ayant toujours peur de prendre les mauvaises décisions. Mais dès que je t'ai vu, j'ai su que je voulais devenir ton ami ! Merci ! il lâcha ses mains pour passer ses bras autour de sa taille. Ils étaient au milieu d'une rue, visibles par le soleil et tout le reste du monde. Normalement, Pablo aurait paniqué. Il n'était pas friand des marques d'affections en public. D'abord parce qu'il n'était pas habitué et surtout parce que cela le gênait. Mais il n'y avait personne. Juste eux deux. Profitant du monde ensemble. Alors il posa à son tour ses mains dans le dos du blond et cala sa tête contre son torse.

– Je t'en prie. Je ressens à peu près la même chose. Je suis content de te connaître, Esteban. Vraiment. il serra un peu et l'autre garçon glissa sa tête contre la sienne. Il sentait son cœur palpiter un peu partout dans son corps. Comme si des centaines d'étoiles naissaient en lui. Une galaxie infinie prenait place. Un flot continue de commencements et de possibilités. Un début.

– J'ai hâte d'aller voir les étoiles avec toi. murmura Esteban en s'écartant légèrement pour plonger son regard dans le sien. Pablo acquiesça.

– Moi aussi.

– Allons-y ce soir ! ses yeux brillaient comme ceux d'un enfant impatient.

– Samedi. Il reste trois jours.

– Quatre avec aujourd'hui...

– La journée est bientôt finie, elle ne compte plus !

– Trois et demi alors... répliqua-t-il ce qui fit rire l'adolescent qui fini par acquiescer.

– D'accord, si tu veux. Trois jours et demi.

Le soir, allongé dans son lit, Pablo pensa à Esteban. Il leva ses deux bras devant lui et visualisa les mains du blond contre les siennes. Il imaginait sa tête contre son épaule. Sa tête contre son torse. L'odeur de ses cheveux. Il secoua son visage et tapota trois fois sur ses joues comme pour se réveiller. Il devenait bizarre. Il n'arrivait pas à se le sortir de la tête et il ne comprenait pas pourquoi. Il était déjà tombé amoureux. Il avait flashé sur Gianna, quatre ou cinq étés en arrière. Il y avait cette jolie fille dans son école, toute en jambe avec ses grands yeux de biche et sa bouche rosée.

Mais là, c'était différent. Ce n'étaient pas les mêmes sensations. Pas la même histoire.

Il voulait le voir. Maintenant. Même s'ils avaient passé la journée ensemble. Même s'ils se reverraient le lendemain. Il voulait regarder les étoiles. Écouter de la musique. Se balader pieds nus sur les pavés brûlés par le soleil de midi. Voler des oranges dans un verger et courir les manger à l'abri des regards. Tout au fond de lui, il ignorait si cela arriverait vraiment un jour. Il y avait toujours cette peur présente. Celle d'être trop bizarre. De le déranger. Même s'il savait qu'Esteban ne le lui dirait jamais, il avait peur qu'un jour il ne veuille plus le voir. De toute manière, la fin de l'été approchait à grands pas. Il allait rentrer chez lui. Dans sa ville polluée à l'air infect et aux habitants pressés, stressés, énervés constamment. Tout allait trop vite pour lui. Les crises s'intensifiaient toujours quand l'été se terminait. Et chez lui, il n'y avait personne pour l'aider. Il n'était rien qu'une nuisance.

Une faible lueur émanait de la lune, ondulant timidement contre les rideaux tirés. Des sanglots silencieux s'échappaient des lèvres de Pablo. Il n'en pouvait plus de toujours avoir peur de ses sentiments et de ses pensées. Bien sûr qu'il avait passé une bonne journée mais ça ne durerait pas. Ça ne durait jamais. Les bonheurs étaient éphémères. Il était fatigué. Enfonçant son visage dans son oreiller déjà humide de larmes, il se coupa ainsi du monde.

Il sombra finalement dans un sommeil sans rêve. Rien que des coupures, des trous noirs. Un ciel sans étoiles et lui, seul au centre du vide. Seul pour toujours. Parce que tout le monde habitait dans la lumière. Il régnait en maître solitaire sur le royaume des ténèbres.

Il courait pour s'en sortir mais se heurtait à des murs invisibles. Des barrières de solitude. Et derrière tout ça, le rire d'Esteban retentissait. Lugubre, sinistre, sadique.

Ses yeux s'écarquillèrent, noyés de larmes et de sueur. Il se sentait horrible et poisseux. Le réveil sur sa commode affichait en lettres rouges brillantes « 4:07 ». Il soupira et se leva. Il mourrait de chaud et sa tête était remplie de bruits insupportables. Il sortit de sa chambre et se dirigea vers la salle de bain afin de tremper son visage dans de l'eau fraîche. Les gouttes perlèrent sur sa peau brûlante et cette fois-ci, il ne put se retenir de frapper le miroir causant un fracas. Les éclats volèrent, tombant au sol comme une pluie fine d'étincelles. Chacun d'eux lui renvoyèrent un regard désagréable rempli de larmes et de haine.

Poussant un grognement de frustration, il enroula une bande de papier toilette autour de son poing ensanglanté, enfila sa jaquette et se glissa dehors, dans la nuit du matin. La rosée perlait sur les pétales des roses et les brins d'herbes. Mais il ne s'attarda pas sur les détails. Il avançait d'un pas décidé, posant l'un après l'autre ses pieds nus sur les pavés frais. Il passa devant l'église, sombre et lugubre à une telle heure. Derrière elle, le cimetière se tenait bien droit, vide de toute âme. Une chouette hulula quelque part au loin et disparu dans un battement d'ailes. Tout autour de lui, la nature vivait. Mais il n'avait pas la tête à observer. Il n'en avait pas l'envie non plus.

Quand il arriva devant la jolie petite maison jaune aux volets oranges, il resta debout, quelques secondes, ne sachant pas quoi faire. Esteban lui avait expliqué que sa chambre était à l'étage. Mais il ne pouvait pas entrer sans le lui demander, ce serait étrange. Il voulait vraiment le voir. Mais il devrait attendre. Alors il repartit se balader. Il longea le bord de mer, assista au lever timide du soleil couché sur le sable et se releva aux premières lueurs de l'aube. Sa main lui faisait encore un peu mal mais il s'était accommodé à la douleur. Quelques mouettes le saluèrent et une chatte accompagnée de ses petits croisèrent son chemin. Il s'accroupit pour les caresser et gratta doucement leurs petites têtes poilues aux yeux curieux avant de reprendre sa route. Les De Sato vivaient près de la forêt, dans les hauteurs du village. Leur maison était jaune et menue. Les volets, fraîchement repeints, avaient été ouverts. Et devant la porte d'entrée, une femme à la beauté incomparable se tenait sur le perron. Elle possédait une chevelure blonde imposante et des yeux bruns profonds. Elle ressemblait trait pour trait à son fils. A se demander si il n'y avait jamais eu de père mais rien qu'elle.

La femme roucoulait doucement en espagnol à l'attention d'une personne à l'intérieur de la maison. Elle avait un accent dur et ses mots étaient pointus bien que ses paroles devaient sûrement enchanter le cœur de leur destinataire. Elle se pencha et embrassa un front couvert de mèches rebelles et blondes. Captant son regard, Esteban se dégagea doucement de l'emprise de sa mère et plaqua un gros baiser sur sa joue avant de saluer Pablo qui était resté planté sur le chemin.

– Mamá ! C'est Pablo, l'ami dont je t'ai parlé ! s'exclama-t-il en lui souriant doucement. La femme posa un regard inquisiteur et l'adolescent se rendit compte que ce n'était pas la meilleure première impression du monde. Il avait si mal dormi que les cernes sous ses yeux devaient être énormes. Son visage portait encore les éraflures de la veille, il n'avait même pas mis de chaussures et pour couronner le tout sa main droite était entourée dans du papier toilette imbibé de sang. Il devait avoir l'air pathétique. A cette pensée, Pablo regretta immédiatement d'être venu.

– Manuela, enchantée. Je suis contente que mon fils fasse enfin quelque chose de ses vacances. Ta mère doit sûrement penser la même chose, non ? elle n'attendait pas de réponse, lui offrant simplement sa main gauche qu'il serra timidement puis adressa une dernière parole à son fils avant de s'en aller, faisant claquer ses talons de manière presque distinguée. Esteban la regarda monter dans sa voiture et partir puis se tourna vers Pablo en fronçant les sourcils.

– Où sont tes chaussures ?

– Euh... Chez moi.

– Et pourquoi tu ne les portes pas ?

– Je n'en n'avais pas envie...il baissa le regard comme un enfant pris en train de faire une bêtise. C'est à ce moment qu'il se rendit compte que le blond n'était vêtu que d'un caleçon rouge ligné blanc. En relevant la tête, il remarqua le bazar de ses cheveux et le sommeil accumulé au coin de ses yeux fatigués. Sa voix aussi était encore plus rauque que d'habitude.

– Tu viens de te réveiller ?

– Oui... Mais si tu veux je suis prêt dans cinq minutes maximum ! Le temps d'enfiler quelque chose... Enfin de plus portable.

– Non c'est bon... T'as l'air fatigué tu devrais retourner te coucher. souffla Pablo déjà prêt à s'en aller. Mais Esteban secoua la tête.

– Non ! Je déborde d'énergie ! il sautilla autour de lui en agitant ses bras dans tous les sens. Pablo pouffa doucement et le blond ajouta:

– Et surtout, je veux passer du temps avec toi.

Frissonnant, toute la douleur qu'il accumulait en lui s'évapora pour laisser place à cette affection si particulière qu'il lui vouait. Il planta son regard dans le sien et lui sourit avec sincérité avant de lui attraper timidement la main pour l'empêcher de continuer à sauter partout.

– Moi aussi, mais tu devrais dormir.

– Alors reste avec moi. T'as l'air fatigué. Viens avec moi... c'était tentant. Il acquiesça doucement, enfonçant profondément son poing couvert de sang pour qu'il ne le voit pas.

– Mais promets-moi que tu vas dormir.

– Promis. il rit à nouveau comme un enfant et l'entraîna à l'intérieur.

Les couleurs chaudes et variées lui donnaient l'impression d'entrer dans un soleil. Au sol, plusieurs tapis se superposaient et sur les murs, des photos de famille en recouvraient toute la surface. Ils montèrent l'escalier sur la pointe des pieds et Esteban l'emmena timidement dans sa chambre. La pièce, plutôt vaste, était occupée par une immense bibliothèque, un lit deux places couvert d'une pile incroyable de coussins sur lesquels un chat noir se reposait, un énième tapis, une commode et une porte-fenêtre menant sur un petit balcon.

– Fais comme chez toi, je reviens dans deux secondes ! l'abandonnant là, Esteban disparut dans le couloir. Ne sachant pas trop quoi faire, Pablo s'approcha timidement du lit et tendit sa main vers le chat. L'animal ouvrit les yeux et le jaugea quelques instants avant de glisser sa tête contre la paume du garçon. Celui-ci sourit doucement et le grattouilla jusqu'à ce que son hôte revienne, les bras chargés de matériel médical.

– Si tu crois que tu pouvais me cacher ça, tu me prends véritablement pour le plus grand des idiots ! Laisse-moi te soigner. il s'assit sur le lit et tapota la place à côté de lui. Pablo soupira mais il s'y installa tout de même et sortit sa main. En déroulant le papier, il se rendit compte que le sang avait séché contre la bande d'infortune créant une étrange pâtée immonde. De plus, il restait encore des bouts de miroir entre ses doigts.

– Tu n'as même pas désinfecté ! Je ne me suis pas donné tout ce mal pour ta jambe pour qu'au final tu te fasses amputer de la main ! il rit doucement mais son ton était sérieux.

– Désolé... Je n'y ai pas pensé... Et je suis désolé de toujours me blesser. l'adolescent fit une moue et Esteban ébouriffa ses cheveux.

– Ne t'excuses pas ! Je peux m'entraîner. T'es un peu mon cobaye, merci ! Et je suis toujours là pour toi, d'accord ?

– D'accord... il se turent et avec patience, Esteban nettoya la blessure, en extirpa les quelques morceaux de verre et refit un bandage plus propre. Une fois la tâche terminée, il rangea son attirail et tira Pablo avec lui dans le lit. Il l'enroula dans son duvet et le regarda en souriant.

– Maintenant, dors.

– C'est moi qui devrait te dire ça. répliqua l'adolescent en fronçant les sourcils. Mais Esteban secoua la tête et posa son index sur ses lèvres pour lui faire signe de se taire. Pablo leva les yeux au ciel mais néanmoins, il se dit que dormir ne lui ferait pas du mal. Il avait peur de retomber dans cette abîme de solitude. Mais cette fois-ci au moins, il n'était pas seul.

Il sortit de son cocon et partagea la couverture avec Esteban. Puis retira sa jaquette parce qu'il risquait de mourir de chaud s'il le gardait. Couché sur le dos, il laissa le monde venir à lui. Les bruits de l'univers qui s'éveille à l'extérieur de la pièce. Les volets qui s'écartent, les portes qui s'ouvrent, les couverts qui claquent. Les chats, les chiens, les mouettes, les habitants s'ouvraient, doucement, une nouvelle fois au monde.

Le blondinet était couché sur le ventre et l'observait avec tendresse. Il fit glisser ses doigts jusqu'à sa tempe et en écarta une mèche rebelle. Pablo rencontra son regard. Un million d'étoiles entrèrent en collision. Leurs doigts s'entrelacèrent comme ils avaient désormais l'habitude de faire. Un sourire se dessina sur les lèvres à la courbe parfaite d'Esteban. La fatigue avait quitté ses yeux pour laisser la place au pétillement original. Il se rapprocha doucement, posant sa tête contre la sienne. Pablo tourna la sienne pour pouvoir mieux le voir. Leurs lèvres étaient si proches. L'envie de traverser cette distance brillait dans le regard d'Esteban. Mais elle semblait si immense. Ils avaient beau se trouver à quelques centimètres l'un de l'autre, il se sentait à des années-lumière de lui.

– Est-ce que je peux t'embrasser ? demanda-t-il alors timidement, frivolement.

Les cigales s'affolèrent, de concert avec le cœur de Pablo. L'embrasser ? Lui ? Est-ce qu'il en avait envie ? Sûrement, oui. Est-ce qu'il pouvait se le permettre ? Rien ne le lui interdisait. Il le voulait. Alors il hocha délicatement de la tête et Esteban se rapprocha de lui. Leurs mondes s'entrechoquèrent, une apocalypse qui avait le goût de la douceur et de l'amour. Quelque chose de confus mais de tellement agréable.

Esteban lâcha sa main pour venir poser la sienne sur sa joue tandis que Pablo l'étreignit avec toute cette affection dont il débordait. Et quand ils s'écartèrent pour reprendre leur souffle, le blondinet éclata d'un rire si pur, venant tout droit du plus profond de son cœur. En temps normal, Pablo se serait dit qu'il se moquait de lui. Mais la sincérité dans sa voix ne laissait aucun doute sur le fait qu'il riait en débordant de bonheur. Il entraîna Pablo avec lui, collant leurs joues l'une contre l'autre.

Pablo embrassa timidement sa peau, à côté de ses lèvres, le bout de son nez, sa tempe. Esteban riait doucement tout en glissant ses mains dans ses cheveux, faisant virevolter ses doigts entre les mèches sombres. Leurs cœurs s'emballaient, battant à tout rompre dans leurs poitrines. Ils brûlaient d'affection, de bonheur, d'amour, de plaisir. Celui d'être enfin quelqu'un. De se trouver. Comme deux soleils, ils brûlaient si fort, si loin. Pablo n'avait jamais connu ça. Il n'avait jamais espéré goûter à ça. Toute la peur, toute la tristesse, toutes les pensées que lui-même s'interdisait d'éveiller laissaient place à cette étoile bouillonnante en lui.

Esteban posa sa main sur son torse et le surplomba de quelques centimètres, souriant comme un fou. Un fou d'amour.

– Allons voir les étoiles.

– Samedi...

– Quoi ? Est-ce que j'ai fait quelque chose de mal ? il s'écarta un peu, véritablement blessé. Mais Pablo l'attira à nouveau contre lui et répondit en riant.

– C'était une blague, bien sûr que je veux aller voir les étoiles avec toi. Je voudrais que ce soit déjà la nuit pour prendre ta main et sortir en cachette.

– Tu peux déjà prendre ma main. Même si le soleil brille et que tout le monde peut nous voir. il frotta son nez contre le sien et posa sa paume contre son visage rougit. Pablo se sentait étrange, il ignorait d'où lui venait toute cette confiance. Mais il appréciait ça.

– Et si on allait se promener aujourd'hui ? On pourrait pique-niquer dans la forêt ! Je connais des jolis coins. les grands yeux chocolats d'Esteban débordaient d'énergie. Pablo acquiesça doucement.

– Je veux bien. Mais...

– Oui. D'abord, tu vas dormir ! attrapant son visage avec ses deux mains, le blondinet déposa un baiser sur son front, entre ses sourcils, et s'écarta un peu. Il replaça correctement le duvet avant de caler sa tête contre le torse de Pablo et de fermer les yeux. L'autre garçon l'imita et il ne lui fallut pas longtemps pour sombrer dans le sommeil.

Quand il se réveilla, il était seul dans le lit. Esteban et son chat avaient disparu. Une vague de panique l'envahit soudainement mais elle disparut aussitôt, la voix du blondinet provenant du rez-de-chaussée. Il chantonnait un air inconnu en cœur avec une femme, sûrement sa grand-mère. L'entendant remonter les escaliers, Pablo eût le réflexe stupide de faire semblant de dormir. Il entendit les pas légers se diriger jusqu'à lui, accompagnés par une odeur alléchante. Il garda les yeux fermés et fut parcouru d'un frisson quand les lèvres d'Esteban se déposèrent sur sa tempe. Il posa ce qu'il avait apporté sur la table de nuit et glissa ses doigts sur la colonne vertébrale de l'adolescent, remontant jusqu'à sa nuque. Là, il joua avec les petits cheveux qui y poussaient. Il remplaça le toucher délicat de son index et son majeur par la douceur de ses lèvres, traçant un chemin de baisers jusqu'à la bouche de Pablo. Celui-ci finit par ouvrir les yeux et leva la main pour effleurer la joue du blondinet. Il rit et l'embrassa avec passion.

– Je t'ai apporté des crêpes. Et du jus d'orange ! il pointa l'assiette dont le contenu remplissait la pièce d'une odeur de souvenirs et le regarda se redresser, la tête encore ensommeillée.

– Quelle heure est-il ?

– Un peu plus de midi.

– J'ai trop dormi ! Tu aurais dû me réveiller !

– Tu étais trop mignon, je ne voulais pas te déranger. il lui sourit et Pablo rougit instantanément. Il attrapa sa crêpe et la mangea pour tenter vainement de cacher son visage.

– Je vais te prêter des habits. Après on aura qu'à se balader dans la forêt puis je te raccompagnerai chez toi et on pourra se retrouver ce soir pour voir les étoiles, qu'est-ce que tu en dis ?

– C'est un bon plan ! répondit Pablo en avalant son repas. Il termina sa bouchée et s'étira, faisant craquer ses articulations. Esteban grimaça à l'entente du bruit.

C'était l'une de ces rares journées où des nuages remplissaient le ciel et cachaient le bleu azur habituel. Ces jours-là, on apercevait plus de gens dans les rues. Les filles comme Gianna portaient autre chose qu'un maillot de bain et les garçons comme Rafael cachaient leurs muscles sous des t-shirts. Mais en sortant de la jolie maison jaune, Esteban et Pablo ne croisèrent personne. Ils se dirigèrent en riant vers la forêt, se racontant des blagues. Ils se poussaient et s'étreignaient comme des vieux amis. Personne n'aurait pu se douter qu'ils se connaissaient depuis moins d'une semaine. Même eux n'arrivaient pas à le croire.

– Cette fille était folle de moi. Complètement dingue ! J'ai dû lui expliquer gentiment plus de trente fois qu'elle n'était pas mon genre.

– Trente fois ? s'exclama Pablo en écarquillant les yeux comme des soucoupes.

– Oui ! Elle ne m'a lâché la grappe seulement quand elle a comprit que j'étais... Gay. Là, elle m'a trouvé dégoûtant ? Et depuis elle change même de trottoir quand elle me voit dans la rue. il éclata de rire en imitant la fille de son histoire. Pablo secoua la tête.

– Les gens ne sont pas croyables.

– C'est nous qui somme trop incroyables pour eux. répliqua Esteban et déposant un baiser furtif sur la joue de Pablo avant de s'élancer en avant, courant avec ses longues jambes.

– Le dernier à l'étang est une poule mouillée !

– Ce n'est pas juste je ne sais pas où il est ! grogna l'adolescent en tentant de le rattraper. Ils éclatèrent de rire avant d'arriver à leur but et durent s'arrêter pour reprendre leur souffle.

Ils se laissèrent tomber dans l'herbe, comme la première fois qu'ils étaient venus. Mais cette fois, c'est l'un contre l'autre qu'ils s'étendirent.

– Tout va bien aller maintenant. Je suis là pour toi, toujours. souffla Esteban en ébouriffant affectueusement les cheveux de Pablo. Il le repoussa doucement en sourit.

– Merci... C-creo que te amo... Pour de vrai. répondit-il, timidement, à voix basse. Les oiseaux au dessus de leurs têtes n'avaient rien entendu. Tout comme les poissons dans l'étang ou les insectes sous l'écorce des arbres. Une confession uniquement murmurée à l'adresse de son destinataire. Qui, pour la première fois depuis leur rencontre, rougit à son tour. Sur sa peau pâle, le vermeille se voyait bien plus.

– Yo también te quiero... Depuis le début. Avant la plage.

– Comment ça ? il se tourna légèrement pour pouvoir le regarder.

– Ma mère ne me laissait pas sortir. Mais ça ne veut pas dire que je ne le faisais pas.

– Tu m'observais ? il pouffa, un peu gêné.

– Non ! Tu fais sonner ça bizarrement... Mais je t'ai déjà vu. Et je voulais être ami avec toi...

– Tu dois bien être la seule personne au monde qui ait jamais pensé ça.

– C'est parce que je suis le seul qui compte. lui adressant un clin d'œil, il se redressa et Pablo éclata de rire.

– Pourquoi tu rigoles ? Je suis blessé ! il se retourna, collant sa joue dans l'herbe. L'autre garçon rit de plus belle en secouant la tête.

– Pardon. C'est vrai, tu as raison ! Tu es la seule personne qui m'importe. il posa ses lèvres sur sa joue en se penchant par dessus lui. Esteban l'attira, le faisant tomber et ils roulèrent dans les fleurs qui poussaient là. Le regard plongé dans celui de l'autre, leurs cœurs battaient à l'unisson. Il n'existait vraiment plus qu'eux deux sur terre. Eux deux et cette clairière. Rien d'autre.

– Te amo. souffla une nouvelle fois Pablo avant de plonger timidement contre ses lèvres. Ils passèrent leur après-midi à parler, se racontant leurs secrets, leurs envies. Ils se baignèrent aussi, dans la rivière. Ils s'embrassèrent, se câlinèrent, cherchèrent des trèfles à quatre feuilles et débattirent sur les formes des nuages. Ils passèrent un moment de rêve. Et quand le soleil commença sa lente descente vers l'autre côté du globe, ils décidèrent d'un commun accord de rentrer.

– Retrouvons-nous à la clairière aux étoiles à neuf heures, d'accord ? demanda gentiment Esteban, caressant la paume de sa main du bout des doigts. Pablo lui sourit et acquiesça.

– Tu peux compter sur moi ! Je viendrai. il déposa un léger baiser sur la commissure de ses lèvres puis s'éloigna sur le sentier, suivant la route pour retourner chez lui. Son cœur était rempli d'émotions en tous genres. Mais aucune d'elle n'était négative. Il se sentait presque libre. Il aurait pu se mettre à danser et à chanter s'il savait le faire. Il aurait pu. Néanmoins, tout ça s'évapora d'un seul coup quand il parvint devant la maison de ses grands-parents. Une voiture familière était garée là. Et c'était tout sauf une bonne nouvelle. Loin de là, même.

Il poussa le plus silencieusement possible la porte d'entrée et tendit l'oreille pour tenter de reconnaître les voix qui lui provenaient du salon. Le timbre froid et dur de son père, les aboiements sans pitié de sa mère. Ils s'étaient tous les deux déplacés, ils avaient annulés leurs vacances à deux. Mais pourquoi ? Il se glissa dans la pièce, ayant conscience de l'état dans lequel il était. Les joues rosies de baisers et d'insouciance, les cheveux en bataille encore humides, un t-shirt et une paire de chaussures ne lui appartenant pas, sa jambe gauche écorchée, son poing droit encore rempli de sang. Il allait passer un sale quart d'heure. Et le regard furieux que sa mère posa sur lui à peine entré dans son champ de vision le lui confirma. Elle s'approcha et sa main rencontra sa joue. Pas dans le geste d'amour maternel attendu mais sous la forme d'une baffe qui lui fit tourner la tête.

– Où étais-tu passé ? Ta grand-mère était morte d'inquiétude ! Tu as dérangé tous nos plans ! elle hurlait à s'en décoller les poumons. Secouant ses mains dans tous les sens, faisant claquer ses talons sur le carrelage froid. Il tenta de murmurer quelque chose mais son regard féroce l'empêcha d'en dire plus.

– Mamá, no...

– Dès qu'on ne s'intéresse plus à toi, tu casses tout ! Quel âge tu as ? Allez dis-le moi, quel est ton putain d'âge ? elle attrapa son visage et le serra dans sa paume, ses ongles lui griffant les joues.

– Dix-sept.

– Dix-sept ans et tu te conduis toujours comme un bébé ! On en peut plus, Pablo ! Il faut que tu apprennes à grandir !

– Je...

– On dirait que ça te fait plaisir de faire souffrir tout le monde autour de toi ! Tu sais que ta grand-mère nous a appelés en pleures ce matin ? Depuis ce matin ! Tu avais disparu !

– Je n'ai pas vu le temps passer, mamá je te le jure ! Je n'ai pas fait exprès !

– Ne me réponds pas ! Pas de ça avec moi ! Tu nous gâches la vie ! Est-ce que tu en as seulement conscience même ? On se donne corps et âme pour toi ! Pour qu'au final tu détruises tout ! Je n'en peux plus, Pablo. Je suis épuisée. C'est fini. On va rentrer demain et nous t'enverrons dans un internat. son ton, devenu glacial, s'accordait parfaitement avec le visage de marbre que gardait son père. Derrière eux, sa grand-mère sanglotait encore. Il était fichu. Sa première pensée fut pour Esteban. Comment le prévenir qu'il ne pourrait pas venir voir les étoiles avec lui ? Le reverrait-il un jour de toute manière ? Il n'en savait rien. Devant lui, sa mère s'énervait encore.

– C'est ça le problème avec toi. C'est que même quand on te donne tout, ce n'est pas assez ! C'est toi qui a demandé à venir passer les vacances ici. C'est toi qui le voulait. Pourtant abuelita m'a dit que tu as passé un mois à faire les cent pas et à toujours faire la tête ! Ce n'est pas possible ! Tu es ingrat. Qu'est-ce que tu voudrais à la fin ? Qu'on te donne nos vies ? C'est ça que tu veux ? la rage imprégnait chacune de ses paroles, claquantes comme des fouets. Pablo aurait voulu lui dire que ce n'était pas du tout le cas, qu'il n'avait voulu inquiéter personne. Mais comme toujours, elle le terrifiait. Alors il resta planté là, dans son pitoyable état, la tête baissée, les larmes s'accumulant aux coins de ses yeux.

– Laisse-le, cariño. Il ne mérite pas que tu t'énerves autant sur lui. Tu ne fais que gâcher ton énergie. pour la première fois, son père avait parlé. Ses paroles étaient froides, sans pitié. Les larmes coulèrent d'elles-mêmes.

– Et maintenant il pleure. Tu ne pourras rien affronter dans la vie si tu continues à te comporter comme une pédale. Ça ne peut plus continuer. il était si calme que ses mots blessaient encore plus.

– Monte dans ta chambre sans manger, tu as causé assez de soucis aux autre pour la journée. Je viendrai te chercher demain quand il sera l'heure de partir. il ne lui adressa par un regard de plus. Pablo ignorait d'où il trouva la force de bouger mais elle lui permit d'arriver jusqu'à son lit. Il se laissa tomber dessus et ne se donna même plus la peine d'empêcher les larmes. Ses parents avaient raison, comme toujours. Il avait été égoïste, il ne pensait qu'à lui. C'est tout ce qu'il savait faire de toute manière. Sa grand-mère avait dû le chercher pendant toute la journée. Esteban l'attendrait sûrement toute la nuit.

Il enfonça la tête dans son t-shirt et huma l'odeur encore présente du blondinet. Il allait partir demain. Et alors ils ne se reverraient plus jamais. Il serait envoyé dans un pensionnat, ne passerait plus ses étés dans ce petit village et perdrait à jamais la trace de ce bonheur qu'il chérissait tant. Parviendrait-il seulement à tenir sans ça ? Il n'en était même pas sûr.

Il avait beau être réveillé, ses cauchemars l'assaillaient. La solitude, l'incompréhension, le noir complet. Il était tellement terrifié qu'il en tremblait. Qu'est-ce qu'il allait lui arriver ? Son père entra dans la pièce et le trouva recroquevillé dans son lit. Il murmura des paroles sèches et détacha sa ceinture. La douleur ne l'atteignit même plus. Il avait oublié le goût du cuir sur sa peau. Mais pas les sensations. Brûlantes. Comme les larmes sur ses joues. Il ignorait combien de temps passa. Il ne sût pas quand son père s'en alla, verrouillant la porte derrière lui. Tout ce qu'il savait, c'est qu'il ne détestait personne plus que lui-même à cet instant précis.

Il avait perdu le fil du temps. Mais il savait que l'heure était passée. Esteban se trouvait sûrement seul dans la prairie, étendu au sol. Ses cheveux devaient former un halo pâle autour de son visage parfait, ses lèvres ouvertes sur un souffle. Ses yeux sombres scrutant l'horizon dans l'attente de voir sa silhouette apparaître. Mais il ne viendrait pas. Alors il rentrerait chez lui, se poserait sûrement un tas de questions. Et le lendemain il apprendrait qu'il était parti. Il lui en voudrait pour toujours. Et c'est ce qu'il méritait.

Mais Esteban n'était pas comme ça. Il s'inquiéta. Et quand il vit que Pablo n'était toujours pas là, il décida d'aller le chercher. D'abord, il se présenta à la porte d'entrée et toqua timidement. Un homme à l'air terrifiant vint alors lui ouvrir et le jaugea d'un œil presque accusateur. Ne sachant pas trop où se mettre, le blondinet sautillait sur ses pieds.

– Bonsoir monsieur. Je suis Esteban, un ami de Pablo. Nous devions nous voir ce soir mais il n'est pas venu... Je voulais juste vérifier que tout allait bien...

– Tout va bien merci, bonne soirée. il lui claqua la porte au nez sans permettre à l'adolescent d'ajouter quoi que ce soit. Bien qu'il ait obtenu une réponse, cela sonnait faux. L'homme qui lui avait ouvert ressemblait énormément à Pablo. Il devait sûrement s'agir de son père. Mais il lui avait dit que ses parents étaient partis en vacances tous les deux, le laissant chez ses grands-parents. Ça ne faisait pas de sens. Il décida donc d'agir et se glissa dans le jardin, se sentant comme un espion en mission.

Il repéra la fenêtre de Pablo grâce aux stickers collés dessus. Il y avait un sous-toit juste devant et un arbre non loin, une aubaine ! Il n'avait qu'à mettre en pratique tout ce que le cinéma lui avait enseigné jusqu'à maintenant.C'était son heure de gloire.

Il s'agrippa d'abord au tronc et l'escalada non sans peine avant de parvenir à la hauteur idéale. Mais là, les choses se compliquèrent. Il devait se balancer jusqu'au toit mais sans glisser de l'arbre ; chose qui s'avérait plutôt difficile. Mais l'adrénaline lui donna des ailes et il réussit finalement à atteindre son but sans se faire trop mal. Triomphant, et ignorant la douleur dans sa jambe droite, il s'avança avec précautions jusqu'à la fenêtre sur laquelle il tapota doucement. Ne voyant que cela ne provoquait aucune réaction, il tapa un peu plus fort. Finalement, il vit du mouvement dans la pièce et Pablo émergea.

L'adolescent avait d'abord cru à une énième hallucination quand il s'était rendu compte que quelqu'un se trouvait devant sa fenêtre. Il en fut encore plus persuadé quand le visage d'Esteban apparut dans son champ de vision. Mais une fois que le blond fut entré et qu'il l'eût serré contre lui, il se convainquit qu'il ne rêvait pas. Il passa ses mains sur son visage, caressa ses lèvres du bout des doigts et nicha sa tête contre son torse. Finalement, le blond s'écarta pour lui demander en murmurant:

– Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Pourquoi est-ce que tu n'es pas venu ? il caressa ses cheveux et lui offrit un sourire réconfortant. Sans un mot, Pablo leva son t-shirt, découvrant les cicatrices toutes neuves que son père venait de lui offrir. Les lèvres d'Esteban s'ouvrir dans une expression de surprise mais rapidement la colère prit le dessus dans ses yeux, irradiants.

– Qui t'as fait ça ? Pourquoi ? Je vais me battre.

– Non... Ça ne sert à rien. posant une main sur son torse, comme pour l'arrêter, Pablo soupira.

– Dis-moi au moins qui c'est. Je le connais ?

– Mon père. Mais c'est ma faute ! J'ai encore tout gâché comme à chaque fois.

– Mais non, ne dis pas ça ! s'exclama Esteban à mi-mot. Pablo secoua la tête avant de froncer les sourcils.

– Attends. Comment est-ce que tu as fait pour venir jusqu'ici ? On a pas d'échelle à ce que je sache.

– J'ai escaladé. répondit fièrement l'adolescent en bombant le torse.

– Tu aurais pu te faire mal ! Ça aurait encore été ma faute...

– Non. Rien n'est de ta faute, d'accord ? Je ne sais pas ce qu'il s'est passé mais ça va aller ! On va s'en sortir, je suis là maintenant. Avec toi.il attrapa doucement son visage et frotta son nez contre le sien avec tendresse. Pablo sourit mais le repoussa gentiment.

– Tu devrais partir.

– Viens avec moi. Allons voir les étoiles. Tu me l'avais promis.

– Je... Je ne peux pas.

– Alors demain ! Ils se seront sûrement calmés d'ici là, non ? il attrapa ses mains. Un sourire confiant illuminait son sourire, obligeant ses yeux à se plisser en deux jolies fentes. La culpabilité serra la gorge de Pablo qui secoua tristement la tête.

– Je vais partir. Demain, matin... Ils veulent m'envoyer dans un pensionnat. Je pense que je ne vais plus jamais revenir.

– Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ? Ne dis pas ça comme ça ! il continuait de sourire, il ne comprenait pas. Ou ne voulait pas comprendre.

– Esteban...

– Non. Je vais aller leur dire ! Ils ne peuvent pas t'obliger à faire des choses dont tu n'as pas envie !

– Bien sûr que si. C'est mes parents !

– Et alors ? Ça ne veut rien dire. Ce n'est pas parce qu'ils t'ont mis au monde qu'ils ont tous les droits sur toi. Pablo, tu n'es pas leur objet. Quelque chose dont ils peuvent disposer à leur guise !

– Tu es celui qui dit ça ? Ta mère t'as toujours gardé pour elle, comme une poupée. Est-ce que tu avais le droit de jouer avec les autres enfants ? De penser par toi-même ? Ce n'est pas parce qu'elle a toujours été gentille et douce avec toi qu'elle ne t'a pas non plus fait du mal !

– Tu ne comprends pas ? J'ai fait ça pour elle ! Je lui ai toujours obéit pour son bien. Mais toi, qu'est-ce que ça t'apporte de te plier à toutes les exigences de tes parents ? Je veux t'aider, pourquoi est-ce que tu ne le vois pas ? la frustration se lisait sur ses traits tendus. Il retenait ses larmes. Pablo ne voulait pas le voir comme ça. C'était peut-être égoïste mais il ne voulait pas voir le mal qu'il pouvait lui faire. Sa mère avait raison, il était égoïste et blessait toujours tout le monde.

– Va-t-en. S'il te plaît. le regard rivé vers le sol, son murmure remplit l'espace comme s'il venait de crier. Il avait mal.

– Non.

– Esteban, va-t-en.

– Non ! Je ne vais pas partir ! Je veux t'aider ! Laisse-moi te sauver !

– Je n'ai pas besoin d'être sauvé. Alors maintenant, pars. il lui tourna le dos, il ne voulait plus le voir. Il s'attendait à ce que la garçon abandonne et s'en aille. Mais Esteban était têtu. Il s'approcha de lui et l'enlaça par derrière, enfonçant sa tête dans ses cheveux.

– Qu'est-ce que je t'ai dit... commença Pablo. Mais il n'alla pas plus loin, les mots bloqués dans sa gorge par les sanglots. Les mains d'Esteban trouvèrent les siennes et ils restèrent comme ça durant de longues minutes. Assez pour que le plus petit des deux se calme et retrouve une respiration normale, loin des saccades et vide de larmes.

– Je peux tout dire à ma mère. Parler avec ma grand-mère. Je peux convaincre tes parents. Laisse-moi essayer. souffla timidement Esteban en l'obligeant à lui faire face.

– Ça ne servirait à rien.

– Alors viens chez moi. On pourrait s'enfuir ! les étoiles dans ses yeux firent doucement rire Pablo qui esquissa un sourire triste.

– On n'est pas dans un film. On tiendrait pas trois jours dehors. Mais c'est gentil d'essayer.

– Si tu dois vraiment t'en aller alors... Promets-moi que tu m'écriras ! Peut-être que d'ici l'été prochain ils auront réfléchi et qu'ils te laisseront venir. Et jusque là, on s'écrira. D'accord ?

– D'accord. Je te le promets. il glissa sa main sur sa joue et ses lèvres contre les siennes. C'était le plus agréable des baisers. Pas un baiser d'adieu, pas celui des retrouvailles. Quelque chose d'encore mieux. Un baiser rempli de promesses. Toutes celles que des mots ne pouvaient simplement pas formuler. Toutes celles auxquelles ils n'avaient pas encore pensé. Des sourires, des regards, des milliers touchers condensés dans un seul baiser.

– Regardons les étoiles maintenant. murmura doucement Pablo en s'écartant, tirant Esteban près de la fenêtre. Le ciel était dégagé, sombre et majestueux. Les surplombant, plus d'étoiles qu'ils ne pourraient jamais les compter. Et devant eux s'étendaient les maisons cabossées, les rues tordues, les cœurs usés. L'océan tout en bas se reflétait dans leurs regards. Renvoyant la pâle lueur de la lune.

Ils restèrent là, collés l'un contre l'autre à la fenêtre, observant les mouvements délicats des astres et de la vie. Quand Esteban dû partir, le soleil pointait déjà son nez à l'horizon. Il ne voulait pas s'en aller. Il tenta une nouvelle fois de convaincre Pablo de venir avec lui. Il voulait le protéger. Mais l'adolescent su le convaincre qu'il irait bien. Embrassant chaque de ses cicatrices, glissant ses mains sur les parcelles de peau meurtries, Esteban lui fit la promesse de toujours le protéger, même en étant loin de lui. Et Pablo l'accepta avec tendresse. Ils s'échangèrent un dernier regard alors que la tête blonde disparaissait en glissant de l'arbre. Pablo sécha rapidement les quelques qui s'étaient échappés et fit sa valise.

Quand sa grand-mère vint le chercher, elle portait avec elle ce regard triste et coupable. Pablo la prit alors dans ses bras et s'excusa pour tout ce qu'il avait fait. Secouant la tête, la vieille femme lui dit que ce n'était pas de sa faute. Elle lui pinça la joue, ébouriffa ses cheveux et étouffa un sanglot contre son épaule.

– Tu seras toujours le bienvenu ici, Pablito ! N'écoute pas ce que dis ta mère, elle a seulement hérité du mauvais caractère de ton grand-père ! Reviens l'année prochaine !

– D'accord Abuelita. J'aurai de bonnes notes à l'école et l'an prochain on fera plein de trucs ensemble. il embrassa sa joue et descendit ses affaires dans l'entrée. Son grand-père lui offrit une accolade et même un léger sourire. Puis ses parents l'entraînèrent de force dans la voiture qui sentait le cuir neuf. Il s'installa sur la banquette arrière, posa sa tête contre la fenêtre et soupira silencieusement tandis que son père allumait le contact.

– Pablito ! Reviens me voir ! Je t'attendrai ! alors que la voiture avançait doucement, Esteban apparu derrière elle, courant comme un forcené. Pablo se redressa et ne put s'empêcher de sourire. Il posa sa main contre la vitre et ses lèvres murmurèrent en silence.

« Promis. »

C'était l'été. Il faisait chaud, comme d'habitude. Mais Pablo avait apprit à apprécier la chaleur et tous les désagréments qui allaient avec. Il se fichait bien de la sueur qui dégoulinait dans son dos ou des innombrables piqûres de moustique qui s'alignaient sur son corps, composant des constellations étranges. Il ne faisait pas non plus attention au soleil étouffant ou aux grains de sables qui lui collaient à la peau. Devant lui, le sourire immense que lui offrait Esteban effaçait tous ces désagréments. Il n'y avait rien au monde qui aurait pu les déranger.

– Viens te baigner ! L'eau est vraiment bonne ! s'exclama le blond en le tirant par la main. Il avait bien grandi, mesurant désormais une tête et demie de plus que lui. Son corps s'était aussi bien plus musclé que le sien, ne lui permettant donc pas de résister. Il se laissa entraîner dans les vagues claires. Ils jouaient comme des enfants dans une pataugeoire, s'éclaboussant avec force. Le rire d'Esteban concurrençait avec les cris des mouettes. Au dessus de leurs têtes, le soleil les réchauffait avec ambition. Ils étaient au paradis.

Cela faisait cinq ans qu'ils étaient ensemble. Après une année au pensionnat et plus de lettres qu'ils n'auraient pu l'imaginer, la grand-mère de Pablo gagna finalement sa garde. Il quitta rapidement la ville et sa tristesse ainsi que ses amis et ses parents pour déménager chez ses grands-parents. Il suivit des cours par correspondance et mit de l'argent de côté en aidant les villageois dans leurs commerces. Il entretenait aussi le potager de sa grand-mère.

Quand l'été réapparu, Esteban et lui passèrent un mois complet ensemble. Il restait encore une année au blond avant de pouvoir passer les examens d'admission dans la faculté de médecine de ses rêves. Pablo l'aida à étudier et l'été suivant, il y était accepté. Ils fêtèrent ça avec allégresse. Puis Pablo s'acheta une voiture avec l'argent durement économisé. Elle était petite et usée mais elle lui convenait parfaitement. Et surtout, elle lui permettait de rendre visite à Esteban et d'aller travailler. Les jeudis, il aidait au marché dans la ville d'à côté. Le reste du temps, il faisait des baby-sittings, promenait des chiens, s'occupait des commissions pour les autres. Les gens l'appréciaient sans qu'il ne sache vraiment pourquoi. Une dame lui avait un jour dit qu'il avait un sourire rayonnant et qu'il dégageait une aura de confiance. Quand il l'avait rapporté à sa grand-mère, celle-ci avait ri en acquiesçant.

– C'est exactement ça, Pablito ! Tu rayonnes ! s'était-elle exclamée en lui pinçant la joue.

Il lui arrivait encore d'être pris de crises mais elles n'étaient plus aussi terrifiantes qu'autrefois. Peut-être parce qu'il avait pris de la distance avec ses parents ou qu'Esteban lui avait permis de comprendre qu'il n'était pas l'unique cause de ses problèmes. Depuis cinq ans maintenant, il n'avait pas revu sa mère ou son père. Il leur envoyait une carte pour noël, une autre pour leur anniversaire. Il leur parlait de sa vie, de ce qu'il faisait. Des choses banales, un peu futiles et sans grand intérêt il faut le dire. Mais il aimait bien. Il n'avait encore jamais reçu de réponse. Peut-être parce qu'ils lui en voulaient encore. Ou ils se sentaient coupables. Pablo n'était pas trop sûr.

Mais ce qu'il savait, c'est qu'il allait mieux. Beaucoup mieux. Il avait réussi à s'en sortir. Grâce à Esteban en grande partie. Avec son sourire d'enfant malgré sa vingtaine accomplie, ses longues boucles blondes, ses yeux pétillants. Il y avait quelque chose en lui qui agissait encore comme un antidouleur. Il savait toujours trouver les mots, il savait écouter mais aussi se confier. Il était présent mais pas étouffant. Il était comme le soleil d'été. Il brillait de mille feux, brûlant les ailes des imprudents. Et Dieu sait que Pablo l'avait été. Mais tout s'arrangeait. Ils avaient encore la vie devant eux. Et pour le moment, ils riaient ensemble, se poussant dans les vagues, s'éclaboussant.

Ils n'avaient besoin de personne. Juste de sourires et de leurs paumes l'une contre l'autre. Les yeux de Pablo baignés d'étoiles. Les lèvres d'Esteban remplies d'amour.

– Allons observer le ciel ce soir ! s'exclama le blond en revenant sur le sable, le corps trempé. Pablo secoua la tête vigoureusement.

– On pourrait pique-niquer là-bas. Je prendrai une couverture.

– Et si on y dormait ?

– Hors de question. La dernière fois tu m'as réveillé en hurlant parce que tu avais cru voir un loup. il rit tout en s'allongeant sur sa serviette. Toujours le même tigre cracheur de feu bien que désormais il dépassait largement.

– C'est pas ma faute si le chien de Gianna ressemble autant à un monstre ! se défendit-il en venant se coucher sur son fiancé.

– Tout de même. Ce n'est pas une bonne idée. il le poussa légèrement et l'embrassa avec délicatesse. Esteban fit la moue mais répondit tout de même au baiser.

– Tant pis pour cette fois... Mais promets-moi qu'on le refera !

– On verra, querido. On verra. il lui caressa les cheveux et ferma les yeux. Il n'y avait rien de mieux que le soleil contre sa peau et la sensation du corps d'Esteban dans ses bras. Il était définitivement au paradis. Grâce à lui.